30 mai 2006

Malaise

Mai 2006. Palais de justice d’Angoulême. Neuf jeunes maghrébins issus des quartiers défavorisés de la ville sont jugés pour divers trafics. Au regard des faits, la sanction est lourde. Justice discriminante ? Procès « exemplaire » pour, d’un côté, rassurer la bonne société et, de l’autre, envoyer un message politique fort à ceux que l’on appelle les caïds ? Une de nos journalistes témoigne.

Ce jour-là, neuf jeunes de quartier sont entassés dans le box des accusés du Palais de justice d’Angoulême. Jugés pour trafic de shit, ils écoutent le verdict, qui tombe peu avant 21h00 : entre trois et cinq ans de prison chacun, des amendes allant de 10 000 à 50 000 euros et, pour certains, une interdiction de séjour sur le territoire. Sévère. C’est sûr, ils ne sont pas des anges, mais tout de même : les journaux locaux regorgent de faits divers plus lourds où les peines sont inférieures à celles qui viennent d’être prononcées. « Dernièrement, un dealer d’héroïne qui passait devant le tribunal pour la cinquième fois et qui reconnaissait un bénéfice de 9 300 euros sur les sept derniers mois a été condamné à deux ans de prison dont un avec sursis et mise à l’épreuve, obligation de soin et interdiction de séjour pendant trois ans. Comment expliquer de tels décalages ?« , interroge ainsi un observateur angoumoisin.
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Dans l’assistance, l’amertume est perceptible : certaines familles, des amis s’attendaient à voir sortir l’un des leurs dès le soir même. « Y avait rien dans les dossiers, les avocats n’ont pas arrêté de le répéter« , argumente un des copains. Tous évoquent la même explication : ce ne sont pas des faits que l’on vient de juger, mais d’abord, et avant tout, des maghrébins de quartier. Des caïds, comme on les appelle ; des « figures » des quartiers angoumoisins, comme l’a écrit la presse locale.
Agés de 20 à 30 ans, les neuf jeunes sont, en effet, tous d’origine maghrébine. Et tous habitent l’un des trois « quartiers sensibles » de la ville (Basseau, Ma Campagne, La Grande Garenne). Leurs familles, immigrées de la première heure, y sont installées depuis plusieurs années, et souvent bien connues. Dans le passé, leurs oncles, leurs cousins ou leurs grands frères ont parfois fait parler d’eux. Sur les neuf qui comparaissent aujourd’hui, plusieurs ont aussi un casier judiciaire. Certains ont fait de la prison, comme le « plus costaud de la bande », déjà incarcéré pour violence, et qui resta silencieux tout au long du procès. Avant de déclarer, juste à la fin : « C’est joué d’avance… Je n’ai rien à dire… Vous ne me laissez aucune chance d’avancer. Vous parlez de réinsertion. Pour ma part, c’est de la désinsertion« .
Le verdict prononcé, la salle se lève, silencieuse. Des pères arrivent à s’approcher du box pour embrasser leurs fils, des petites amies sortent en pleurant, des copains s’énervent qu’on leur interdise d’aller serrer la main de leurs potes. Dehors, sept ou huit fourgons de police bloquent le quartier, et des policiers, armés jusqu’au cou, contrôlent les abords du Palais. Incroyable mise en scène, qui pourrait laisser penser qu’on vient de démanteler le cartel de Medelin. Tandis que les « caïds » grimpent dans les fourgons qui les ramènent à la maison d’arrêt, leurs copains les quittent d’un signe de la main. Tout se passe comme si leur destin était tracé : forcément la prison, et ils le savaient. Ils n’ont pas l’air résignés, mais amers. La justice a voulu montrer l’exemple, mais c’est un sentiment d’injustice et de discrimination qui se lit sur les visages. Chez certains, la violence et la haine sont difficilement contenues.
A Basseau, près d’un quart des jeunes hommes ont connu ou connaissent la prison. A la très grande majorité, ils sont d’origine maghrébine, et de familles pauvres. Aux côtés de leurs parents et de leurs grands parents, ils ont souvent grandi dans la relégation, la stigmatisation et le racisme, du fait de leurs origines et de leur lieu de résidence. Ils font régulièrement la Une des journaux, rubrique « faits divers » en temps normal et « société » par temps d’émeutes urbaines.