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Pour en savoir plus sur les inégalités entre hommes et femmes qui perdurent sur le marché du travail et pour se doter de quelques outils d’émancipation, voici deux livres à lire et à méditer.

Le Deuxième âge de l’émancipation. La société, les femmes et l’emploi

Par Dominique Méda, Hélène Périvier


On peut aller toujours plus loin dans l’étude des inégalités hommes-femmes sur CL256_004.gifle marché du travail. Dominique Méda et Hélène Périvier le prouvent avec cet ouvrage qui démarre par une analyse détaillée de l’évolution du temps partiel, aujourd’hui l’une des grandes sources d’inégalités de genre. Car le temps de travail détermine non seulement le salaire des individus mais également leur retraite future.

Pourtant, « à la différence d’autres pays européens, les Françaises sont entrées sur le marché du travail en travaillant à plein temps », rappellent les auteures. Ainsi, la proportion de salariées à temps partiel a plus que doublé depuis le début des années 1990 (passant de 12,5 à 31 %). C’est bien sûr lié à la flexibilisation accrue de la main d’œuvre, mais aussi aux avantages sociaux accordés entre 1993 et 1998 aux entreprises qui ont eu recours à ces contrats, précisent les deux chercheuses, mettant ainsi l’accent sur le poids des choix politiques dans le maintien des inégalités hommes-femmes.

Autre politique publique qui a considérablement contribué à accroître ces inégalités : les congés parentaux, dont le développement maintient les femmes, surtout peu qualifiées, hors de l’emploi et freine leur progression professionnelle.

Avant d’entamer le chapitre où elles font des propositions concrètes (spécificité de la collection La République des idées), les auteures comparent la situation des femmes en Suède et aux Etats-Unis : d’un côté un modèle social-démocrate où l’intervention de l’Etat, au moyen de congés parentaux, a pour but de permettre de mieux concilier maternité et emploi, de l’autre un modèle libéral qui s’appuie sur la discrimination positive. Résultat : en Suède, les femmes se concentrent majoritairement, comme en France, dans des emplois « féminins ». Ces emplois sont néanmoins plus protégés qu’en France et les inégalités entre femmes de qualifications différentes y sont moins marquées que chez nous. Aux Etats-Unis, en revanche, les femmes sont très près de briser le plafond de verre, mais les progrès en matière d’égalité de genre cohabitent avec l’accroissement des disparités entre les groupes sociaux.

Deux modèles d’autant plus intéressants qu’ils renvoient au clivage entre les deux « féminismes » : celui qui reconnaît une « spécificité féminine » s’opposant à celui dont la stratégie est d’investir les domaines masculins.

Les auteures ne rentrent pas dans ce débat, mais adoptent une démarche pragmatique. Le système actuel en France, rappellent-elles, est non seulement injuste, mais également absurde puisque l’investissement éducatif dont bénéficient les filles se trouve aujourd’hui gâché par un marché du travail qui continue à les sous-employer.

Quel modèle inventer alors pour connaître enfin ce « deuxième âge de l’émancipation » féminine que Dominique Méda et Hélène Périvier appellent de leurs vœux ? Les chercheuses proposent à terme une réforme de notre système fiscal qui favorise aujourd’hui les ménages où les femmes sont inactives. Mais il faut pour cela que celles-ci aient un égal accès au marché du travail. Il faut donc au préalable revoir notre système d’aide publique, l’allocation parentale d’éducation, mais aussi l’allocation parent isolé. Bien sûr, ces aides protègent les femmes qui cumulent les handicapes pour trouver du travail. Mais afin qu’elles cessent de freiner l’activité féminine, il faudrait y associer un contrat d’insertion. Il faudrait également réduire la durée des congés parentaux et les diviser en deux parties égales, une pour le père, une pour la mère. Les auteures font des propositions extrêmement précises en ce sens. Il en va de même pour les moyens de développer les modes de gardes ou les propositions que les chercheuses mettent en avant pour repenser les conditions de travail au sein de l’entreprise.

Les progrès de l’égalité professionnelle dans l’entreprise bénéficieraient ainsi à l’ensemble des salariés. De même que le surcroît de population active obtenu en appliquant ces propositions n’aurait que des avantages, en contribuant notamment au financement de la protection sociale.

Bref, plus qu’un ouvrage d’analyse, on a là un véritable programme, chiffré et argumenté.

Coll. La République des idées, éd. du Seuil, 2007, 112 p., 10,5 €

La troisième femme

Gilles Lipovetsky

Un ouvrage qui comence par analyser les progrès de la condition féminine, en images-9.jpgparticulier dans la sphère « privée », de l’amour, de la liberté sexuelle, du rapport à la beauté, où peu à peu les femmes ont en partie converti les hommes à leurs valeurs. En partie seulement. Car les oppositions de genres sont tenaces, en particulier dans l’entreprise, bastion où le pouvoir est resté plus masculin encore qu’en politique. Le sociologue passe ces oppositions à un crible extrêmement subtil, et nous rappelle que les organisations sont le lieu de fonctionnements informels, réseaux, mentors, processus de cooptation, qui jouent consciemment ou non en faveur des hommes.

Cela explique notamment le fait que l’augmentation de la proportion de femmes cadres ne se soit pas traduite pas une présence accrue de celles-ci dans les comités de direction, comités exécutifs et conseils d’administration. Comme l’écrit Gilles Lipovetsky, les hommes font gravir « ceux qui leur ressemblent dans le genre, les mentalités, les comportements, l’apparence, et excluent ceux qui apparaissent « différents ». L’incertitude des décisions crée une pression à la similitude au sommet, dont sont victimes les femmes perçues comme « autres ». » Cela a des conséquences au quotidien, comme le rappelle ce sociologue : « groupe minoritaire, les femmes ont davantage de visibilité que les hommes, leurs comportements sont systématiquement examinés, remarqués et jugés. » Par conséquent, elles ont tendance à faire « profil bas » et se conforment ainsi au stéréotype traditionnel féminin… Des inégalités qui interrogent profondément le processus de la démocratie, rappelle l’auteur.

Coll. Folio, éd. Gallimard, 1997.

Au sujet de Naïri Nahapetian

Naïri Nahapétian est née à Téhéran de parents arméniens. Elle a quitté l'Iran à l'âge de 9 ans, après la Révolution islamique. Elle vit à Paris. Journaliste free-lance durant plusieurs années, elle travaille actuellement pour le mensuel Alternatives économiques. Elle est l'auteure de l'essai L'Usine à vingt ans paru dans la collection « Bruits » (Les petits matins/Arte éditions, 2006) et publie régulièrement des nouvelles, notamment dans les revues Rue Saint Ambroise

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