Le référendum apparaît comme l’instrument démocratique par excellence. Le RIC (référendum d’initiative citoyenne) était ainsi une demande récurrente du mouvement des gilets jaunes. Aujourd’hui, les oppositions en réclament un à grands cris et à longueur de tribunes pour (in)valider la réforme des retraites du gouvernement. Mais dans des sociétés complexes comme les nôtres, l’outil référendaire est-il vraiment aussi démocratique qu’on le prétend ?

Dans la guérilla que mènent les opposants à la réforme de retraites, les pétitions se multiplient pour demander que celle-ci soit soumise à un référendum pour que les Français puissent trancher en dernier ressort. Puisque tous sont concernés, n’est-ce pas à eux de décider de ce qui est bon pour eux ? Dans une démocratie, n’est-il pas légitime que le peuple dans son ensemble s’exprime sur un projet qui a un tel impact sur son avenir ? Présentée ainsi, on ne peut qu’approuver cette demande de vote populaire qui permettrait, au-delà des sondages, de savoir ce que pensent et veulent vraiment nos compatriotes.

Est-il d’ailleurs bien nécessaire de dépenser de l’énergie, du temps et de l’argent à organiser un tel référendum dont le résultat est couru d’avance ? En l’état actuel de l’opinion, de toute évidence le « non » l’emporterait, quelle que soit la question. Je suis même prêt à parier que si celle-ci était : « Souhaitez-vous que le gouvernement retire sa proposition de loi sur la réforme des retraites ? », beaucoup voteraient « non » en pensant dire non à la majorité en place sans vraiment s’apercevoir qu’ainsi ils diraient « oui » à la réforme. Je caricature un peu, bien sûr. Je ne prends pas mes contemporains pour des idiots. Mais leur négativisme est tel désormais qu’il leur serait difficile de dire « oui » à une proposition du gouvernement tant il leur apparaît que tout ce qui en émane doit être systématiquement rejeté.

La réponse est non, mais quelle est la question ?

On le sait, sauf peut-être en Suisse qui a une longue et régulière pratique référendaire, les votants ne répondent jamais vraiment à la question posée. Ils expriment avant tout leur accord ou leur désaccord avec celui qui la pose. Quand, en 1958, les Français ont approuvé à plus de 80 % la constitution de la Ve République, combien avaient lu cette constitution et combien avaient conscience des conséquences de cette adoption ? Ils ont massivement dit « oui » au Général de Gaulle, considéré alors comme l’homme providentiel. Quand, onze ans plus tard, en 1969, ils ont rejeté à 52 %, la régionalisation et la réforme du Sénat, ils ont voté pour le départ du même Général qui s’était engagé à quitter ses fonctions si sa proposition était rejetée. Du même coup, ils ont retardé de plus de dix ans une régionalisation qui était pour eux une bonne réforme et dont ils pensent même aujourd’hui qu’elle ne va pas assez loin. Quant à la réforme du Sénat, toujours en suspens, ils la réclament toujours, si l’on en croit les sondages. Deux réformes utiles et qu’au fond les Français approuvaient ont donc été ajournées pour des raisons politiques qui n’avaient rien à voir avec elles.

Le référendum, tel qu’on le pratique dans nos contrées, n’est pas l’instrument décisionnel qu’il devrait être, fondé sur les arguments rationnels qu’exigerait une démocratie éclairée, mais un instrument politique et idéologique, manipulé par les acteurs du pouvoir, qu’ils soient en place ou dans l’opposition, reposant essentiellement sur des arguments émotionnels et très souvent sur le mensonge ou des « vérités alternatives » comme on dit désormais. Et, in fine, il est utilisé par les citoyens pour exprimer leur satisfaction ou insatisfaction du moment sans réelle considération pour ce qui leur est demandé. C’est ce détournement qui, à mes yeux, rend d’abord son usage problématique. Pour que celui-ci soit vraiment démocratique, il nous faudrait un peu plus de sagesse, de mesure, d’honnêteté et d’objectivité.

Je ne suis pas sûr d’avoir compris la question

Le second problème est celui de la question qui permettrait de dégager l’intérêt général. Puisque l’on ne peut répondre que par oui par non, la question doit être compréhensible, simple et claire alors que le plus souvent elle recouvre une réalité très complexe. Les Britanniques ont répondu, en 2016, à une question simple : « Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? » Près de 52 % ont voté pour le « leave » sans avoir vraisemblablement la moindre idée des conséquences concrètes de ce choix qui, quatre ans plus tard, n’est toujours pas totalement acté et dont on est à peu près sûr qu’il ne bénéficiera pas à la plupart de ceux qui l’ont soutenu.

Pour la réforme des retraites, quelle question poser ? La plus évidente est « Êtes-vous d’accord avec la réforme des retraites proposée par le Président de la République ? » Si la réponse est « oui », tout va bien, on continue. Si la réponse est non, ce qui est le plus probable, qu’est-ce qu’on fait ? Car si une majorité semble ne pas vouloir de cette réforme-là, tout le monde à peu près, y compris les syndicats, estime qu’une réforme est nécessaire. Mais laquelle ? On s’apercevra bien vite que derrière le rejet majoritaire se cachent des intérêts divergents et contradictoires qui, si on veut en tenir compte dans leur totalité, rend toute réforme impossible et toujours inacceptable pour une grande partie des citoyens.

Je ne vois qu’une question à poser pour être sûr de gagner un référendum sur le sujet : « Souhaitez-vous prendre votre retraite à 60 avec une pension minimum au double du SMIC ? » (C’est un peu ce que propose la CGT). On a de grandes chances d’obtenir un plébiscite. Mais après, on fait comment face à la réalité des chiffres et de la situation socio-économique ?

Dans nos sociétés complexes et divisées, derrière chaque question simple s’ouvrent un abîme d’autres questions et un océan d’interactions et de contradictions, qui peuvent engager un choix de société et qui ne permettent jamais de réponse simple. 

Chaque citoyen n’a ni le temps, ni l’envie, ni les compétences, ni les connaissances pour essayer de comprendre les tenants et les aboutissants du projet pour lequel on sollicite sa voix. Parfois même, il n’en pense rien et n’a rien à en dire (personnellement, je n’ai aucune idée du bien-fondé ou non de la privatisation d’ADP – Aéroports de Paris – sur laquelle certains veulent me demander mon avis au travers d’un référendum d’initiative populaire qui a d’ailleurs du mal à mobiliser les foules). 

Le citoyen va donc soit s’abstenir, soit se référer, pour faire son choix, à son intérêt personnel immédiat (qui peut être opposé à son intérêt à long terme), à ceux dont il partage les opinions (qu’il consulte surtout dorénavant dans le cénacle fermé des réseaux sociaux) et (de moins en moins) aux responsables politiques de son bord, lesquels sont également souvent guidés par leur intérêt personnel, devenir Vizir à la place du Vizir. L’intérêt général est ainsi rarement pris en compte. Car celui-ci n’est jamais le résultat de la somme des intérêts individuels, mais plutôt de leur soustraction, c’est-à-dire du compromis que chacun veut bien accepter par rapport aux intérêts des autres. C’est pourquoi l’addition des voix dans un référendum ne peut pas être la garantie d’un choix d’où émergerait miraculeusement le bien commun.

La question était bonne, mais vous avez mal répondu

A cet égard, il est amusant de constater que, pour certains, le référendum est un instrument démocratique à géométrie variable. Les mêmes qui en demandent un maintenant sur les retraites – les verts, la gauche, l’extrême gauche – se sont assis naguère sur le résultat de celui concernant l’aéroport de Notre-Dames des Landes commandé par François Hollande. Le « oui » à la construction du nouvel aéroport l’avait emporté largement (plus de 55% des suffrages). Le gouvernement socialiste n’en a rien fait, laissant la décision à ses successeurs. Les Zadistes qui occupaient la zone ont continué d’être soutenus par les Verts et la France insoumise au mépris du résultat des urnes et au prix de contorsions politiques sur la validité du référendum qu’ils jugeaient cette fois-ci contraire à l’intérêt général. Si d’aventure, ces partis perdaient la votation qu’ils réclament, en viendraient-ils à découvrir qu’il n’est pas légitime ? 

Cela conduit à troisième type de problème. Depuis plusieurs décennies, la plupart des référendums aboutissent à des scores qui avoisinent le 50/50. 51/49, par exemple pour le traité de Maastricht en 1992, 55/45 – un peu plus marqué – contre la constitution européenne, 52/48 pour le Brexit. Ces scores serrés laissent un goût amer aux perdants, accentuent les clivages et, finalement ne calment pas les controverses, d’autant que la légitimité des urnes est de plus en plus remise en cause dès lors qu’elle ne nous est pas favorable (et se manifeste notamment par un abstentionnisme en hausse permanente). Régulièrement, par exemple, on entend encore les représentants de LFI contester l’élection d’Emmanuel Macron au prétexte qu’il n’aurait fait que 18 % des inscrits (24% des votants) au premier tour des présidentielles, alors qu’en réalité, c’est l’un des présidents les mieux élus de la Ve République. Qu’auraient-ils dit si leur champion tonitruant se glissant au deuxième tour avec ses 14 % des inscrits (19,5% des votants) avait remporté l’élection. Aurait-il été soudain plus légitime ?

La bonne réponse est celle qui fait le plus de bruit

Le référendum représente un idéal démocratique : par son truchement, chaque citoyen peut exprimer sa volonté tout en s’engageant à respecter la volonté de la majorité. Cet idéal me semble désormais inatteignable dans la pratique (s’il a jamais été atteint). Pire, en raison de tous les problèmes qu’il soulève – complexité des sujets et des décisions, mauvaise foi des acteurs, biais idéologiques, désinformation, individualisme des intérêts, éclatement de la société, primauté de l’émotionnel sur le raisonnable -, je crains qu’il puisse être utilisé comme un outil antidémocratique. Le vainqueur ne sera jamais celui qui défendra l’intérêt général et les mesures les plus raisonnables, mais toujours, hélas, celui qui aura le message le plus simpliste et le plus démagogique et qui fera le plus de bruit dans les médias et sur les réseaux sociaux. Référendum, piège à com…

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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