Après plusieurs mois d’incertitude européenne, pendant lesquels les « nonistes » de gauche qui s’étaient engagés à proposer des alternatives, protestant de leur engagement européen, font preuve d’un mutisme total sur le sujet, tandis que les partisans du oui de gauche s’époumonent dans de vaines querelles de personnes franco-françaises, sans rien avancer de nouveau, aveuglés par le projecteur des élections présidentielles françaises, l’année 2006 sera-t-elle celle de la relance de l’Europe ? Ou bien la confirmation de son malaise ?

Le dernier Eurobaromètre incite à l’optimisme. Il révèle que le soutien à l’idée même de Constitution s’est renforcé depuis le printemps 2005 dans l’UE (63%) et notamment en France (de 60% à 67%). Comment, compte tenu de ce voeu de meilleure année, sortir au mieux de l’incertitude et retrouver une ambition collective rajeunie ? Comment faire émerger cette Europe politique qui permettrait d’insuffler une dynamique durable ? Quel nouveau projet politique porter ?

Des initiatives dispersées

Plusieurs initiatives se font jour pour tenter de répondre à ces questions. Elles procèdent du même sentiment : l’impossibilité d’accepter qu’après les « non » français et hollandais au Traité constitutionnel, le processus d’intégration européenne s’enlise, s’arrête.

Parmi ces initiatives, les unes sont directement institutionnelles. Ainsi, tout en laissant ouvert le processus de ratification, les institutions et les Etats membres ont engagé un vaste débat public sur l’avenir de l’Europe dans lequel le Parlement jouera un rôle important, débat à l’issue duquel un bilan devra être établi afin de décider si le projet initial de Constitution doit être confirmé, clarifié, complété ou refondu.

Dans ce contexte, des intellectuels et des décideurs politiques de la gauche européenne ont remis, le samedi 14 janvier dernier, au président du parti des socialistes européens Poul Nvrup Rasmussen, leur projet visant à relancer l’Europe des citoyens : « bâtir une Europe providence du 21ème siècle et faire émerger l’Europe démocratique ». Maria Rodriguez, dit Madame Lisbonne, a fait le tour des capitales pour inciter les gouvernements, les parlements et les opinions à la relance. Selon elle, il faut absolument impliquer le citoyen dans cette démarche. Un plan d’action pour la communication sera présenté au mois de mars.

Quels sont les ressorts du sursaut ? C’est en ces termes que plusieurs collectifs se sont regroupés autour de « Sauvons l’Europe », un appel lancé par Jean-Pierre Mignard président du Club témoins et Joël Roman de la Revue Esprit, signé par près de 3000 personnes et plusieurs associations dont Europartenaires, Confrontations, Europa Nova, A gauche en Europe…

Joël Roman propose de faire jouer la diversité des initiatives existantes pour cette relance européenne : campagnes militantes pour les uns, réflexion collective pour les autres, ou encore, organisation de véritables universités populaires thématiques avec création de groupes de travail transversaux sur les enjeux constitutionnels, la dynamique d’intégration politique, les solidarités entre les territoires européens, la capacité de l’Europe à parler et à agir d’une seule voix sur la scène internationale, les moyens de repenser une politique d’immigration pour ne pas concevoir l’Europe comme une forteresse. Rendez-vous est donné au printemps 2006.

Pour d’autres, dont certains s’intègrent dans le projet « Sauvons l’Europe », l’objectif est de se constituer en réseaux pour pouvoir agir efficacement à l’échelon européen. C’est le cas, par exemple, de Initiatives Citoyens en Europe (France) et de Causes Commune (Belgique) qui ont décidé de s’associer dans ce combat. ICE qui s’est largement mobilisé sur la question de l’ex-Yougoslavie, en soutennant notamment le Tribunal Pénal International, défend depuis la chute du mur de Berlin l’idée d’un véritable espace public européen d’échanges entre citoyens autour de projets porteurs de solidarités. « Il est important que les acteurs engagés dans l’Europe montrent l’exemple en développant des initiatives autonomes, puissent influer sur les grandes questions comme la justice, le lien social, l’immigration, la lutte contre le populisme et la xénophobie », expliquent ses représentants.

Causes Communes, basée à Bruxelles, développant sur Internet « l’Autre site » est sur la même longueur d’ondes. Elle est intervenue principalement en Roumanie et au Kosovo pour édifier des Maisons des communes mais aussi dans d’autres pays d’Europe centrale. Elle vient de mettre en place un Observatoire des dérives populistes et invite les citoyens à se mobiliser autour de ce problème. Cette initiative belgo-française propose de lancer une série de débats publics sous forme de rencontres qui déboucheraient sur des Ateliers de débats et d’actions.

Pour l’heure, un premier rendez-vous est donné le 18 mars 2006, à l’Ecole Normale Supérieure, autour de trois thèmes : « La France vue par les autres européens. L’Europe rêvée par elle-même. L’Europe rêvée par les autres ».

Abandon du système inter-gouvernemental

Pour la plupart de ces associations et citoyens engagés, la proposition de Joschka Fischer (ex chef de la diplomatie allemande), il y a 4 ans, de refonder et de démocratiser l’Europe reste valable. Objectif : sauver l’Europe et éviter les compromis de plus en plus difficiles à trouver, le tout dans l’intérêt des citoyens.

Cette proposition rejoint celle qu’appelait de ses vœux l’un des pères de l’Europe, Robert Schuman : l’abandon du système intergouvernemental, obligeant les 25 chefs d’Etat à s’entendre pour changer le contenu d’une politique, pour un système entièrement parlementaire.

Ce gouvernement européen serait d’une seule couleur politique, désigné par la majorité élue. Le mandat du Parlement serait de 5 ans, soumis au vote sur son bilan. La proposition de Fischer possède un intérêt citoyen évident : le respect du principe fondamental de toute démocratie, une homme, une voix. La mission de ce gouvernement serait de traiter les questions où l’unité est requise pour être efficace : la recherche, les affaires étrangères, la monnaie, la défense, la sécurité intérieure et l’environnement.

Ce schéma suppose un financement et une fiscalité propre pour donner à ce gouvernement européen la capacité à agir. Michel Rocard et Pierre Larrouturou, porte-parole de l’Union pour l’Europe sociale, ont proposé en mars 2004 la mise en place d’un impôt européen qui pourrait prendre la forme d’une écotaxe, d’une taxe Tobin améliorée, ou encored’ un impôt sur les bénéfices des entreprises, lequel a fortement diminué depuis deux décennies au profit de la bulle financière bien plus que de l’investissement. En plus de cet impôt, un complément social sous forme de traité ambitieux, comme Maastricht le fut sur le plan monétaire, permettrait de garantir des objectifs précis de bien public, comme c’est le cas pour la recherche avec les 3% du PIB dédié à la R&D.

Les concepteurs de cet impôt résument en 5 points le projet social qu’il servirait : un taux de chômage inférieur à 5%, un taux de pauvreté inférieur à 5%, un taux de mal logés inférieur à 3%, un taux d’illettrisme à 10 ans inférieur à 3%, une aide publique au développement des pays du sud supérieure à 1% du PIB.


Les jeunes et l’Europe

Les jeunes ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de l’Union européenne et leurs visions et opinions comptent. Mais en quoi consistent leurs visions : que représente l’Europe pour eux, quel genre d’Europe souhaitent-ils et quels sont leurs principales préoccupations ? Début de réponse avec l’Eurobaromètre.

L’Eurobaromètre a été réalisé en décembre 2005 auprès de citoyens âgés de 15 à 24 ans vivant au sein des 25 Etats membres.

En moyenne, 62% des Européens âgés de 15 à 24 ans affirment que pour eux l’Union européenne est synonyme de liberté de mouvement. Cette opinion concerne trois jeunes européens sur quatre au sein des dix nouveaux Etats membres.

L’idée d’une union politique européenne est assez bien accueillie par les jeunes européens. Pour ces derniers, l’UE signifie davantage que le droit à voyager librement. Pour la majorité d’entre eux, l’Union européenne devrait également avoir un rôle politique. Au sein des dix nouveaux Etats membres, cette opinion est partagée par 3 jeunes sur 4.

En moyenne, 55% des Européens âgés de 15 à 24 ans souhaiteraient que l’Union européenne joue un rôle plus important d’ici 5 ans. C’est le cas pour deux jeunes sur trois au sein des nouveaux Etats membres.

Près de 6 européens sur 10 âgés de 15 à 19 ans sont satisfaits de la façon dont la démocratie fonctionne au sein de l’Union européenne.

Les jeunes européens sont généralement plus positifs que leurs aînés en ce qui concerne le futur de l’Europe. Cet optimisme ne signifie cependant pas qu’ils sont plus enclins à penser que leur voix compte au sein de l’Union européenne. Ils sont moins de 4 sur 10 à avoir cette opinion.

Lorsqu’on les questionne, le chômage arrive clairement en tête dans la liste de leurs préoccupations. Selon eux, la lutte contre le chômage devrait être la première priorité de l’Union. C’est particulièrement le cas au sein des nouveaux Etats membres.

Pour une proportion significative des jeunes européens, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale devrait être une autre priorité de l’Union européenne. Dans ce domaine, les jeunes européens dans les dix nouveaux Etats membres se détachent par rapport aux autres, désirant faire de cette question une priorité de l’Union européenne. Les jeunes européens mettent ensuite en avant le rôle de maintien de la paix et de la sécurité en Europe pour l’Union européenne. C’est la troisième réponse la plus fréquemment donnée. Ce sont les plus jeunes européens interrogés qui ont le plus exprimé ce point de vue.

Deux jeunes citoyens sur trois au sein de l’Union européenne craignent le transfert d’emplois vers d’autres pays proposant des coûts de production moins élevés. Cette préoccupation est plus répandue chez les jeunes européens vivant au sein des 15 « anciens » Etats membres qu’au sein des 10 nouveaux Etats membres.

Par ailleurs, une participation active des jeunes européens dans les projets, organisations et politiques européens améliorerait leur compréhension vis à vis de leurs plus jeunes homologues européens et renforcerait la prise de conscience de leur identité européenne.

Les dernières élections européennes ont été en ce sens assez décevantes : seul un tiers des personnes âgées de 18 à 24 ans a participé à ces élections. Les jeunes européens sont moins intéressés et se sentent moins bien informés sur la politique et l’actualité que leurs homologues plus âgés.

En comparaison avec leurs homologues plus âgés, les jeunes européens sont significativement plus optimistes en ce qui concerne le développement de l’économie européenne. Cet optimisme est largement répandu parmi les jeunes européens des dix nouveaux Etats membres.

L’objectif de devenir la première puissance économique mondiale reçoit beaucoup plus de soutien des jeunes européens par rapport au reste de la population de
l’UE.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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