Il était une fois un récit dominant : le triomphe de la Chine réalisant sur écran géant le rêve de l’Empire-Monde.

Impossible de nier la spectaculaire montée de la Chine et son accession au premier rang. La Chine vient en effet de dépasser les Etats-Unis sur un indicateur (le PIB calculé en parité de pouvoir d’achat). Jusqu’à l’arrivée de Xi JinPing au pouvoir en 2012, elle a traversé une période de créativité technologique mais aussi intellectuelle sans égal dans son histoire contemporaine. Pourtant, malgré les apparences de succès, malgré les routes de la soie et la promotion des 450 Instituts Confucius dans le monde, malgré aussi les prouesses du « soft power » de Pékin, il y a des fissures dans la muraille de Chine. Son impatience capricieuse et menaçante risque de ruiner ses ambitions. Telle est la thèse du livre de Valérie Niquet (La Chine en 100 questions ).

        Que raconte cette histoire sur la Chine d’aujourd’hui ? Il n’est qu’à ouvrir les yeux sur cet Empire du Milieu qui fascine les occidentaux mais les aveugle et les trompe. Notre regard est naïf sur un système qui certes à accompli un « immense bond » en avant sous Mao, (au prix de 40 millions de morts), immense surtout pendant l’ère des Réformateurs et de l’ouverture, Deng XiaoPing, Hu Jintao, Zhao Ziyang, entre 1976 et 2012. Il semble aujourd’hui s’essouffler. Le manque de transparence économique et les mensonges sur la pandémie, contribuent à voiler les difficultés et dissimuler les dérives actuelles du Parti communiste chinois. Sur le plan politique, le régime est dominé par un capitalisme d’Etat, qui absorbe près de la moitié du PIB. L’arrivée de Xi JinPing et la radicalisation de sa politique depuis quelques années semblent  mettre un terme au mirage de la suprématie chinoise. La Chine de Xi JinPing se maintient par la propagande et l’illusion de sa supériorité sur les démocraties instables de l’Occident. Cette illusion s’appuie sur l’ignorance qu’ont les nouvelles générations de l’histoire de leur pays. Ils sont peu nombreux à connaître la répression brutale des intellectuels en 1957, les grandes famines du Grand Bond en avant entre 58 et 61, les crimes de la révolution culturelle de 1966 à 1976 et les massacres de Tien An Men en 1989! En réalité, le silence et l’oubli font leur œuvre. « Le pire ennemi de la Chine dans l’histoire n’a souvent été autre que la Chine elle-même » (Damien Morier-Genoud. Ouv collectif  Penser la Chine).

La Chine : une superpuissance ?

Changement de décor! On croyait la Chine invulnérable, il n’en est rien. Il est vraisemblable que l’Empire du Milieu ne sera pas la superpuissance mondiale qu’elle entend devenir. Pour une première raison très simple et frisant l’absurde : l’utilisation de la menace ! « Etre haï vaut mieux qu’être aimé ». C’est ce que pense Xi JinPing. Comment, dans ces conditions, des partenaires, des clients, des voisins, peuvent-ils entretenir des relations de confiance avec une nation convaincue que tout le Mal vient du dehors, une nation dont le récit national repose sur le rejet de l’étranger?

D’abord quelques constats connus mais peu portés à la connaissance des opinions. En termes de puissance militaire, technologique et politique, elle est encore derrière son grand rival américain. Et son potentiel est loin d’être convainquant. L’actualité récente montre les vacillements de la Chine depuis le début de l’ère Xi JinPing. La dette de la Chine dépasse les 300% de son PIB à 40.000 milliards de dollars, soit 15% de la dette mondiale totale. La croissance est en baisse depuis 2013. Elle pourrait chuter à 2% d’ici 2025. La Chine dispose d’une faible quantité de terres arables et connait une forte dépendance alimentaire. Enfin la politique visant l’augmentation de la consommation intérieure s’est soldée par un échec. La demande des ménages chinois génère seulement 39% du PIB, contre 48% dans les années 2000. Tous les autres pays du monde développé sont au-dessus de 60%.

Bref, l’économie chinoise traverse une phase difficile et présente des signes inquiétants. La Chine connaît, en cette fin de l’année 2021, la pire pénurie d’énergie et de matière première depuis 2011, à cause de sa forte dépendance au charbon. De nombreuses grandes régions et d’importantes mégapoles manquent d’électricité. Cela entraîne la fermeture de nombreuses usines et des perturbations dans les chaînes logistiques. La baisse de la production industrielle menace la croissance économique du pays. L’ensemble de la chaine d’approvisionnement import-export est également affecté par d’importants déséquilibres dus à la Pandémie du COVID. Cette crise du fret maritime  aboutit  au blocage de certains terminaux chinois, et  à une augmentation spectaculaire des coûts qui devrait aussi affecter les pays clients de la Chine.

Les soubresauts font trembler les grandes entreprises

En témoigne la chute de la seconde entreprise de l’immobilier Evergrande  (300 milliards de dollars d’endettement). Tout un symbole ! Au-delà de la société en elle-même, l’abime au bord duquel se trouve ce mastodonte national donne le vertige au gouvernement chinois. Les ramifications d’Evergrande font de l’éventualité de sa chute une hypothèse catastrophique pour la santé du pays. Lors de sa période d’expansion, le mastodonte a emprunté sans compter. Se retrouvant croulant sous les dettes, sans liquidités pour les rembourser, il voit sa cotation boursière chuter.  Une dette qui fait aussi craindre une déstabilisation de la finance mondiale. Les prêts devenant de plus en plus conséquents, il semble que la Chine ne pourra récupérer qu’une partie de ses créances, s’enfonçant ainsi dans un endettement durable. Pour conjurer l’effondrement, Pékin se voit obligée de puiser dans les fonds de l’état pour tenter de renflouer Evergrande.

L’offensive de Pékin s’exerce sur les grandes entreprises qui ne marchent pas droit aux yeux de Pékin . Une surveillance très étroite et des règlements drastiques se mettent en place notamment à l’égard des grands groupes de technologie. Des dizaines de chefs d’entreprises privées accusées d’abus de position dominante et de corruption (pots de vin, contrats bidons, fausses factures..) se sont fait arrêter ces derniers temps. La chasse aux milliardaires gênants est ouverte, observe un Rapport deTransparency international. Pékin reste moins regardant sur les entreprises d’état. Ces dernières sont pourtant maîtres en matière de corruption.

L’aventure africaine

Xi JinPing, voit dans le continent africain un formidable potentiel de croissance qui lui permettrait d’accomplir son objectif, son « rêve chinois » : devenir la première puissance mondiale et devancer les États-Unis d’ici 2022. Mais là encore, la partie n’est pas gagnée. Le pôle de développement africain, à grand renfort de transports et d’infrastructure, n’est pas aussi assuré que cela, ni pour les Chinois, ni pour les Africains. La déception risque d’être cruelle. Ce sont surtout des travailleurs chinois et non africains qui réalisent les projets sur place, de l’ingénieur jusqu’au manœuvre. La force de travail chinoise offre une grande fonctionnalité et une rentabilité imbattable, bien plus efficace que la main d’œuvre locale qui ne bénéficie qu’à la marge des « bienfaits » de Pékin. Comment en serait-il autrement ? Les expatriés chinois ne forment pas de techniciens locaux, ce qui conduit à une faible productivité et à un mauvais entretien des infrastructures. Enfin les contrats avec les autorités locales sont assortis de conditions douteuses entraînant des liens de dépendance et favorisant la corruption. Les entreprises chinoises d’état opérant sur des projets en Afrique se font rembourser leurs prêts en ressources naturelles. Bref, la Chine prête à la Chine. « Elle donne d’une main, et elle reprend de l’autre. L’aventure africaine a ainsi toutes les apparences d’un pillage en règle », soutient Julien Wagner  dans son livre (Chine-Afrique, Le grand pillage). Les acquisitions chinoises de terres arables en Afrique sont d’un ordre marginal d’environ 1%. L’aventure africaine pourrait mal tourner pour la Chine si elle ne respecte pas sa mission « affichée » d’humanitaire. Mauvaise nouvelle pour Pékin, la République Démocratique du Congo a récemment remis en cause un énorme contrat minier de cobalt et de cuivre de plus de 6 Mds de dollars.

La chute démographique

Le plus grave problème auquel est confronté le régime communiste de Pékin est le  vieillissement de la population et la pénurie de main d’œuvre, main d’oeuvre qui est aujourd’hui beaucoup moins rentable et concurrentielle que dans d’autres pays en développement.. Jusqu’à présent, l’augmentation de la population et du nombre d’actifs, a été le moteur de la croissance chinoise de ces dernières décennies. Mais depuis 2013, le ralentissement de la croissance rend plus difficile le projet de suprématie mondiale et l’objectif de rattraper économiquement les Etats-Unis.  Un Rapport de l’ONU fait état d’une hausse de 15% de la population américaine en 2050 par rapport à 2019 tandis que la population chinoise reculerait de 2,2%.  « La question de la démographie est un problème structurel central pour l’économie du pays », assure Mary-Françoise Renard . Elle impactera fortement la productivité et par conséquent le PIB de la Chine. Le vieillissement rapide de la population et la difficulté à relancer les naissances pour contrer la baisse démographique obligeront l’état chinois à privilégier une protection sociale en direction des retraités. « Ce phénomène entraîne une hausse de la dépendance des inactifs aux actifs, dans un pays où l’État providence est quasi inexistant » explique la directrice de l’Institut de Recherche sur l’Economie (IDREC).  

La prise en charge des aînés par les plus jeunes coutera très cher à l’économie. Les salariés devront épargner davantage au détriment de la consommation. Ce ralentissement aura inévitablement une conséquence négative sur l’investissement étranger misant sur le marché chinois. Impossible dans ces conditions de développer le marché intérieur et de diminuer la soumission de l’économie chinoise aux nécessités de l’exportation. Pour éviter trop de déboires et tenir sa promesse de « reconstruire une civilisation ayant une valeur unique pour toute l’humanité », la Chine devra transformer son modèle financier.  Mais il lui sera sans doute plus difficile d’avoir des partenaires à sa botte.

Le fantasme de l’Empire-Monde

Devant cette crise, comme la Chine n’en a jamais connu, le pouvoir serre les rangs autour du culte de la personnalité de Xi Jinping. On parle aujourd’hui de « la Pensée de Dada Xi » . Le sphinx de Pékin détient tous les maillons du régime. Pékin vient d’éditer le bréviaire de Xi Dada (Tonton Xi), un nouveau petit livre de propagande dans le plus pur style maoïste intitulé « La Pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère ». L’idée centrale est qu’il n’y a pas de nouvelle Chine sans le Parti Communiste Chinois. Le régime est en train de reprendre en main les universités afin qu’elles deviennent des bastions de la pensée du PCC. Les programmes télévisés doivent correspondre aux valeurs socialistes. Tous les moyens sont bons pour promouvoir la pensée de Dada Xi, asseoir l’influence de la Chine et assurer la puissance du nouvel ordre de l’Empire-Monde chinois contre les valeurs universelles occidentales  qui  font désormais partie des sujets interdits.  Le fantasme de l’Empire-Monde, c’est celui d’un XXIème siècle chinois succédant à un XXème siècle américain. Cela restera-t-il un fantasme?

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

A la une