L’indépendance de la presse n’est pas un concept de salon pour démocrate attardé. Elle est une condition nécessaire à l’information des citoyens, pour qu’ils se forgent une opinion avant de s’exprimer notamment dans les urnes.

Lorsque la presse est placée au banc des accusés par des personnalités politiques, porte-parole de partis qui prennent l’opinion publique à témoin pour contester – à des fins partisanes – la crédibilité d’une information, la démocratie a tout à y perdre.

Certes, la presse n’a pas forcément raison. Mais dans l’affaire Woerth/Bettencourt/de Maistre, l’accuser d’acharnement alors que des conflits d’intérêt impliquant la sphère politique sont mis en évidence et que des éléments contradictoires sont révélés, procède d’une tentative de diversion ou d’enfumage pour que l’opinion publique se détourne du sujet.

Ainsi petit à petit, l’idée se répand dans l’opinion que la presse n’est plus dans son rôle, qu’elle travestit la réalité pour augmenter son audience, qu’elle invente des motifs d’indignation, qu’elle franchit les limites de l’impertinence. Bref, qu’elle n’est pas digne de son indépendance. De là à vouloir la déposséder de son pouvoir… !

Respecter la loi

Ces critiques atteignent d’autant plus leur cible que l’image des journalistes, victimes d’un virus qui s’attaque en même temps à la liberté d’informer, s’est dégradée dans l’opinion. Mais c’est parce qu’elle est indépendante que la presse peut mener ses enquêtes, en vérifiant ses sources tout en les protégeant. Et si le gouvernement a cru bon d’édicter, en janvier dernier, une loi pour renforcer la protection du secret des sources des journalistes, c’est bien que, en France, elle était menacée. Ces rappels peuvent paraître banals, et théoriques. Ils ne sont pas forcément superflus lorsqu’un journal comme Le Monde en vient à porter plainte pour que les lois qui garantissent l’exercice de la liberté de la presse soient respectées. Rien d’autre.

Quatrième pouvoir

Que demandent les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ou internautes dans toutes les enquêtes menées par les médias ?

Que les journalistes leur livrent des faits et leur révèlent le « dessous des cartes ». C’est d’ailleurs le rôle de l’information, qui amène la presse à jouer un rôle de contre-pouvoir lorsqu’elle rapporte et décrit des abus de pouvoir. A ce titre, elle est un élément d’équilibre des pouvoirs, ce qui consacre son rôle irremplaçable dans le fonctionnement d’une démocratie. Que l’indépendance de la presse, ce quatrième pouvoir, soit transgressé, c’est tout le mécanisme démocratique qui s’enraye. C’est pourquoi les journalistes se voient investis d’une véritable responsabilité dans l’exercice de cette indépendance.

C’est pourquoi aussi, jusqu’à une période récente, on n’aurait pas admis qu’un industriel vivant de la commande publique et obligatoirement proche des pouvoirs – dans le domaine de la Défense, par exemple – acquiert des organes de presse nationaux susceptibles d’influencer les votes des électeurs dans un sens favorable à ses propres intérêts.

Aujourd’hui, le phénomène ne semble plus faire débat. Pourtant, les risques de dérive n’ont pas disparu. Les rédactions des journaux s’organisent pour que la pluralité de l’information soit respectée, en créant des « Sociétés de rédacteur » qui peuvent se mobiliser lorsque les principes sont bafoués. Le Monde et Le Figaro, Les Echos et Libération, et d’autres s’en sont dotés. L’évolution de leurs actionnariats, composés d’hommes d’affaires parfois très proches du pouvoir, l’a imposé afin que l’opinion publique soit alertée si la vocation de ces journaux était détournée.

Résistance aux pressions

Cette indépendance irrite les pouvoirs. Le phénomène s’est répandu tans tous les secteurs et à tous les échelons, en politique comme en économie notamment, qu’il s’agisse de presse nationale, régionale ou professionnelle. Les pressions qui s’exercent sur les journalistes sont tout aussi fortes dans les journaux locaux de la part des autorités du lieu ou dans les journaux spécialisés face aux annonceurs publicitaires et leaders professionnels, que dans la presse nationale. La résistance à ces pressions fait, en quelque sorte, partie du métier. Les journalistes incontrôlables sont dans le collimateur des directions de communication. Dès qu’ils agacent ou dérangent, on cherche à discréditer les média.

L’exercice de la liberté suppose un long apprentissage, et la presse doit sans cesse se remettre en question. Elle n’est pas irréprochable. On a pu parler parfois de complaisance, de connivence. Toutefois, la concurrence entre les journaux, radios, télévisions et sites internet se charge de corriger les dérives par des contre-enquêtes ; c’est l’avantage des démocraties de laisser toutes les opinions s’exprimer, et la justification de l’indépendance de la presse. Bien sûr, les médias ne sont pas là pour rendre une certaine justice : ils deviendraient eux-mêmes un risque pour la démocratie. Mais quand la contradiction perd de sa vigueur et qu’un consensus domine dans les médias, c’est qu’un vrai problème se pose.

Dans ces situations-là, qui sont souvent des affaires d’Etat (Rainbow Warrior, affaires Urba ou des HLM de Paris et combien d’autres concernant le financement des partis politiques…), l’indépendance dérange. C’est alors qu’elle doit être défendue.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ARTICLES

Etiquette(s)

, , ,