Petite musique des Ă©tats d’Ăąme. « Mal de vivre » dans une sociĂ©tĂ© mĂ©diocre. Ivanov, clairement en Ă©tat dĂ©pressif, ne peut rien changer. Absence de rĂȘve, de dĂ©sir, de passion ? Si une vision de l’avenir semble possible, elle est vite traversĂ©e par un sentiment d’Ă©chec. Total. IrrĂ©parable. La mise en scĂšne de Luc Bondy surprend, dĂ©range parfois. Une rĂ©ussite pour le directeur de l’OdĂ©on et son Ă©quipe.

VoilĂ  Ivanov assit sur un tabouret devant un monumental rideau de scĂšne. En costume, comme exclu d’un monde, il semble inquiet, parle Ă  lui-mĂȘme … On pense Ă  Hamlet, Ă  son « To be or not to be ». En fond de scĂšne, façade d’une maison, celle du couple Anna Petrovna-Ivanov. Un cycliste passe, se casse la figure, ivre peut-ĂȘtre. Ivanov regarde ailleurs. Pense Ă  ses 500 hectares de terre, pas un sous en poche. Le gestionnaire du domaine qu’il croise, lui lance un « vous ĂȘtes nĂ©vrosĂ© ». Et puis il y a le docteur Lvov qui lui annonce la tuberculose de sa femme, Anna Petrovna. Un flot de ressentiments surgit.

Cette femme n’est-elle pas nĂ©e Sarah Abramson, une juive donc comme le rappellera l’oncle d’Ivanov, le Comte Chabelski. Terrible rĂ©vĂ©lation que Tchekhov n’hĂ©site pas Ă  glisser dans le dialogue comme Ă©lĂ©ment Ă  charge de certains prĂ©jugĂ©s de la sociĂ©tĂ© russe. Pour autant, Ivanov l’a aimĂ©. Mais, aprĂšs cinq annĂ©es, il dit ressentir une lassitude. Parle d’une vie d’erreur. Finit par lancer Ă  la cantonade « j’en ai mare de vous tous ». Le face Ă  face Ivanov/Anna Petrovna est terrible. Elle tousse, crache du sang. Sa solitude est immense. Sa maladie ne la lĂąchera pas.

Plus tard, on retrouve Ivanov dans un autre milieu. Dans un dĂ©cor qui change Ă  vue tout en laissant subtilement, sur le plateau de l’OdĂ©on, des ouvertures entre intĂ©rieur et extĂ©rieur. VoilĂ  une immense garde-robes. Tenues de soirĂ©e dans ce grand salon cossu. De la musique… et beaucoup de monde. Une famille et de nombreux amis envoient des commentaires sanglants. Le couple Lebedev, joliment fortunĂ©, a deux filles. L’une d’elle, Sacha, s’entiche de Ivanov. Nouveau mariage et promesse d’une vie plus … fortunĂ©e. Mais il y a d’autres contingences, d’autres surprises comme une information du docteur Lvov Ă  Ivanov qui entrainera celui-ci au geste radical de se planter une balle dans la tĂȘte.

Les comĂ©diens de cet « Ivanov » ont une prĂ©sence remarquable dans ce dĂ©cor impressionnant signĂ© Richard Peduzzi. Luc Bondy les pousse dans un tourbillon de sentiments dĂ©licats, dans un jeu oĂč la violence, pas seulement verbale, laisse des traces indĂ©lĂ©biles. On ne peut oublier la dĂ©gaine insensĂ©e, troublante mĂȘme, de Micha Lescot (Ivanov), la tristesse rayonnante de Marina Hands (Anna), l’aplomb de la jeune Victoire Du Bois (Sacha). Et l’on retrouve des figures fondamentales de ce grand théùtre comme Christiane Cohendy, Marcel Bozonnet, Ariel Garcia ValdĂšs… Bravo.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rĂ©dacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rĂ©dacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur Ă©conomique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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