9 janvier 2011

Scoop fiction

En ce début d’année 2011, je m’apprêtais à traiter d’un sujet léger, histoire de rester dans un esprit festif et joyeux.

Et j’avais jeté mon dévolu sur le bug de l’iPhone, événement mineur s’il en fut, qui concernait une panne d’alarme sur quelques appareils ayant une version 4 du logiciel non mise à jour. Je peux témoigner que le mien, en version 4.2.1, n’a pas oublié de me réveiller.

Comment cette affaire insignifiante s’est-elle répandue comme une traînée de poudre ? Comment ce bug, sans autre conséquence que quelques pannes d’oreiller, a-t-il pu faire écho, à 11 ans de distance, au fameux bug de l’an 2000 (lui aussi largement surmédiatisé) ? Pourquoi un journal aussi sérieux que Le Monde (selon la formule rituelle, mais Le Monde est-il encore un journal sérieux ?) consacre à cette « catastrophe », sur son site web, plus de 5 feuillets de témoignages aussi affligeants les uns que les autres : « Nous avons libéré notre chambre d’hôtel avec une heure de retard ! », « C’est mon fils qui m’a réveillé parce qu’il avait soif », « Ma petite sœur a dû m’attendre à l’aéroport », « Mon excuse de retard n’a pas été acceptée ». Hou la la, que c’est grave, que c’est important, cette vie difficile des vrais gens à cause d’une pétouille iphonique, au moment où sautent les églises coptes remplies de fidèles, où les Ivoiriens se déchirent à cause des fous qui les gouvernent, où quelques millions de chômeurs n’ont plus besoin de réveil pour aller travailler.

Promotion

J’avais donc l’intention de décrypter avec humour les ressorts journalistiques qui transforment un fait négligeable en information nationale, mais voilà qu’un fait médiatique beaucoup plus troublant me ramène à l’esprit de sérieux : pour le magazine de France 2, Envoyé spécial, « deux reporters armés déjouent la sécurité des aéroports », comme titre, par exemple Le Figaro. Ce scoop a été largement relayé par la presse, démultipliant cette « information » à laquelle personne n’a pu échapper. Les journalistes ont donc réussi leur coup, on parle d’eux et de leur reportage, et ils sont les premiers à bénéficier des retours de leur opération commando. Cela leur vaudra certainement une promotion et on leur confiera plus facilement des reportages. On sait que jadis Christine Ockrent avait gagné ses galons de présentatrice du 20 heures en allant interviewer le général iranien Hoveida, ancien premier ministre du shah d’Iran, l’avant-veille de son exécution sommaire par les ayatollahs.

Falsification

Les journalistes sont à la recherche du scoop pour qu’on les reconnaisse et pour mieux se vendre. C’est la loi du genre, admettons-le, même si je pense que le sensationnel nuit au sens. Ce qui me gêne, ici, c’est que nos Tintin n’ont pas été chercher le scoop, mais l’ont créé de toutes pièces.

Dans mon esprit, le rôle des journalistes est de révéler et relayer des informations importantes et non pas de les fabriquer. Or, dans le cas présent, ils ne révèlent pas que des terroristes ou des malfrats ont transporté un pistolet dans un avion, ce qui serait effectivement une information méritant d’être portée à la connaissance du public, mais ils fabriquent l’objet de l’information pour la faire exister. Ils n’en sont pas les découvreurs, mais les auteurs, et, construisent ainsi une fiction qu’ils prétendent vraie. Car, dès lors qu’ils introduisent eux-mêmes dans l’avion une arme dont on espère qu’ils n’avaient pas l’intention de se servir, on n’est plus dans la réalité d’un acte dangereux qui se serait produit « pour de vrai » (et s’est peut-être déjà produit, sans que personne ne le sache) et aurait été mis à jour par leur enquête, mais dans un jeu qu’ils ont inventé pour leur propre compte. Ils sont, in fine, la matière et la source de leur enquête. En ce sens, ce sont des falsificateurs qui trahissent leur métier, si celui-ci est encore d’essayer d’approcher une certaine vérité.

Infraction
Si les autoreporters ont déjoué la sécurité des aéroports, ils ont surtout joué avec l’information, de manière un peu dangereuse, me semble-t-il. Car, au fond, que disent-ils ? Non pas que des gens malveillants se promènent dans les avions avec des armes, mais qu’il est possible de le faire assez facilement. Avis aux amateurs malintentionnés donc ! Que cherchent-ils encore ? A montrer qu’il n’y a pas de sécurité absolue ? On le sait depuis que les gendarmes courent après les voleurs en n’arrivant jamais tout à fait à les rattraper. A pousser au renforcement des contrôles aux aéroports ? Chaque voyageur a déjà vécu la pénibilité des portiques, déshabillages virtuels, fouilles et palpations qui allonge la durée des vols. Peut-être devra-t-on désormais voyager nus. A faire peur ? Certainement, c’est ce qui, médiatiquement, rapporte le plus. A quoi d’autre, d’ailleurs, sert ce genre de scoop ?

Et je me pose une dernière question : depuis quand les journalistes ont-ils un permis de port d’armes ? Leur métier les autorise-t-il à déroger au droit commun, prétendument « pour la bonne cause », celle de l’information ? Sont-ils au-dessus des lois ? Je ne souhaite pas, bien sûr, qu’ils soient poursuivis pour cette infraction. Je me demande simplement si la fin (ambiguë) justifie les moyens (trompeurs et illégaux).

 Lire la chronique précédente : Transparence et clabaudages

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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Le Magazine, Médias et démocratie

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