Par l’association ICE (Initiative Citoyens en Europe)

Pour tous ceux que la politique intéresse, l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis après le vote britannique en faveur du Brexit, fut un message politique d’une grande brutalité pour nos vieilles démocraties. Message brutal, parce qu’il bouscule l’idée que tous les analystes se font des mécanismes du débat démocratique en période électorale : in fine, lorsqu’il s’agit de leur destin aussi bien collectif qu’individuel, la grande majorité des électeurs se rendrait aux arguments des forces politiques et économiques dominantes ; quand bien même les inégalités sociales s’accroissent dans le monde occidental, il ne serait pas concevable que l’on casse un système qui, bon an mal an, vous assure la paix à domicile et un niveau de vie qui reste largement supérieur à celui de la plus grande partie de l’humanité.

Cet appel à la raison démocratique est aujourd’hui balayé par des forces populistes montantes,  en Europe et ailleurs affirmant s’opposer aux institutions en place. La crise politique mondiale que nous vivons est d’une telle ampleur que les analystes ont du mal à en prendre la véritable dimension, comme à chaque fois que la « grande histoire » s’invite dans le quotidien de l’humanité.

Ce que nous disons ici, c’est que nous assistons à une véritable crise révolutionnaire dans l’ensemble du monde occidental, une crise qui ne prend plus la forme archétypique des deux siècles précédents, avec insurrection armée et élimination physique des « nantis ». Au XXIème siècle l’aspiration révolutionnaire prend le chemin du vote démocratique, avec cependant le même objectif, l’élimination politique des privilégiés d’un système qu’on rejette.

Ainsi, le plus frappant pendant les récentes campagnes en Grande-Bretagne comme aux USA, fut le rejet par l’électorat du jugement des principaux leaders d’opinion sur le défaut de qualité intellectuelle, de sérieux, de professionnalisme des candidats qui in fine allaient gagner les élections. Plus la parole était brute, plus elle était sincère ; plus elle témoignait de connaissances approximatives, plus elle démontrait n’être pas compromise avec les politiques précédentes. Et les exemples abondent de réactions du même type devant le débat politique français vis-à-vis de l’extrême droite. C’est bien la parole de ceux qui ont bénéficié du système, qui est désormais disqualifiée. Tout ce qui fut respecté depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, la connaissance et la compétence, est désormais rejeté car suspecté d’être une chimère au service de ceux qui profitent seuls des richesses de notre monde.

Ces dispositions d’esprit, proprement « révolutionnaires », trouvent leur source dans deux éléments dont la combinaison récente est devenue explosive.

Le premier élément c’est la tendance, lourde et salutaire, qui veut que cesse au XXIème siècle le pillage des richesses du monde au principal bénéfice de l’Occident. Paradoxalement, c’est bien le résultat de la mondialisation, puisque la recherche de nouveaux marchés et le maintien de profits élevés ont conduit à la création d’ « entreprises-monde » qui de fait intègrent des territoires toujours plus grands dans leur sphère d’activité, stimulant de facto le développement endogène de nouvelles puissances économiques, telles l’Inde ou la Chine. Elles ont contribué ainsi à l’augmentation du niveau de vie en Asie, en Amérique latine, et plus lentement en Afrique, tandis que celui des moins qualifiés des travailleurs du monde occidental n’a cessé de baisser. La vérification continuelle de cette diminution relative de la richesse des populations occidentales conduit les électeurs à mettre en doute les compétences des décideurs quand il s’agit du porte-monnaie du citoyen lambda, et leur intérêt sincère pour la situation de l’emploi dans leur pays.

Le deuxième élément est la crise du système bancaire américain, donc international en 2008, qu’aucun de nos économistes réputés –et a fortiori aucun de nos responsables politiques- n’avait vu venir. Cette crise a non seulement eu de dramatiques conséquences pour les classes moyennes américaines surendettées, mais elle a, dans le monde entier, ruiné le crédit des analystes et experts, dont la parole d’autorité avait régit nos démocraties depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.

A la stupeur initiale de 2008, a succédé une sourde colère, ravivée par la désinvolture avec laquelle les mêmes analystes et experts ont repris avec morgue leur fonction d’autorité pour expliquer pourquoi il ne fallait pas quitter l’Europe. Pendant cette même période, au fil des élections en France, nos dirigeants politiques se sont disqualifiés par des promesses électorales jamais atteintes : réduction de la fracture sociale, diminution du chômage, augmentation du pouvoir d’achat, mise au pas de la finance, justice fiscale, autant d’engagements non tenus, qui ont ruiné le crédit de la parole politique. Quand les électeurs pensent que ceux qui bénéficient mieux qu’eux de la situation présente n’ont pas les compétences dont ils se targuent pour éviter des crises économiques majeures, ni pour éviter que les perspectives de bien-être pour la génération suivante s’assombrissent, alors ils font la révolution dans les urnes en « renversant la table ».

Si l’on ne veut pas comprendre la légitimité de cette révolte, la mettre au compte de cerveaux malléables, parfois xénophobes et insuffisamment préparés à entendre raison, alors comme les aristocrates en 1789 ou les Russes blancs de 1917, dont beaucoup étaient de fins esprits qui ont fait honneur à leur pays, on finit à la lanterne. Mais si on est naturellement porté à comprendre que l’injustice sociale est intolérable pour ceux qui la subissent, même quand il ne s’agit pas de la plus grande pauvreté, alors on doit porter dans le débat public quelques éléments de réflexion politique susceptibles d’éviter que l’aspiration au bouleversement de l’ordre actuel ne contribue à plus d’asservissement sur notre continent, à son déclin inéluctable sous les coups de nouvelles formes de national-socialisme qui ont, il y aura bientôt un siècle, produit les bases du fascisme en Europe.

Il faut rappeler à nos concitoyens que la juxtaposition des nationalismes, en Europe et dans le monde, est non seulement l’assurance de notre rapide déclin, dans un cadre international où la compétition fait place à la confrontation. C’est aussi un facteur d’insécurité pouvant conduire à des conflits armés que l’Histoire ne nous permet pas d’ignorer. Il faut donc oser affirmer l’importance de la reconstruction de l’Europe sur les ruines de celle que le Brexit, et d’autre Exits à venir n’en doutons pas, sont en passe de démanteler. Cette Europe doit être unique au monde dans sa capacité à revisiter l’ensemble de ses bases économiques et sociales autour du concept de durabilité, dans ses matériaux comme dans ses procédures de gestion.

Une telle Europe demande une véritable harmonisation fiscale, une politique de grands investissements concertés, un souci du bien-être, un soutien à l’innovation et à la recherche qui contribueront à la création de richesses pour les générations futures. Cette Europe durable, qui est très éloignée des politiques libérales suivies jusqu’à ce jour, porte en elle la préservation des valeurs de liberté et de justice, de respect des gens, tout simplement, ce qui la distingue de la plupart des systèmes politiques ailleurs dans le monde.

Il est urgent que tous ceux qui ont un temps été abusés par la parole d’autorité de l’expert prennent leurs responsabilité de citoyens et partagent un projet politique qui ne soit pas une simple version remaniée du libéralisme économique de ces dernières décennies.

*ICE (Initiative Citoyens en Europe) est une association, née en 1989. Elle est, à l’origine, le produit de l’adhésion d’hommes et de femmes libres qui ne conçoivent pas de vivre en Europe sans tisser des liens de solidarité élémentaires entre européens.

Pour ICE, la liberté de communication ne traduit la liberté d’expression que si les citoyens des différents pays d’Europe participent activement aux débats qui scellent leur destin commun. Aussi bien ICE privilégie-t-il une approche des problèmes posés par l’Europe sous forme de contacts amicaux et de rencontres, libres et informels, hors des représentations et des professions. Le but étant de favoriser la discussion et non d’emporter l’émotion.

Depuis près de 30 ans, ICE contribue, à travers des Colloques et des initiatives européennes, au développement d’un espace public d’échange intellectuel et de réflexion sociale et politique, où s’affirme la résistance aux irrationalités et aux limitations de la démocratie dont l’Europe a si souvent été le théâtre ; un espace indépendant des puissances économiques, des autorités religieuses, des gouvernements et des partis politiques.

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ICE (Initiative Citoyens en Europe) est une association, née en 1989. Elle est, à l’origine, le produit de l’adhésion d’hommes et de femmes libres qui ne conçoivent pas de vivre en Europe sans tisser des liens de solidarité élémentaires entre européens.

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EDITO, Europe

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