5 février 2015

Liberté

Yan de Kerorguen

Les marches républicaines massives qui ont réuni plus de 4 millions de personnes, le 11 janvier 2015, en réaction aux attentats djihadistes perpétrés les jours précédents dans les locaux du magazine satirique Charlie hebdo et du supermarché HyperCacher resteront dans les mémoires comme un de ces moments d’étreinte nationale et d’émotion cathartique dont la France, souvent divisée, a le secret. Moment de grâce dont on peut se demander s’il ne représente pas une de ces rares rencontres avec l’histoire. Cette fusion, symbolisée par la fraternisation avec les forces de l’ordre, lesquelles ont perdu pendant ces journées, – il faut le souligner – , trois de leurs représentants, un black, un blanc, un beur, nous surprend par son ampleur. L’événement témoigne d’un sens de la gravité politique qui fait honneur à la citoyenneté. Personne n’a organisé le sursaut républicain et d’ailleurs personne n’a instrumentalisé à des fins politiciennes cette mobilisation historique. A cette occasion, la rue a montré qu’aucun parti, ni courant d’idées, ne peut se revendiquer propriétaire de l’identité française. La majorité des citoyens ont ressenti cette mobilisation internationale sans précédent, comme un espace de fierté qui montre que la tradition politique française demeure porteuse de valeurs universelles dans lesquelles de nombreux citoyens du monde se reconnaissent, sans céder à l’irénisme bêlant. L’ampleur de l’évènement conduit chacun d’entre nous à s’interroger et à revenir aux fondamentaux.

Laïcité : grandeur et solitude de la France

Y’a-t-il eu lors de ces journées mémorables, sursaut du lien républicain, réveil d’une conscience nationale durable ou unique réaction émotionnelle à l’innommable? Ce rassemblement des consciences, rêvé par tant de citoyens, n’est-il qu’un simple moment, beau et incantatoire, ou bien le début de quelque chose de nouveau, de différent ?L’élan populaire a-t-il été suffisamment profond pour laisser espérer un retour de la confiance en France et dépasser les différences ? Ou bien ne fait-il que masquer une société fragmentée ? L’image de la France, par l’importance de cet événement qui a réuni le peuple mais aussi de nombreux chefs d’état sur le pavé parisien, a-t-elle impressionné le monde au point de lui valoir plus de crédit à l’international ? Pourra-t-on parler d’esprit du 11 janvier ?

Voilà quelques questions difficiles qui entrainent la nécessité d’un véritable débat public, capable de s’instaurer au-delà des clivages politiques et confessionnels. Une chose est sûre, le peuple français et ses dirigeants ont su être à la hauteur du drame qui s’est déroulé cette semaine-là. Ne boudons pas notre fierté, au risque de la grandiloquence.

En défendant l’idéal humaniste et l’héritage de la Révolution, le pays de Voltaire est dans une posture singulière. La France est la seule nation à exprimer au monde que la culture est un bien commun indéfectible, que le combat pour les idées est aussi important que le combat pour l’intérêt économique, et que la liberté d’expression est au fondement de cette exigence sur laquelle on ne peut transiger. Par son engagement, le peuple français montre dans la rue que le droit est supérieur à la croyance, que l’individu n’est pas subordonné au communautaire, qu’il faut résister à tout chantage criminel et que la pensée ne se laisse pas intimider. Eh oui, il est heureux d’habiter un pays où l’on peut parler et rire de tout, un pays où la liberté d’expression n’est pas négociable. C’est ainsi que les Charlie rabelaisiens, anarchistes et anticléricaux font d’une certaine manière partie du patrimoine. Cette singularité est une garantie. C’est aussi une solitude.

A la différence de nombreux pays démocratiques qui jurent sur la bible, Grande Bretagne et USA en tête, la France n’est pas une théocratie. Elle est l’un des rares pays à défendre la laïcité, la sécularité des institutions et la libre pensée. Peu de nations comprennent cet attachement fondateur à la liberté d’expression et beaucoup de manifestants du 11 janvier, ont du ressentir cette solitude quand les médias de grands pays ont refusé de montrer la couverture de Charlie dans leurs émissions.

Telle est la solitude de la France, produit d’une longue lutte pour les droits de l’homme. Telle est sa force: empêcher toute forme de présence ou d’ingérence du clergé, dans l’organisation de la vie publique, et prévenir toute interférence entre Église et pouvoir politique. Pas question, sous prétexte de mondialisation, que la France abandonne ses idéaux républicains et laisse les croyances et les régimes à consonance religieuse imposer des règles normatives de la bien « pensance ». Pas question de sacrifier au politiquement correct au risque d’uniformiser les idées.

Pas question de la boucler a dit la rue lors de la mobilisation du 11 janvier 2015 en hommage aux victimes de la tuerie : les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, l’économiste Bernard Maris, la psychanalyste Elsa Cayat, le correcteur Mustapha Ourrad, le fondateur du festival « Rendez-vous du carnet de voyage » Michel Renaud, l’agent de maintenance Frédéric Boisseau, les clients juifs de l’HyperCacher Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, Francois Michel Saada, les policiers Clarissa Jean-Philippe, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet.

La liberté d’expression n’est pas négociable

L’article 11 de la Constitution française pose la liberté d’expression sans autres limites que celles fixées par la loi. Elle est en un mot un principe sacré. Le texte stipule que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». Expliquant que la liberté d’expression fait par nature l’objet d’ajustements perpétuels, Christophe Bigot, avocat au Barreau de Paris, spécialiste du droit des médias, précise qu’ «aucune disposition ne limite la liberté d’expression vis-à-vis des symboles religieux ou des figures divines, notamment dès lors qu’ils sont attaqués par des caricatures. » En deux mots, le blasphème n’existe pas en droit français.

De même, dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la question des dessins et des caricatures n’est pas évoquée. Une jurisprudence concerne l’humour. Elle lui reconnaît une plus large liberté qu’à d’autres moyens d’expression. Une limite demeure: le respect de la dignité de la personne. Au plan européen, le principe est le même. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’utilisation de la satire, même irrévérencieuse, et d’idées offensantes, y compris les critiques de la religion, sont protégées dans le cadre de la liberté d’expression, qui trouve ses limites dans le discours de haine et l’incitation à la violence.

En résumé, le droit français ne protège que les personnes. Il fait ainsi une différence entre d’un côté, la liberté d’expression et de l’autre côté, les délits d’opinion constitués par l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie, l’insulte et la diffamation, l’apologie du terrorisme, l’apologie des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Une différence que peinent à cerner nombre de nos concitoyens, musulmans ou pas. Ces deux notions sont en effet mises sur le même plan. Beaucoup confondent d’une part : la liberté d’expression tournée vers le rire que les dessinateurs de Charlie Hebdo incarnent par leurs étincelles , et d’autre part : l’expression d’une opinion, tournée vers l’obscure, qui s’impose comme délit d’opinion, pénalement condamnable. Dieudonné, par ses propos antisémites, commet un abus de langage sur les personnes. Il n’exprime pas une liberté, mais une opinion qui exprime la haine, il commet donc un délit que la loi punit.

Citoyens et musulmans : à quand « Charlie Abdul » ?

Mahomet n’est pas au dessus de la République. L’anthropologue, Malek Chebel, traducteur du Coran, fait observer que rien, dans les textes sacrés n’interdit la représentation du prophète, même en jeune éphèbe. D’ailleurs, de son vivant, Mahomet était moqué. Les exégètes avancent que le prophète avait de l’humour et aimait rire. Il a été caricaturé et il a d’ailleurs tout pardonné. « Tout est pardonné » annonce en un clin d’oeil savoureux, le magazine Charlie Hebdo, en surtitre de la caricature du prophète, paru après les attentats. Terrible blasphème ou singulier hommage ? La culture de l’irrévérence sait trouver les bonnes références.

Aux citoyens qui trouvent offensant une telle annonce, une telle image, nul ne les oblige à ouvrir les pages du magazine. Ceux qui se disent blessés par l’image du prophète sont libres d’être choqués, tout aussi libres de ne pas regarder. Ils ont aussi toute latitude pour exprimer qu’ils ne sont pas Charlie, et de se sentir blessés. Ils ont également le droit de penser qu’un dessin fait plus de mal qu’une kalachnikov, qu’un crayon peut blesser et que le rire tue. Même si cette idée enfumée est folle et stupide. Enfin, ceux qui crient à l’infamie peuvent toujours poursuivre l’ « infâme » devant la justice s’ils se sentent diffamés. C’est alors la justice citoyenne qui tranchera. Mais plus constructive est la question posée par Malek Chebel : dans une société de l’image, rester dans la non image, comme celle qui interdit (abusivement) la représentation du prophète, est-il raisonnable?

Choquer, déranger, se moquer, titiller les consciences, éveiller l’esprit critique, chacun mesure le risque de l’irrévérence. Mais sans ce risque la liberté n’existe pas. Sans le risque de création, la vie n’a pas de saveur. Sans le risque de la pensée, les choses restent figées. Les caricatures sont faites pour choquer sinon elles ne servent à rien. Bien sûr, tous les pays ne partagent pas cette façon de concevoir la liberté. Aux Etats-Unis, les caricatures de Charlie Hebdo sont inconcevables et politiquement incorrectes. Les Etats-Unis n’autorisent pas à publier les caricatures du prophète. La satire religieuse est taboue. En revanche, on peut arborer des croix gammées en brassard au nom de la liberté d’expression. La justice américaine ne pourrait ainsi pas poursuivre Dieudonné pour délit d’opinion antisémite. Mieux vaut la boucler, disent les pragmatiques américains. Le pape François est lui aussi en faveur d’une liberté d’expression limitée: « Si M. Gasbarri [responsable des voyages du Pape], qui est un grand ami, dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing !, a-t-il déclaré récemment. C’est normal… On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi !” Que le chef de la religion catholique justifie ainsi le recours à la violence est inquiétant!

Comme il est doux de vivre dans un pays dans lequel on a le droit de critiquer les religions !

Egalité : Il n’y a pas de circonstances atténuantes au crime contre l’humanité

Il est difficile de ne pas être gêné par le vocable de guerre, abondamment utilisé, pour qualifier les massacres de Charlie Hebdo et de HyperCacher. Peut-on déclarer la France en guerre comme on peut le lire dans certains médias ? Attention au ton martial qui sous-entend « le choc des civilisations » : occident contre islam, les esprits belliqueux en raffolent. Cela fait leur jeu. L’objectif des terroristes radicaux est d’arriver à cliver la société en provoquant de l’hostilité. Leur but est de déclencher des réactions extrêmes, afin de réactiver une guerre de religions. Il s’agit d’inciter les non musulmans à se radicaliser contre les populations de confession musulmane, en répandant chez les musulmans de France un sentiment de crainte de représailles. Parler de guerre, c’est favoriser la guerre. C’est déjà entrer dans le fantasme des djihadistes, c’est donner du crédit à la théorie du choc bloc contre bloc en mondialisant les antagonismes et en exacerbant les amalgames. C’est ce que souhaitent les fanatiques. C’est aussi ce que souhaitent leurs correspondants d’extrême droite, identitaires et autres fascistes, prêts à en démordre. L’époque des croisades est révolue. Malgré Anders Breivik qui a massacré plus de 70 jeunes norvégiens, au nom de la croisade anti islamique, personne n’a parlé de guerre, sauf l’assassin lui-même.

Employé à tort ou à travers, le vocable guerrier est ainsi imprudent. Il relativise l’horreur des vraies guerres massives. Il flatte la volonté de puissance des djihadistes. Malgré notre effroi, nous ne vivons pas la guerre. Les fanatiques frustrés et violents qui nous gâchent la vie ne sont pas une armée de soldats. Ils n’ont pas la dignité d’un adversaire. Ils forment une collection de délinquants ignorants et décivilisés, qui nous atterrent par leur puissance de feu en utilisant des armes de guerre dans un espace où les gens n’ont que des mots. Charlie les aurait nommé des lâches ou des salopards. La guerre, c’est autre chose ; des peuples les uns contre les autres. La guerre est une histoire de patrie en danger. S’il y a un ennemi, c’est le terrorisme contre lequel il faut lutter sans merci pour être à la hauteur de la menace. Ne cédons pas à la panique de se sentir en guerre, au risque de considérer les Français de confession musulmane comme l’ennemi. Cela compromettrait le besoin d’unité nationale.

De même, le terme d’apartheid n’est pas approprié. Quand le Premier ministre déplore l’existence d' »un apartheid territorial, social, ethnique », il fait une erreur. En Afrique du Sud, l’apartheid était le fait d’une politique publique de ségrégation raciale délibérée qui évidemment n’a jamais été appliquée en tant que telle en France.

Comme dans toute situation tendue où se confrontent des cultures, des comportements, des façons de voir le monde, l’intelligence impose le discernement. Ni angélisme, ni stigmatisation. Mais pour autant, il convient d’identifier clairement les problèmes et impérieux de nommer les choses sans concession.

Un des principaux écueils est la victimisation des assassins. Parce que notre liberté et notre sécurité sont en cause, parce qu’un crime a été commis par des Français sur d’autres Français, ce qui s’est passé ces jours-là à Paris ne souffre pas le recours aux circonstances atténuantes, ni l’évitement, ni l’ignorance. L’effroi que suscite l’existence des 5000 candidats djihadistes dénombrés par les services secrets, dont 1000 actifs, n’autorise pas à relativiser le crime. Impossible de chercher à amender l’horreur de l’acte, ou à le justifier, car la tragédie qui s’est déroulée dans les locaux de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher relève du crime contre l’humanité. On a tué des juifs parce qu’ils sont juifs. On a tué des artistes parce qu’ils sont artistes. Entendre de la part d’un député au Parlement que « nous sommes co-responsables de ce qu’ont fait les Kouachi et Coulibaly », laissant en fin de compte insinuer que ces derniers sont ausi des victimes laisse interdits.

Défendre la liberté de penser et de s’exprimer oblige à mettre les citoyens devant leurs responsabilités. En république, un crime commis sur des individus soit, parce qu’ils revendiquent une liberté de création, soit parce qu’ils sont juifs, soit parce qu’ils représentent l’autorité publique, ne souffre aucune justification religieuse, ni communautaire. Impossible d’excuser le crime. En république, on est citoyens d’abord, croyant ensuite. Les règles républicaines ne reconnaissent aucune communauté autre que la communauté nationale. Mais, parce qu’ils affirment représenter une religion, les imams sont en première ligne, devant leurs « fidèles » pour expliquer ce que signifie le mot « liberté » dans un pays laïc. Aux croyants, qu’ils soient musulmans, catholiques, juifs, protestants ou musulmans de faire un effort pour s’adapter à la laïcité et non à la laïcité de s’adapter aux multiples croyances.

Combattre l’ignorance et la peur

L’ignorance est un des chemins qui mène au crime. La contre culture internet est un véhicule de cette ignorance. Dans 9 cas sur 10, ces djihadistes et autres radicaux sont recrutés sur le net. Après avoir cédé à la propagande de gourous ou pseudo émirs, ces fanatiques passent à l’acte violent, par écran interposé, dans la solitude nocturne de leur frustration. Ils veulent venger le prophète mais la plupart n’ont pas lu une ligne du Coran. Pour combler le vide de leur être, ils se confectionnent un islam ardent qu’ils trouvent sur le marché de la barbarie. La vengeance est à leurs yeux légitime.

Là n’est pas la seule inquiétude. Très préoccupante est la situation dans les quartiers, à l’école, dans les établissements pénitenciers. La coupure entre les Charlie et les non-Charlie est nette. Une partie importante des jeunes est sensible à la théorie du complot judéo maçonnique, véhiculée entre autres par les fans de Dieudonné qui jouent sur le registre de la culpabilité des anciens colons. Quand on les interroge, ils n’hésitent pas à avancer que « Charlie Hebdo l’a bien cherché. On n’insulte pas le prophète ». Quant aux juifs, « ils n’ont qu’à pas massacrer les Palestiniens ». Tel est le terrible ressentiment souvent banalisé qui s’est fait entendre parmi les non-Charlie. Cela témoigne d’une sorte de « musulmanitude », une foi de façade dont il est difficile d’évaluer la sincérité mais dont la virulence est manifeste. Cette attitude témoigne aussi d’un ressentiment dévastateur à l’égard de jeunes qui ont « réussi »: les « beurettes » émancipées, les soldats et policiers de confession musulmane, les étudiants juifs. Plus généralement, on peut noter qu’une partie des musulmans, avant même d’avoir un mot ou un geste de compassion à l’égard des victimes, s’enferment dans une mentalité victimaire s’arrogeant un statut de victime qui leur fait presque oublier la tuerie qui s’est déroulée entre le 7 et le 9 janvier 2015.

Face à cet ensemble de complexes, les enseignants sont souvent désarçonnés. Les associations de quartier prônant le lien social peinent également à donner des réponses à ces idées toutes faites. Heureusement rappelle l’historien Benjamin Stora, il ne faut pas sous-estimer les nombreuses réussites de l’intégration en France. Une des taches à accomplir est de leur apporter plus de visibilité.

Autre danger : l’autocensure. Depuis les évènements du 7 janvier, nombre d’expressions culturelles publiques ont été supprimées sous prétexte de sécurité. Ainsi, en région parisienne, une installation de l’artiste plasticienne franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah, représentant des paires d’escarpins sur des tapis de prière musulman, a été annulée par crainte d’incidents. Les commissaires de l’exposition ont été informés par la municipalité de mises en garde émanant de représentants d’une fédération d’habitants de confession musulmane sur « d’éventuels incidents irresponsables non maîtrisables pouvant survenir ». Le plus célèbre carnaval allemand, celui de Cologne, a déprogrammé la présentation du char Charlie Hebdo dans son défilé du 16 février. Ces renoncements ont un prix : l’atteinte aux libertés, le repli sécuritaire.

« On n’a pas le droit d’avoir peur », soutient Patrick Pelloux, urgentiste et membre du comité de rédaction de Charlie hebdo. L’Europe ne doit pas céder à la peur et « continuer d’utiliser l’humour et la satire », a déclaré l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), à l’issue d’un débat d’urgence, qui s’est tenu en session plénière à Strasbourg. La résolution adoptée par l’assemblée souligne la nécessité « d’apporter d’urgence une réponse commune, internationale mais aussi spécifiquement européenne » à la menace djihadiste. S’agissant des réponses sécuritaires, l’Assemblée a mis en garde contre la surveillance massive indiscriminée, « qui s’est révélée inefficace pour la prévention du terrorisme et dangereuse pour le respect des droits de l’homme ». Elle préconise en revanche “un renforcement de la coopération entre les services de renseignement des différents pays européens, ainsi qu’avec les pays du Proche-Orient”. La sécurité doit aux yeux de l’APCE, s’accompagner de mesures préventives dans les prisons, sur les réseaux sociaux, à l’école, dans les quartiers défavorisés, afin d’éradiquer les causes mêmes de la radicalisation, précise le texte adopté. La laïcité, c’est à dire le principe de la séparation de l’Etat et des religions, doit également être protégée.


Fraternité: Entreprendre la réforme de l’Islam français

Où sont les voix laïques des musulmans ? Force est de constater que les autorités légitimes parlant au nom de la religion musulmane n’ont pas été à la mesure des problèmes grandissants que posait le rapport à la religion vécu par des jeunes des quartiers. Combattre l’ignorance de ceux qui revendiquent leur islam à tort et à travers est une priorité. Les Français de confession musulmane n’ont pas non plus œuvré à se donner une représentation politique ou religieuse stable. Cette absence de réactivité a pu pousser de nombreux citoyens à s’interroger sur l’abandon philosophique et moral de l’Islam et de ses élites dans le débat public. Surtout, lorsqu’au nom du prophète, certaines dérives ou crimes ont pu être constatés. On peut toutefois reconnaître qu’étant une religion jeune en France, l’islam n’a pas eu le temps de se formater. La construction de mosquées est un phénomène récent, à la différence des synagogues, des églises et des temples. Il ne s’agit pas d’exiger des institutions musulmanes qu’elles fassent la police parmi leurs ouailles ou qu’elles fassent entendre leur réprobation à chaque fois que se produit un raté ou une dérive, mais bien plutôt qu’elles construisent une légitimité. Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) intervient peu et ne pèse pratiquement pas dans les initiatives à mener.

Sans doute la république française n’a pas non plus été à la hauteur de l’enjeu. Elle n’a pas soutenu les initiatives permettant aux acteurs de terrain, aux enseignants, aux associations de contrecarrer des influences délétères et obscurantistes.

Exhorter et encourager les élites de confession musulmane à participer au débat public est un des grands enjeux actuels. Il va de pair avec le travail pédagogique de longue haleine qu’il convient de renforcer. Le réancrage positif de l’islam dans le système laïc est une priorité. Car le système laïc, qui favorise le dialogue entre les cultes, protège ce qui est commun. Il est la garantie de la république. Ce débat n’est pas que français, il est européen. L’hexagone n’est en effet pas le seul territoire concerné par le terrorisme islamique. Proportionnellement à leur population, la Belgique ou le Danemark compteraient plus de djihadistes que la France en Syrie et en Irak. Les terroristes qui s’apprêtaient à agir en Belgique sont des jeunes musulmans belges. Pour rappel: les attentats de Londres en 2005 qui ont fait 56 morts ont été perpétrés par 4 jeunes musulmans britanniques. En 2004, l’attentat de Madrid, avait été beaucoup plus meurtrier encore avec près de 200 morts.

Il y a heureusement, soyons justes, un islam des Lumières qui accepte qu’on représente le prophète et même qu’on s’en moque. Il y a des imams éclairés qui, publiquement, entreprennent ce travail de lien avec la citoyenneté. Certains d’entre eux, Hassen Chalghoumi à Drancy, Tareq Oubrou à Bordeaux ont commencé à prendre pleine part au débat public. Il faut les saluer. Au-delà de ces prises de position courageuses, l’enjeu est que l’islam se réforme et accepte de se confronter aux avancées sociétales. Il y a d’importants sujets sur lesquels les musulmans, au même titre que les croyants d’autres confessions, ont avantage à évoluer : la liberté d’expression, l’ouverture à la contradiction, l’utilisation de l’image, le statut des femmes, l’homosexualité, la tolérance…

Un autre homme est mort récemment, un ami de Charlie. Il s’appelle Abdelwahab Meddeb. Il a écrit un livre « La maladie de l’islam » dans lequel il nommait cette maladie : l’islamisme. Il n’avait de cesse de dénoncer cette « gangrène ». En musulman éclairé, se réclamant de Voltaire, cet écrivain franco-tunisien voulait transmettre la laïcité française à l’islam. « Ce n’est pas à l’Europe de s’adapter à l’islam, c’est à l’islam de s’adapter à l’Europe, à l’islam d’apprendre à subir la critique même la plus offensante sans en venir au crime de sang pour se défendre » écrivait-il. Dans ses derniers moments, avant de mourir du cancer, il pensait qu’il y avait deux combats essentiels : le « refus des horreurs islamistes » et la « transmission des merveilles de l’islam ».

« Le droit de l’intolérance est absurde et barbare : c’est le droit des tigres et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes » (Voltaire. Traité sur l’intolérance)

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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