Les conditions de détention en Afrique sont, c’est le moins que l’on puisse dire, inhumaines. Une justice souvent injuste et pataude fait que dans les prisons s’entassent des millions de jeunes innocents qui meurent souvent avant le démarrage des procès. Ludovic ROCHE, président de l’association de soutien aux prisonniers de l’Afrique de l’Ouest (ASPAO), revient sur ces graves atteintes aux droits de l’homme et commente les initiatives officielles encore timides. Entretien.

Place Publique : Quelle a été votre réaction face à l’organisation des différents sommets africains, en l’occurrence celui de Ouagadougou, sur les conditions de détention en Afrique ?

Ludovic Roche : Le sommet de Ouagadougou dont vous me parlez avait pour objectif de créer en droit des alternatives à l’emprisonnement. On s’est gargarisé de bonnes intentions, bercé de promesses. Les éminents participants se sont fait rembourser d’éminentes notes de frais, et c’est les justiciables qui payent.

La transcription en textes de lois tarde à venir. On ne parle pas de l’application sur le terrain. On n’a jamais vu un pouvoir autoritaire faire oeuvre humaniste sauf devant les caméras ! L’égalité des droits, le respect de la dignité de la personne humaine même condamnée, le respect de la présomption d’innocence, l’honnêteté des juges, le droit à une deuxième chance : toutes ces avancées ne seront possibles que si le peuple les exige.

C’est pourquoi je suis particulièrement reconnaissant aux médias pour l’écho qu’ils souhaitent bien donner à notre combat. La presse joue un rôle capital d’information, d’éducation populaire, d’éveil des consciences. Elle nous est indispensable.

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P.P. : L’opinion africaine fait-elle pression pour faire évoluer la situation ?

L.R.
: L’opinion africaine doit se réveiller concernant ces questions de justice et de prison. Les gens nagent dans un épais brouillard d’ignorance (les prisons on y pense seulement quand on y est ; avant on préfère ne pas y penser, après, on préfère oublier), de défoulement sur celui qui tombe de celui qui ne tient que par un fil, d’idées toutes faites, de souvenirs de justice populaire expéditive (quand on n’a pas de compte à rendre on a toujours bonne conscience).

Comme vous le voyez, pour faire sortir ce problème de l’ombre, cela nécessite de s’être débarrassé de son dictateur, d’avoir obtenu la liberté d’expression. Dans de nombreux pays africains, notre lutte doit en rester là d’abord. Lutter jusqu’au bout avec les forces démocratiques et non-violentes pour renverser les régimes honnis qui sont justement ceux qui pratiquent le plus la peine de mort, la détention secrète, la torture.

P.P. : Mais quand peut-on réellement s’attendre à une évolution positive de la situation ?

L.R.
: Quand les élections et la presse sont libres, la démocratie n’est pas acquise. Il faut l’égalité de citoyens devant la justice (quel procès peut être juste sans avocat ?), éradiquer la corruption, réclamer pour la justice les moyens d’être rapide et efficace, pour seulement avancer vers la démocratie. Parce qu’il faudra aussi se poser la question de la justice sociale, de l’égalité des chances… Et puisque nous sommes tous frères, poser cette même question au niveau international, et exiger réparation des torts faits au continent africain.

C’est parce que le Mali a franchi les deux premières étapes que nous avons envoyé deux missions en début d’année dans ce pays. Non parce que les prisonniers y sont particulièrement malheureux (il semble que l’Etat
malien soit en avance sur cette question dans la sous-région), mais au contraire parce que nous savons que les autorités nous laisseront travailler librement.

L’enquête était de type classique. Notre objectif était de faire parler les détenus et leurs familles et réfléchir à la façon de transformer ces douleurs familiales et personnelles cachées en un grand appel collectif vers plus de dignité pour tout un peuple. L’autre mission entreprise par deux étudiants en gestion des entreprises sociales et solidaires a eu pour objectif de lancer un débat sur cette question dans l’opinion, en passant par le site internet, la presse écrite, les radios locales. Nous ne sommes pas partis au Mali sans y faire une visite de prison classique avec distribution alimentaire (suivant nos maigres moyens) pour chaque prisonnier et visite complète des locaux de détention.

P.P. : Que fait votre association ?

L.R.
: Nous sommes une petite association de citoyens français et africains de toutes origines et religions. Nos pays ont tous signé la déclaration des droits de l’homme de l’ONU en 1948, nous en exigeons l’application. Nous militons pour la mondialisation du respect de la personne humaine, non celle du capitalisme sauvage qui, multipliant injustices et frustration, remplira les prisons de jeunes sans espoir, que des Etats, privés de moyens d’action par des organisations internationales occidentalocentrées, transformeront en monstres ou en cadavres.

J’estime à au moins un sur trois le nombre d’innocents en prison (la moitié des détenus sont en attente de jugement). Les innocents n’ont pas d’amis dans la place, ils ne connaissent pas les codes, le vocabulaire, ont du mal à s’imposer, ce sont eux qui meurent les premiers. La faim vient quand on ne peut pas lutter pour gagner sa pitance, puis la maladie qui amène la diarrhée qui finit de faire mourir de faim. L’innocent, qui, dans un pays dit démocratique, meurt de faim et de maladie après six mois de détention quand il était condamné à 9 mois. A votre avis, les rêves de qui devrait-il hanter en premier ?

Propos recueillis par Mohamed QRAYIM

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