
Restructuration et plan social : quand les ComitĂ©s d’entreprises s’en mĂȘlent
Le rĂŽle du comitĂ© d’entreprise ne se limite pas Ă l’organisation de loisirs et de spectacles. Il peut ĂȘtre un moyen, certes limitĂ© mais nĂ©anmoins utile, de contrĂŽler la gestion de l’entreprise.
Le ProgrĂšs de Lyon, quotidien rĂ©gional de RhĂŽne-Alpes, perd de l’argent et voit sa diffusion baisser depuis plusieurs annĂ©es. Pour faire des Ă©conomies, la direction du journal a lancĂ© en 2004 le projet Millenium qui a pour objectif affichĂ© d’allĂ©ger la masse salariale et modifie considĂ©rablement l’organisation du travail. Face Ă cela, le comitĂ© d’entreprise du journal a utilisĂ© son droit d’alerte (voir ci-dessous) et analysĂ© en dĂ©tail la nouvelle organisation du travail issue de la mise en rĂ©seau de l’ensemble des agences locales et du site centralisĂ© qui met le journal en pages…
On compte environ 30 000 comitĂ©s d’entreprise aujourd’hui en France, en majoritĂ© dans les entreprises de plus de 50 salariĂ©s, oĂč leur crĂ©ation est obligatoire, mais aussi parfois dans des PME. Organisateurs d’activitĂ©s sociales et culturelles pour les salariĂ©s, les CE sont aussi obligatoirement informĂ©s et consultĂ©s sur la gestion de l’entreprise. PrĂ©sidĂ©s par le chef d’entreprise, ils se composent Ă la fois d’une dĂ©lĂ©gation du personnel Ă©lue et de reprĂ©sentants syndicaux dĂ©signĂ©s. Par leur biais, les salariĂ©s ont donc un droit de regard sur de nombreux domaines, allant du temps de travail jusqu’aux rĂ©ductions d’effectifs, en passant par l’introduction de nouvelles technologies, comme on le voit avec le ProgrĂšs de Lyon. Mais la capacitĂ© des CE Ă intervenir demeure trĂšs limitĂ©e en France, en comparaison notamment avec la lĂ©gislation en vigueur en Allemagne : alors que le Betriebsrat allemand doit donner son accord pour toute embauche ou licenciement, le CE français a juste le droit de donner son avis et d’Ă©mettre des vĆux.
Ainsi, le CE du ProgrĂšs de Lyon a commandĂ© un rapport au cabinet d’expertise Alpha. Celui-ci met en lumiĂšre le renforcement des contraintes pour les correspondants locaux et pour les secrĂ©taires de rĂ©daction et, Ă l’inverse, l’allĂ©gement de la charge de travail des techniciens qui s’occupent du montage des pages au point de faire peser des risques pour l’emploi. Conscient « qu’une grande partie du travail des monteurs disparaĂźt », le CE, s’appuyant sur ce rapport, prĂ©conise un autre scĂ©nario que la suppression des emplois et propose de former les techniciens de maquette pour faire Ă©voluer leur mĂ©tier et assurer la pĂ©rennitĂ© de leur fonction. Sera-t-il suivi par la direction de l’entreprise ? Rien ne l’y oblige…
Les effets de la crise
Pourtant, les attributions Ă©conomiques des comitĂ©s d’entreprises n’ont cessĂ© d’augmenter au fil des annĂ©es. Lors de leur crĂ©ation par l’ordonnance de 1945, il Ă©tait prĂ©vu que les CE soient informĂ©s sur les questions touchant Ă la vie Ă©conomique de l’entreprise et qu’ils puissent se faire aider d’un expert-comptable pour analyser les comptes annuels de la sociĂ©tĂ©. La loi du 16 mai 1946 est tout de suite allĂ©e plus loin, en prĂ©cisant que les comitĂ©s doivent ĂȘtre non seulement informĂ©s, mais aussi obligatoirement consultĂ©s sur les questions concernant l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise, et en particulier sur des dĂ©cisions pouvant affecter l’emploi. De mĂȘme, l’expert-comptable qui les conseille peut dĂ©sormais ĂȘtre librement choisi par eux.
MĂȘme si les avis et ces vĆux du CE ne s’imposent pas Ă l’employeur, celui-ci doit rendre compte de maniĂšre motivĂ©e de la suite qu’il leur donne. Par ailleurs, le CE dispose d’un droit d’initiative et de proposition. Et la direction de l’entreprise doit Ă©galement rendre compte, en la motivant, de la suite donnĂ©e aux propositions du comitĂ©. Si le chef d’entreprise ne suit pas la procĂ©dure, le CE peut saisir la justice. L’employeur peut en effet ĂȘtre condamnĂ© au pĂ©nal pour dĂ©lit d’entrave.
A partir de la fin des annĂ©es 60, la protection des Ă©lus en cas de licenciement est mieux assurĂ©e et la section syndicale d’entreprise est reconnue en 1968, deux avancĂ©es sociales trĂšs importantes qui facilitent l’action des CE. Et chaque nouveau texte de loi sur le droit du travail ou l’entreprise, Ă partir de cette pĂ©riode, associe les CE d’une façon ou d’une autre : l’ordonnance de 1967 sur la participation et l’intĂ©ressement leur confie la nĂ©gociation de ces modes de rĂ©munĂ©ration complĂ©mentaire des salariĂ©s, la loi de 1971 sur la formation professionnelle prĂ©voit leur consultation, et celle de 1975 sur les licenciements Ă©conomiques prĂ©voit qu’ils donnent leurs avis.
Les lois Auroux du 28 octobre 1982 marquent dans cette Ă©volution un tournant important. Elles Ă©largissent les prĂ©rogatives des CE en crĂ©ant notamment un budget de fonctionnement dont le montant s’Ă©lĂšve Ă 0,2 % de la masse salariale brute. Ce budget permet aux CE de former leurs Ă©lus et de financer une expertise comptable indĂ©pendante. De mĂȘme, elles crĂ©ent des comitĂ©s de groupe, afin d’informer les membres du CE Ă une Ă©chelle plus pertinente. Enfin, le CE peut aussi, dans le cadre de ses prĂ©rogatives Ă©conomiques, avoir recours au droit d’alerte, afin d’agir en amont quand les Ă©lus, au vu des informations dont ils disposent, sentent peser un risque sur l’emploi. Ce droit permet de demander Ă l’employeur des explications sur des faits « prĂ©occupants » qui pourraient avoir des consĂ©quences sur la situation Ă©conomique de l’entreprise.
Pour autant, comme l’explique le juriste Jacques Le Goff, « la rĂ©forme tombe en pleine crise, Ă un moment oĂč les CE sont le dos au mur et se trouvent dans bien des cas vouĂ©s Ă limiter les dĂ©gĂąts des plans de restructuration plus qu’Ă contrĂŽler, au jour le jour, la gestion de l’entreprise ».
Un contexte incertain
Sur le terrain, François Cochet, expert auprĂšs du groupe Secafi-Alpha constate Ă©galement que, mĂȘme si le droit d’alerte est de plus en plus utilisĂ©, les CE ne parviennent pas encore Ă anticiper d’Ă©ventuelles crises. De mĂȘme, leur action Ă©volue, sous l’effet des contraintes de la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, vers un certain « rĂ©alisme ». « Jusque dans les annĂ©es 80, rappelle François Cochet, les CE Ă©taient plutĂŽt rĂ©ticents Ă nĂ©gocier les plans sociaux par exemple car ils en combattaient le principe mĂȘme. » A partir du milieu des annĂ©es 80, les comitĂ©s d’entreprise ont commencĂ© Ă discuter du contenu des plans sociaux. Et « depuis quelques annĂ©es, les CE se battent plutĂŽt sur les moyens concrets mis Ă disposition par l’entreprise dans le cadre du plan social pour que les salariĂ©s puissent se reclasser ».
HĂ©lĂšne Robert du cabinet Syndex constate de son cĂŽtĂ© que « nous sommes dans un contexte Ă©conomique de plus en plus incertain. Il y a 15 ans, le pĂ©rimĂštre des entreprises et des groupes ne changeait pas tous les ans, comme c’est actuellement le cas. Avec les restructurations, les directions qui sont en face des CE ne sont plus toujours dĂ©cisionnaires. Et mĂȘme lorsqu’elles sont de bonne foi, elles appartiennent Ă un groupe tellement important qu’ils ne peuvent pas voir tous les enjeux, avoir toutes les informations et il est de plus en plus difficile de collecter et de traiter les informations pertinentes. »
Face Ă ce contexte, en rĂ©action Ă des plans de restructuration qui secouent l’opinion (Michelin, Danone…), la loi de modernisation sociale de 2002 avait pour ambition de renforcer encore le pouvoir des CE, et notamment les droits des comitĂ©s d’entreprise en cas de projet de restructuration et de compression des effectifs. « Il ne s’agissait pas d’un droit de veto, mais tout de mĂȘme d’un large droit d’opposition suspensif », commente le juriste Maurice Cohen.
Or, « dĂšs son arrivĂ©e au pouvoir en 2002, la nouvelle majoritĂ© de droite s’est attachĂ©e Ă dĂ©faire une partie des rĂ©formes antĂ©rieures », rappelle Maurice Cohen, et les articles de la loi de modernisation sociale ont Ă©tĂ© carrĂ©ment supprimĂ©s par la loi du 18 janvier 2005 dite de « programmation pour la cohĂ©sion sociale ». Celle-ci a supprimĂ© le droit d’opposition du comitĂ© d’entreprise avec saisine d’un mĂ©diateur ; l’obligation de consulter le comitĂ© sur la stratĂ©gie avant la consultation sur les licenciements ; l’obligation d’une nĂ©gociation prĂ©alable sur la rĂ©duction du temps de travail ; la rĂ©union du comitĂ© en cas d’annonce publique ; la consultation spĂ©cifique avant le lancement d’une offre publique d’achat (OPA), etc.
Pour autant, selon Christian Dufour, directeur-adjoint de l’Institut de recherches Ă©conomique et sociales (Ires), les comitĂ©s d’entreprise vont souvent au-delĂ de leur rĂŽle simple rĂŽle d’information et de consultation, « Ă©ventuellement jusqu’Ă la nĂ©gociation », en principe rĂ©servĂ©e aux dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux. En effet, beaucoup de CE sont tenus par des Ă©lus syndiquĂ©s. Aussi, fait remarquer le chercheur, « quand des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux y siĂšgent, quand la direction de l’entreprise leur donne rĂ©ellement les informations nĂ©cessaires, les comitĂ©s d’entreprise sont de vĂ©ritables instances de reprĂ©sentation des salariĂ©s ».
Surveiller et proposer Pour prĂ©venir des licenciements, le comitĂ© d’entreprise doit se faire force de proposition. Et afin d’ĂȘtre prĂȘt, le CE doit jouer en amont son rĂŽle de veille Ă©conomique et examiner les comptes chaque annĂ©e. Ce suivi a permis aux Ă©lus du comitĂ© d’ECCE, entreprise d’habillement, de voir venir les problĂšmes Ă©conomiques : « Quand on a su que notre client Yves-Saint-Laurent, qui reprĂ©sentait 30 % de notre chiffre d’affaires, dĂ©nonçait le contrat de licence, on a su que c’Ă©tait grave, se souvient Monique Merceron. La direction, de son cĂŽtĂ©, espĂ©rait faire valoir que le contrat ne pouvait ĂȘtre rompu. On a dĂ©clenchĂ© la procĂ©dure de droit d’alerte en novembre 2000. » Christelle Fleury |
Pour Aller plus loin Le droit des comitĂ©s d’entreprise et des comitĂ©s de groupe, par Maurice Cohen, Ă©d. LGDJ, 2005. ComitĂ©s d’entreprise. EnquĂȘte sur les Ă©lus, les activitĂ©s et les moyens, Michel CĂ©zard, Renaud Damesin, Christian Dufour, Daniel Furjot, Adelheid Hege, Catherine Nunes, Catherine Vincent, co-Ă©d. MinistĂšre de l’emploi et de la solidaritĂ©-L’Atelier, 1998. Du silence a la parole, une histoire du droit du travail, des annĂ©es 1830 Ă nos jours, par Jacques Le Goff, Ă©d. Presses universitaires de Rennes, 2004. L’introuvable dĂ©mocratie salariale, par Jean-Pierre Le Crom, Ă©d. syllepse, 2003. Agir avec son comitĂ© d’entreprise, Alternatives Ă©conomiques pratique n° 24, mai 2006, voir : www.alternatives-economiques.fr |