La transformation du monde des affaires, de l’économie et de la société se fera avec l’implication de toutes les parties prenantes, y compris le monde universitaire. Faire évoluer le modèle éducatif dominant hérité du XIXème siècle n’est pas facile. Modifier nos comportements, transmettre des valeurs de responsabilité, d’équité, et de justice… font néanmoins partie des attentes des jeunes générations qui aspirent à un projet de vie différent de leurs aînés

Aujourd’hui le monde de l’éducation est en ébullition. Nécessité d’enseigner autrement, de former des profils différents, nécessité de développer des savoir-être autant que des savoir-faire, nécessité d’enseigner « les humanités » aux côtés de disciplines plus techniques…

A l’heure de l’économie de la connaissance et de la déferlante du numérique, des compétences considérées hier comme fondamentales pour entrer dans la vie active (lecture, écriture, mathématiques et sciences) doivent désormais être complétées par des compétences transversales qui ont trait au savoir-être/soft skills. Les entreprises recherchent des collaborateurs créatifs, adaptables, collaboratifs, autonome, intuitifs, susceptibles de produire des idées et de l’intelligence collective.

Les défis sont donc multiples et complexes pour le secteur de l’éducation qui évolue moins vite que l’entreprise.

L’enseignement actuel privilégie encore les raisonnements, les savoirs et les procédures solidement ancrés dans une logique de l’utilité qui se manifeste le plus souvent sous forme d’approches scientifiques ou techniques.
Car ce que recherche et cultive l’éducation à de rares exceptions près, se limite encore à la transmission de connaissances plutôt qu’à la problématisation de la réalité. Des connaissances en somme que l’on apprend et que l’on retient au détriment du développement de compétences sociales, relationnelles et émotionnelles très prisées des managers aujourd’hui.

La partie réservée aux « habiletés » c’est-à-dire tout ce qui concerne la pensée critique, la réflexion créative sur ce que l’on appelle les intangibles, tels que l’éthique, la politique, le relationnel et le convivial, entre autres, est encore assez limitée dans la formation initiale. « Notre système éducatif sélectionne ses éléments sur leur capacité à mémoriser des leçons. Pas sûr que ce soit une bonne méthode, puisque n’importe quel ordinateur est plus doué que nous… » rappelle François Taddéi, sociologue et directeur du centre de recherche interdisciplinaires CRI hébergé à l’Université Paris Descartes.

Comment réinventer la connaissance ? Comment préparer les étudiants à être acteur de leur propre savoir ? Comment les aider à devenir des citoyens solidaires et engagés dans la société ?

La création de filières interdisciplinaires, la pratique du travail collaboratif, l’enseignement d’une éthique managériale font partie des pistes de réflexion qui signent les prémices d’une nouvelle manière d’enseigner aux générations futures qui ont moins besoin d’apprendre que de comprendre.

En finir avec le modèle de l’éducation for profit

C’est un fait : les écoles de commerce cultivent encore un enseignement trop fragmenté, formaté et surtout « for profit » c’est-à-dire, tiré par la performance court terme au détriment d’une vision plus long terme de l’économie. La « business education » se réduit encore trop souvent à un « business de l’éducation » tant au niveau de la gouvernance des établissements que dans les cours dispensés aux étudiants.

Est-ce encore pertinent de former des exécutants de haut vol au modèle économique du « prends, fais et jette », qui nous envoie chaque jour un peu plus dans le mur ? Les établissements d’enseignement supérieur développent-ils suffisamment l’esprit critique de nos futurs leaders afin qu’ils soient capables de lutter contre les éventuelles dérives dans la gestion des entreprises qu’ils rejoindront demain ? Les professeurs alertent-ils leurs élèves sur les « externalités négatives » de leur discipline ? Les ONG, entreprises sociales, syndicats… sont ils suffisamment représentés dans les « études des cas » sur lesquels planchent les étudiants ? Valorise t-on suffisamment dans les systèmes de notation actuels certaines aptitudes ou comportements tels que le travail en mode projet, l’écoute, la gestion du temps ? Thibaut Guilluy, diplômé de ESCP Europe qui a fait le choix de l’entreprenariat social en créant le groupe d’insertion Arès* , partage ce point de vue « j’aimerais que le projet pédagogique des grandes écoles soit d’accompagner les jeunes dans une logique de responsabilité plus que dans une logique de consommation ». Le modèle d’éducation que nous souhaitons créer ne doit pas seulement reproduire le modèle économique dans lequel nous vivons, il doit s’inscrire dans le type de société que nous souhaitons développer voire transmettre. Les écoles ont tout intérêt à s’engager dans ce processus en passant d’une « business school » à une « school for business and society ».

Casser les silos disciplinaires

Enseigné en « silo » dans les écoles de management et les pôles universitaires, le développement durable devrait au contraire irriguer l’ensemble des cours fondamentaux propres à chaque filière. Car cet apprentissage fragmenté et optionnel, y compris à l’université ne répond plus aux besoins d’agilité et de transversalité des organisations et encore moins aux aspirations des jeunes plus sensibles aux aspects sociaux et environnementaux que leurs aînés. La structure en silo renforce l’esprit de chapelle et d’appartenance à un corps : « Nous construisons dans les écoles des organisations pathogènes en mettant en concurrence des équipes disciplinaires les unes avec les autres. Cela crée des comportements mercenaires. Par exemple : un professeur de finance qui fait un cours sur une entreprise en difficulté va s’attacher uniquement aux ratios financiers pour redresser l’organisation. Il ne va pas prendre en compte les externalités négatives sur les ressources humaines », observe Jean-Christophe Carteron, directeur de la RSE chez Kedge Business School « dans le corps professoral comme dans les programmes pédagogiques, la réussite de l’un se fait au détriment de l’autre. On ne peut plus enseigner de cette manière. Il faut montrer qu’il y a des zones de compétence mais aussi des zones de coopération afin de donner dans la mesure du possible aux étudiants une vision organique, holistique de l’entreprise ».

Pour former une génération de leaders responsables, il est donc nécessaire de dépasser le cloisonnement actuel entre les disciplines fondamentales et celles relatives au développement durable en encourageant la transdisciplinarité et l’interdisciplinarité dans l’éducation.

Décloisonner les compétences

Décloisonner les compétences et les savoirs, abattre les frontières entre les départements/expertises/disciplines, favoriser les fertilisations croisées entre des étudiants venus d’horizons et de formations différentes… font aussi partie des évolutions indispensables pour développer la créativité des étudiants et leur donner l’opportunité d’accéder à des métiers qualifiés et non délocalisables.

En France, quelques initiatives fleurissent comme le projet Paris Est D School qui réunit cinq partenaires académiques dont l’école des Ponts ParisTech, autour de la première école « design thinking ». C’est aussi le cas du projet Artem à Nancy- art, technologie, management – qui mise depuis 15 ans sur le brassage de trois grandes écoles : l’Ecole nationale supérieure d’art, ICN Business School et l’Ecole des Mines à travers un module de formation commun proposé aux ingénieurs, aux créatifs et aux managers. Ces nouveaux modes d’apprentissage qui multiplient les passerelles avec le monde de l’entreprise, permettent à des étudiants issus d’horizons différents de développer une réflexion pluriculturelle, de travailler ensemble en écoutant leurs différences.

Favoriser le learning by doing

La formation dans le domaine développement durable est encore très théorique. Pour développer un apprentissage expérientiel, plus en phase avec la réalité économique, l’Outdoor Education s’avère un levier de plus en plus prisé par les étudiants. Cette pédagogie « sur le terrain » se développe peu à peu sur les campus par le biais de projets solidaires menés par les jeunes en partenariat avec des associations locales. C’est notamment la vocation du réseau Enactus qui rassemble l’expertise des enseignants, étudiants et entreprises au profit de l’intérêt général. Cette organisation internationale accompagne les jeunes dans la réalisation de projets d’entrepreneuriat social en les aidant à mettre en pratique leur connaissance par « des études de cas réelles ».

Près de 1200 étudiants en France pilotent aujourd’hui une centaine de projets solidaires dédiés à l’insertion professionnelle, la protection de l’environnement ou la lutte contre le gaspillage alimentaire. Reste que cet engagement citoyen, le plus souvent facultatif sur les campus, relève encore du volontariat. Les établissements d’enseignement supérieur auraient tout intérêt à le rendre obligatoire ou du moins à le valoriser dans leurs systèmes de notation.

Les défis du troisième millénaire en matière d’épuisement des ressources, de réchauffement climatique, de promotion des droits de l’homme, d’accès à la santé pour tous, sont de formidables opportunités de penser et de consommer autrement. Mais les études montrent que si la conscience des citoyens au développement durable se développe, la réalité sur le terrain est tout autre. Pour sensibiliser nos futurs décideurs aux enjeux de la responsabilité globale, il est indispensable de travailler sur les « valeurs » et les schémas de pensée acquis de longue date. Et lorsqu’il s’agit de faire évoluer un système de valeurs, de culture, ancré dans nos gênes depuis des siècles, l’outil le plus puissant pour faire évoluer nos pratiques est sans doute l’éducation.

Sandrine L’Herminier

*Œuvre collective : « Nos grandes écoles buissonnières. Témoignages et parcours hors des sentiers battus » Creative Commons. 2013

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