Il y a dix ou douze ans, un ami, voulant me convaincre de la « super ambiance » qui pouvait régner pendant un match de foot m’avait invité au Parc des Princes pour une rencontre de championnat (je pense), opposant le PSG à je ne sais quel autre club. Las, la démonstration de mon ami a vite tourné court. Bien installés sur les gradins, nous nous trouvions derrière une rangée d’oligophrènes à casquettes retournées qui, debout en permanence et nous masquant la vue, ont hurlé sans discontinuer pendant toute la durée de la rencontre, mi-temps comprise, « enculé l’arbitre ! ».

Pendant 90 minutes de match plus 15 minutes de mi-temps, soit 105 minutes, je n’ai vu que des casquettes à l’envers sur des têtes rasées et entendu que cet éminent commentaire : « enculé l’arbitre ». Pendant 6 300 secondes, à raison d’une fois toutes les 3 secondes, soit 2 100 fois, les mâles fortement testostéronés du rang de devant se sont ainsi époumonés contre le pauvre arbitre sans que je comprenne très bien pourquoi, ni en quoi les supposées pratiques sodomites de l’homme en noir auraient pu avoir un quelconque rapport avec ce qui se passait sur le terrain. Je n’ai rien contre les joyeuses gauloiseries, mais ici, autant de bêtise alliée à autant de vulgarité m’ont laissé pantois, sans parler de la nature même de l’injure.

Mercenaires

Résultat de l’expérience, moi qui regardais parfois des matches dits « importants » à la télévision, j’ai totalement cessé de m’intéresser au foot en tant que sport, si c’en est encore un. Mais il est difficile d’y échapper en tant que phénomène de société, car il occupe largement l’actualité, pour le malheur et pour le pire. Et comment ne pas être écœuré par tout ce qui s’y passe ?
Faut-il rappeler ce qu’est devenu le monde du football ? C’est le règne de l’argent fou, de la corruption, de la violence où la seule règle, en dehors du terrain, parfois même sur le terrain, est le toujours plus. Une image concentrée de notre propre monde.
Les salaires et revenus annexes de certains joueurs, leurs transferts entre clubs atteignent des sommets que rien ne justifie, même pas les lois du marché, quoi qu’on prétende. En effet, si les clubs sont toujours en déficit et ne tiennent que par l’argent souvent douteux des milliardaires qui les rachètent, c’est bien que les joueurs coûtent plus qu’ils ne rapportent.
Du coup, il faut désormais payer pour suivre à la télé la plupart des matchs de ce sport dit populaire, les chaînes gratuites ayant jeté l’éponge face l’inflation des droits de retransmission. Et on paye pour voir quoi ? Un combat de mercenaires internationaux censés défendre les couleurs de « leur » ville, mais qui n’hésiteront à changer de camp pour quelques dollars de plus. Je ne suis pas sûr que le PSG ait, dans ses effectifs, un seul joueur de la région parisienne, ni même un seul joueur français (je n’ai pas vérifié, mais ils doivent pouvoir se compter sur les doigts de la main d’un manchot).

Chauvinisme

Ça ne semble pas important pour les aficionados, mais j’avoue que pour moi ça n’a pas grand sens. En quoi un club acheté par des Qataris (ou de nouveaux riches anciens soviétiques) et essentiellement composé de joueurs mondialisés peut-il représenter ma ville (qui se croit obligé de le subventionner avec mes impôts) ? Comment parler d’un « championnat de France », dans lequel plus de la moitié des joueurs sont étrangers. (Les équipes nationales restent composées de nationaux, mais jusqu’à quand ?)

Ce cosmopolitisme devrait au moins nous permettre d’éradiquer les chauvinismes imbéciles. Il n’en est rien, hélas. On continue à faire semblant que ces joueurs, qui ne rêvent que de leur propre gloire, ne pensent qu’à faire fortune et se conduisent comme des voyous, sont nos représentants. Cet esprit de clocher délirant amène, même pour les compétitions de troisième zone, à d’incroyables violences dans les stades où les « supporters » se battent à coup de cannettes, de fumigènes ou de sièges. Il faut désormais de centaines de policiers mobilisés pour maintenir l’ordre dans certaines rencontres, policiers payés là aussi par les impôts de tous et qui seraient sans doute mieux employés ailleurs.

Le racisme le plus primaire a également envahi les gradins. Les décervelés du virage poussent des cris de singe ou envoient des bananes aux joueurs noirs du camp adverse tout en applaudissant d’ailleurs les mêmes joueurs noirs quand ils sont dans leur équipe et leur permettent de gagner.

Gabegie

Voilà que se profile, ballon de baudruche sur le gâteau, la coupe du monde, déchaînement de tous les excès. Les Brésiliens eux-mêmes, pourtant peuple footballistique s’il en est, dénoncent la gabegie que représente cet événement dans leur pays où la moitié de la population manque de tout. Les favelas s’enflamment, plus durement réprimées pour cette révolte salutaire que pour les trafics divers et meurtriers qui s’y déroulent habituellement. La sécurité de la manifestation ne sera assurée que par la répression la plus féroce sur les petits et les sans-grade. Mais, n’en doutons pas, la presse unanime, logée dans des hôtels de luxe, louera une fois de plus « cette merveilleuse fête du sport » et le monde va s’arrêter pendant plusieurs semaines pour ne plus parler que de cela.
N’évoquons même pas les coupes du monde suivantes attribuées, en 2018, à la Russie sous la pression de Vladimir Poutine et, comble de la dérision, en 2022, au Qatar ! Ce pays de 2 millions d’habitants est bien connu pour être une nation de football… mais plus encore pour avoir beaucoup d’argent et être en mesure d’acheter ce (ceux) dont ils ont envie. Il y fait cinquante degrés à l’ombre en été (mais ils vont construire des stades climatisés, très écologiques), des joueurs et entraîneurs français qui sont allés s’y vendre se sont fait rouler dans la farine (dans cette belle démocratie aux mœurs modernes, ils n’ont pas été payés et on leur a retiré leur passeport parce qu’ils ne donnaient pas satisfaction) et surtout des immigrés asiatiques par milliers, notamment népalais, sont réduits à l’esclavage sur les chantiers des stades en construction et les accidents mortels sont innombrables.

Plaisir

Au départ, me semble-t-il, le football est un jeu, mot dont le Petit Robert donne la définition suivante : « Activité physique ou mentale purement gratuite, qui n’a, dans la conscience de la personne qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure. » Gratuité, plaisir, qui peut dire que le football est encore un jeu ? Pour qu’il le redevienne, il faudrait avoir le courage de tout mettre à plat, de repartir de zéro, sur des bases saines. Mais, évidemment, je rêve, il y a trop d’argent… en jeu.

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La jeunesse de Florence Malraux et d’Edgar Morin

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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