Un sondage Harris Interactive* ( pour l’Humanité Dimanche) a interrogé un échantillon représentatif de Français afin de savoir s’ils jugeaient envisageable qu’une révolte ait lieu aujourd’hui en France, s’ils le souhaitaient et quels seraient pour eux les motifs de révolte. Les réponses sont inédites mais à peine surprenantes.

1. Il y a plus d’individus (58%) qui souhaitent qu’une révolte se produise aujourd’hui en France que de personnes (49%) qui estiment que la population est capable de se révolter.

2. Les Français font état de nombreux motifs, si ce n’est de révolte, au moins d’énervement, dans la société française actuelle, tels que la situation de l’emploi, le coût de la santé, le pouvoir d’achat, les différences sociales ou encore les perspectives d’avenir de la jeunesse.

3. On observe sur ces questions une importante fracture politique avec d’un côté des sympathisants de gauche qui jugent l’ensemble des situations soumises à leur jugement révoltante (à l’exception de l’état des libertés publiques) et qui ont majoritairement le sentiment qu’une révolte pourrait se dérouler en la France et de l’autre, des sympathisants de droite, « énervés » par un certain nombre de points, mais rarement révoltés et hostiles à tout soulèvement.

Les Français sont à ce jour très partagés quant au fait de savoir si une révolte pourrait se produire dans le pays : 49% estiment en effet que leurs compatriotes sont aujourd’hui capables de se révolter contre 50% qui jugent que non. C’est avant tout la sympathie partisane qui influe sur la réponse apportée à cette question : les sympathisants de gauche estiment à 57% qu’une révolte est possible (et même à 64% pour les sympathisants du Front de Gauche) alors que les sympathisants de droite ne sont que 39% à partager cette opinion. Notons également que des différences se font jour en fonction du sexe et de l’âge du répondant : les femmes jugent davantage que les hommes que les Français sont capables de se révolter (54% contre 44%) et les 35-49 ans davantage que les 18-24 et 25-34 ans (53% contre 46% et 45%).

Si les jeunes ne sont pas les plus nombreux à juger la révolte envisageable, ce sont pourtant eux qui l’appellent le plus de leurs voeux : ainsi, 62% des 18-24 ans et 64% des 25-34 ans souhaitent que les Français se révoltent aujourd’hui, tout comme 58% de l’ensemble des Français.

Il y a donc plus de Français qui souhaitent que le pays se révolte que de Français qui estiment cela possible, signe que pour une partie d’entre eux, il existe une forme de résignation dans le pays en dépit des sujets qui pourraient susciter la révolte. En effet, bien que les deux sentiments soient pour partie corrélés (57% de ceux qui souhaitent que les Français se révoltent les estiment capables de le faire), on observe des franges de la population pour qui ce lien n’est pas évident : ainsi si 95% des sympathisants d’extrême gauche souhaitent que le peuple se révolte, ils ne sont « que » 53% à penser que cela est possible.

Seuls les sympathisants de droite (18%) sont défavorables à une révolte, alors que les sympathisants de gauche (80%) et du MoDem (59%), mais aussi les personnes sans préférence partisane (58%) ainsi que plus des deux-tiers des sympathisants du Front National (67%) souhaitent qu’une révolte ait lieu.

Notons également que 66% des membres des catégories populaires désirent que les Français se soulèvent contre 53% des membres des catégories supérieures.

Interrogés ensuite sur les sujets qui les révoltent, les Français désignent d’abord « la situation de l’emploi ». 47% se déclarent en effet révoltés par la situation de l’emploi dans le pays, auxquels s’ajoutent 38% de personnes énervées. Viennent ensuite « le coût de la santé » (46% et 32%) ainsi que « votre pouvoir d’achat » (42% et 35%). Aux mêmes niveaux, suscitant la révolte ou l’énervement chez environ ¾ des Français, on trouve « les différences sociales en France » (46% et 30%) ainsi que « les perspectives d’avenir de vos enfants » (42% et 33%). C’est donc bien la panne de l’ascenseur social français ainsi que la remise en cause du modèle de solidarité qui suscitent le plus chez les Français d’appétence à la révolte.

Si près d’un tiers des Français (31%) se dit indifférent aux « dernières affaires » qui ont pu secouer le monde politique comme les affaires Woerth-Bettencourt ou Michèle Alliot-Marie, 28% y voient un motif d’énervement et 38% un sujet de révolte.

En dernière position émergent « les libertés publiques en France » (27% et 32%), la situation française apparaissant vraisemblablement moins problématique sur ce point que les récents exemples tunisien ou égyptien.

Dans le détail, on constate d’ailleurs que les sympathisants d’extrême-gauche et de gauche se disent majoritairement révoltés par l’ensemble de ces points, à l’exception du dernier. Quant aux sympathisants de droite, s’ils peuvent se déclarer « énervés » par un certain nombre de points, ils ne sont jamais majoritairement révoltés (tout au plus 21% de révoltés par le coût de la santé) et sont même majoritairement satisfaits ou réjouis de l’état des libertés publiques (55%).

On observe également que les femmes ont davantage tendance à se déclarer révoltées ou énervées que les hommes (sauf pour ce qui a trait aux « affaires »), les catégories populaires plus que les catégories supérieures et les habitants de province plus que les Franciliens. Notons enfin que les plus jeunes sont en général moins révoltés ou énervés que leurs aînés. S’ils souhaitent davantage qu’une révolte éclate, ils semblent pourtant trouver moins de sujets de révolte personnelle dans la société française.

Cette enquête a-t-elle une vocation prédictive ?

Absolument pas. On le sait, il est plus facile de se déclarer révolté… que de passer à l’acte. On le sait également, la révolte s’inscrit dans un contexte de crise majeure, nécessitant structuration organisationnelle et débouchés politiques. Et, actuellement, aucune de ces deux conditions ne semblent remplies. Comme nous l’avions vu lors d’une récente enquête1, la Gauche n’apparaît pas susceptible aux yeux des Français de mener une politique nettement plus efficace que celle poursuivie par le gouvernement.

* Enquête réalisée en ligne par l’institut Harris Interactive les 10 et 11 février 2011 à la demande de L’Humanité Dimanche. Echantillon de 1247 individus issus de l’access panel Harris Interactive, représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle de l’interviewé et taille d’agglomération.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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