Plus de 80 réunions publiques pour parvenir à une synthèse obligée : les responsables du Grand Paris et de l’Ile de France tentent de faire oublier le temps perdu pour créer un réseau de transport autour de la capitale, et améliorer l’existant.

A l’origine était Paris et son réseau de transport d’un autre siècle. Avec des lignes de RER saturées, un service de trains et de métros en perte de vitesse, des liaisons entre la ville et les aérogares parisiennes indignes d’une capitale qui revendique une dimension européenne. Longtemps, on a attendu qu’un programme soit concocté par la Région Ile de France et l’Etat pour combler les retards générés par l’absence d’un quelconque schéma directeur. En vain. Alors, lorsque Nicolas Sarkozy s’est saisi du problème, il nomma Christian Blanc commissaire au Grand Paris, pour contourner le socialiste Jean-Paul Huchon, à la fois président de la Région et du syndicat des transports d’Ile de France.

Une guerre de tranchées – programme contre programme – fut engagée. Elle dura tout 2009 et 2010.

Deux ans de perdus pour découvrir des évidences

Tout cela pour aboutir, le 26 janvier 2011, à une synthèse des programmes que l’on savait être un passage obligé depuis le début des opérations.

Après 24 réunions menées dans le cadre du débat public sur le projet Arc Express défendu par la Région, et 68 autres organisées de façon concurrente sur le projet de la Société du Grand Paris dirigée par André Santini (successeur de Christian Blanc), ancien ministre et maire Nouveau Centre d’Issy les Moulineaux, les responsables politiques mettaient un terme à des chamailleries. Deux ans de perdus, ou presque, et beaucoup d’énergie dépensée. Une ultime réunion le 31 janvier, devant plus de 600 personnes, a scellé ce rapprochement attribué à Maurice Leroy, ministre de la Ville, et à Jean-Paul Huchon. Pour donner de l’ampleur à cet accord qualifié d’historique par tous les intervenants, pas moins de quinze personnes – dont huit prirent la parole – furent alignés à la tribune. Tous pénétrés de l’importance du moment – sauf André Santini, le plus dissipé, à tel point distrait qu’il se trompa d’un siècle dans la date de mise en service du futur réseau de transport.

Tout le monde, donc, donna dans l’accord « historique », soulignant la richesse des enseignements tirés des quelques 84 réunions tenues en deux mois de débat public.

Qu’a-t-on retenu ? Que les Franciliens souhaitent améliorer les réseaux de transport et aimeraient disposer d’une rocade supplémentaire ainsi que de meilleures liaisons avec les aéroports. Marc Véron, pour la Société du Grand Paris, insista même sur les correspondances avec le réseau existant…

A ce stade, on peut s’interroger : fallait-il organiser plus de 80 réunions pour en arriver là ? On aurait pu en faire l’économie compte tenu des problèmes récurrents – que tous les usagers des transports connaissent bien pour les vivre au quotidien – sur la ligne 13 du métro, les lignes B et C du RER, et la desserte notamment de Roissy qui fit déjà l’objet de multiples études. En outre, si les travaux de la ligne 14 doivent commencer en juin, les décisions ont été prises en amont bien avant ce débat public. Quant à disposer d’une rocade, voilà des décennies que l’on sait que le réseau en étoile du métro qui favorise la desserte du centre ville, est un handicap pour les liaisons de banlieue à banlieue qui se sont développées avec l’extension de l’agglomération. Bref, on n’a pas appris grand chose de nouveau.

Métro souterrain en rocade et renforcement du réseau actuel

« Historique », l’accord, parce que le projet de transports collectifs en rocade retenu sera réalisé sur la base d’un métro automatique souterrain et qu’il va permettre d’ajouter 160 km de lignes nouvelles aux 214 km qui existent déjà. Sur ce point, Jean-Vincent Placé n’a pas ménagé Jean-Paul Huchon dont le projet d’Arc Express privilégiait des métros de surface, en déclarant : « c’est le projet de Christian Blanc qui va se réaliser ». Mais après tout, pourquoi pas, si la technologie des tunneliers modernes le permet…

Le vrai problème, c’est le différentiel de prix : 27 milliards d’euros pour la réalisation de la rocade, et un accord à 32,4 milliards en tout (entre 2010 et 2025) si l’on inclut l’amélioration du réseau existant et la prolongation de la ligne Eole vers l’est. Obtenus comment ? Par des financements budgétaires (près de 9 milliards d’euros), une dotation en capital de l’Etat au bénéfice de la Société du Grand Paris (4 milliards), de nouvelles ressources fiscales sur les bureaux… et un emprunt. C’est lourd, mais Paris a de l’ambition. Et en l’occurrence, c’est une victoire de la Région, qui fait prendre en charge une partie des coûts de rénovation de l’existant.

Tout reste à faire!

« Historique », enfin, parce que… tout reste à faire. Certes, les projets ont avancé, mais pas forcément grâce au débat. Après plus de deux ans passés à s’invectiver, les tenants des deux projets doivent encore s’entendre sur la desserte du plateau de Saclay (ce qui laisse supposer que le coût du projet est encore à géométrie variable). Ensuite, un rapport sur les investissements devra être remis au Parlement, avant la fin 2013. Pour une mise en service en 2018 comme le prévoit le projet, les travaux vont devoir commencer en 2013, mais de nouvelles enquêtes devront auparavant être à nouveau organisées. Après la synthèse, il y a encore du chemin à parcourir.

Jean-Paul Huchon a qualifié les travaux préparatoires et les débats menés tous azimuts jusqu’à présent, de « vrai exercice de démocratie participative ». Toutefois, cet exercice n’est pas une fin en soi. Il ne se justifie en amont que s’il permet de déminer les problèmes pour déboucher sur une meilleure fluidité des opérations. Or, jusqu’à présent, on a plutôt créé des problèmes qui ont ensuite impliqué de perdre du temps pour revenir à un point de départ rationnel.

Pendant ce temps, les services de transports collectifs ont continué de se dégrader en Ile de France. La démocratie ne peut exister contre les citoyens, qui voudraient qu’on prenne en compte – mieux : qu’on anticipe – leurs besoins autrement que dans des forums.

2018 est encore loin !

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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