WikiLeaks : Transparence et clabaudages
La mise en ligne de 250 000 notes diplomatiques américaines confidentielles par le site WikiLeaks, après bien d’autres « secrets » révélés par ce même site, devrait poser beaucoup de questions aux journalistes qui s’en emparent pour nourrir leurs propres colonnes.
En tout cas, moi, ça m’en pose et me laisse perplexe.
D’abord, WikiLeaks usurpe son nom, car son fonctionnement n’a rien d’un site collaboratif ouvert qui est le principe d’un wiki. Les documents sont au contraire divulgués de manière anonyme, non identifiable et sécurisée et seuls des contributeurs dûment autorisés peuvent apporter des modifications.
Son fondateur, Julian Assange, a l’ambition d’en faire « l’organe de renseignement le plus puissant du monde » pour assurer une transparence planétaire tout en se protégeant derrière l’opacité la plus complète. Bien sûr, tout informateur, en démocratie, est en droit de protéger ses sources. Mais se faire le chevalier blanc de la transparence des autres en se cachant soi-même derrière un rideau noir a quand même quelque chose de contradictoire. Se comporter comme ceux qu’on dénonce pour pouvoir les dénoncer n’est pas sans ambiguïté.
Confidences
Ensuite, il y a évidemment la question de la transparence en démocratie. Révéler les turpitudes de ceux qui nous gouvernent, politiquement ou économiquement, fait partie des règles démocratiques et c’est un des rôles essentiels de la presse. Sans ce fameux contre-pouvoir, certains de nos dirigeants auraient vite fait de dériver vers des pratiques douteuses (déjà qu’ils ne s’en privent pas !).
Mais jusqu’où faut-il aller ? Et avec quelles conséquences ? Dans le cas présent, il ne s’agit pas de malversations, de détournements ou autres affaires crapuleuses, mais seulement d’échanges d’informations entre le département d’État américain et ses ambassades. Que celles-ci soient aussi des officines de renseignements n’est un secret pour personne. Que leurs commentaires confidentiels montrent le dédain ou la condescendance avec lesquels les États-Unis traitent les autres chefs d’État et gouvernement n’est malheureusement pas un sujet d’étonnement, juste une confirmation. Mais la révélation du contenu de ces notes apporte-t-elle un peu plus de démocratie ? On peut en douter.
Secret
Car il ne s’agit pas ici de rapports officiels, ni d’accords secrets ou de petits arrangements entre ennemis. Simplement d’impressions, de constats personnels, de conversations privées rapportées par des diplomates sur d’autres personnalités politiques. Dans la vie courante, personnelle ou professionnelle, chacun a droit de porter un jugement, d’émettre une opinion sur une autre personne, et d’en faire part à ses proches sans que ces appréciations soient immédiatement divulguées. Ces secrets que nous partageons avec quelques-uns sont constitutifs de la relation que nous construisons avec eux, de nos stratégies personnelles et ne sont souvent que des sentiments passagers et très subjectifs. Nous n’avons nulle envie que les personnes concernées les apprennent, sachant bien que « toute vérité n’est pas bonne à dire », selon le vieil adage.
Ici, il est clair que ces vérités n’étaient pas bonnes à dire, car elles risquent d’avoir des conséquences néfastes sur les relations internationales déjà très tendues et de donner des arguments aux pires extrémistes.
Remarquons, au passage, que certains se choquent que des propos très critiques tenus, sur Facebook, à l’égard de leur entreprise par des salariés aient abouti à leur licenciement. Mais, même s’il s’agissait de conversations « privées », leurs auteurs n’ignoraient pas que ce « secret », dès lors qu’il était sur Internet, était potentiellement partageable par tout le monde. Avec WikiLeaks, nous sommes dans le cas inverse. Ces indiscrétions ont été dérobées et mises sur la toile par un tiers, au risque de déclencher des conflits.
C’est pourquoi on peut se demander ce que recherche vraiment le créateur de WikiLeaks en se donnant pour mission de révéler systématiquement tous les secrets des États ou des grandes organisations ? Est-ce vraiment une entreprise de moralisation des mœurs politiques (et dans ce cas, il n’est pas sûr que sa méthode soit la bonne) ? Ou est-il en quête de gloire, de pouvoir ? A moins qu’il ne fasse lui-même le jeu de manipulateurs qui ont intérêt à déstabiliser la démocratie ? A partir du moment où il reste lui-même dans l’obscurité (d’autant qu’il se cache aussi parce qu’il est poursuivi pour une affaire de viol), difficile de le savoir.
Utopie
En tout état de cause, il devrait savoir que le rêve de transparence, qu’il prétend poursuivre, est un rêve totalitaire. C’est le rêve des dictatures de savoir ce qui est dans la tête de chacun, ce que chacun pense du régime et de ses gouvernants.
La transparence est tout autant une utopie de la communication. C’est une vision réductrice des relations humaines de croire qu’elles puissent être limpides, chacun ayant déjà du mal à se comprendre lui-même… L’impératif de « tout dire » est d’ailleurs une dérive totalitaire de notre société dite de « communication ». Mais, même si on pouvait y parvenir, à quoi ça servirait. Que faire des 250 000 fiches mises à notre disposition pas WikiLeaks ? Qui a envie de les lire vraiment ? Cette monstruosité informative porte en elle-même ses limites, notre capacité humaine à ingérer de l’information.
L’ironie de l’affaire, c’est qu’effectivement ces révélations n’ont pour l’instant – on peut s’en réjouir – provoqué aucun clash diplomatique. Elles ont été absorbées, comme le reste, dans le flot, le torrent des informations quotidiennes. Mais surtout, elles ont essentiellement nourri les rubriques people. Car, finalement, qu’est-ce qui a retenu l’attention de nos journaux et de leurs lecteurs ou auditeurs : les ragots, les clabaudages et les railleries portés par le petit monde diplomatique sur le petit monde politique.
Au total, il n’est pas sûr que WikiLeaks serve l’information et la démocratie.
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