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15 décembre 2004

Des utopies concrètes

Après une journée « perdue » dans les grandes messes du FSE (Forum social européen) 2003 à Paris/Saint-Denis, j’ai décidé de choisir des séminaires plus interactifs et plus en cohérence avec mes propres aspirations. Un titre très bref dans le programme m’a intrigué : atelier sur les utopies concrètes.

FSE 2003, dédale de conférences, séminaires, ateliers, etc. Lorsque j’ai enfin trouvé le théâtre d’Ivry, les deux animateurs de l’atelier sur les utopies concrètes étaient entourés de cinq participants assis en cercle ; chacun avait pris place sur la scène. Avant de me dire que les réunions sans stars font fuir le public, je m’assieds et écoute ce qui se dit.

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Les animateurs nous présentent les principes de leur association sur l’utopie concrète :

 le principe de l’autonomie

 le principe du bien-être

 le principe de la coopération

 le principe de la communication
– le principe du respect

Une heure plus tard, nous étions déjà 40 participants et nous nous sommes répartis en deux groupes. Un premier groupe devait dresser un inventaire aussi exhaustif que possible d’expériences d’utopies déjà mises en œuvre et un deuxième groupe devait explorer le champ de signification de « l’utopie concrète ». On m’a chargé, dans ce deuxième groupe, de restituer la synthèse des réflexions d’une vingtaine de personnes, plutôt jeunes. Voici quelques extraits de ce débat d’une heure et quelques verbatim sur des interprétations très personnelles de l’utopie concrète.

A première vue, l’intitulé de l’atelier paraissait une contradiction en soi, car l’étymologie du mot utopie (« le lieu qui n’est pas ») semble interdire sa juxtaposition à une expérience sociale concrète. Nous sommes tombés d’accord pour conserver ce titre afin de décrire des projets réalisés à l’échelle locale dont la généralisation à l’échelle nationale, européenne, voire mondiale pose problème. En effet, la généralisation « d’utopies concrètes », telles que les éco-villages, les systèmes d’échanges locaux (sel), la “permaculture” (1), le covoiturage, les magasins et restaurants où le client paie selon ses ressources, etc. trouve ses limites non seulement dans la résistance du pouvoir politique, mais dans le comportement de bon nombre de nos concitoyens qui refusent de vivre dans un tel monde.

Les prototypes d’utopies concrètes n’atteignent souvent pas une taille critique suffisante pour qu’on envisage leur généralisation et bon nombre d’utopies se heurtent tout simplement aux structures existantes. C’est pourquoi, notre groupe a décidé d’échanger sur des utopies dont nous rêvons sans pouvoir démontrer leur faisabilité (utopie concrète).

Les principes suggérés par les organisateurs pour identifier une utopie n’étaient pas considérés comme suffisamment pertinents par le groupe pour qualifier une expérience de vraiment utopique. Alors, chaque participant a tenté d’exposer ses propres critères pour mieux définir ce qu’il entend par utopie :

 « l’utopie n’est pas la restructuration du même système par d’autres moyens »,

 « l’utopie, c’est le bonheur universel, une nouvelle façon de penser, une vie plus en cohérence avec nos propres identités »,

 « “des communautés intentionnelles” qui se caractérisent par l’auto-gouvernement, de manière non-hiérarchique et qui permettent de nouveaux styles de vie »,

 « un rêve collectif vers lequel on tend (= une idée régulatrice), mais le chemin est plus important que le but (or, « l’utopie crée le chemin, l’utopie c’est déjà emprunter le chemin ») »,

 « il faut distinguer les utopies parcellaires que l’on vit déjà à titre personnel de l’utopie collective qui consistera à faire partager ces premières à d’autres personnes »,

 « l’utopie, c’est s’extraire des contingences, se permettre de rêver d’une autre société et à force de pratiquer ce changement imaginaire de la réalité, de changer ses cartes mentales, et d’agir et de penser différemment »,

 « communiquer davantage et avec plus de monde au lieu de s’ignorer, de se concurrencer, voire de se combattre : mieux vaut parler que de se faire la guerre (cela commence dans la famille et s’achève dans les relations bilatérales internationales) »,

 « l’enjeu n’est pas d’imaginer un monde différent, mais de le réaliser ; comment vivre l’utopie ici et maintenant ? »,

 « comment susciter le goût de l’utopie chez les autres ? ».

Après ce tour de table, nous sommes revenus à la question de départ : pourquoi devrait-on avoir des utopies ? Les réponses ont été de trois ordres :

 « parce que l’on souffre, par détresse »,

 « car on ne se satisfait pas uniquement de l’existant et que l’on aspire à un monde meilleur, à un épanouissement… »,

 « par pure gourmandise, hédonisme, car on veut travailler moins, avoir plus de liberté pour assouvir ses envies (désirs)… ».

Ainsi, les raisons sont diverses pour rêver aux utopies, mais ne répondent pas vraiment à la question posée ; il ressort de notre tour de table que chacun a sa définition personnelle de l’utopie. Alors nous nous sommes posés la question suivante : « Comment passer du niveau individuel, de l’utopie « privée » au partage de son utopie, à la création d’une utopie collective ? »

Plusieurs pistes ont été évoquées, mais nous avons manqué de temps pour les approfondir :

 « Informer sur la force du “bon exemple”, le défricheur de nouveaux styles de vie (en société) »,

 « prendre le risque de changer sa vie (éventuellement en sacrifiant la sécurité) »,

 « essayer de se retrouver avec ceux qui partagent les mêmes utopies »,

 « prendre conscience de ses peurs face à une vie inconnue, une société inexpérimentée »,

 « commencer à agir avant d’avoir tout analysé intellectuellement au risque de se tromper »,

 « communiquer ses rêver et communiquer sur ses rêves ».

Ces débats m’ont inspiré une réflexion personnelle : celui qui rêve de temps en temps de vivre dans un monde libéré de toutes les tares qui nous tracassent quotidiennement se bâtit sa propre utopie. Cependant, on peut se demander si cette gymnastique mentale n’a pas d’autres buts que de balayer le champ des avenirs possibles tout en sachant qu’aucun d’eux ne se réalisera jamais exactement tel que l’on a imaginé.

Pour poursuivre la réflexion, le site des utopistes chez Passerelle éco a le mérite d’avoir osé penser l’utopie : http://www.passerelleco.info/utopiesconcretes/

(1) C’est dans les années 70 que les Australiens Bill Mollison et David Holmgren jettent les bases de la permaculture (contraction de « permanent culture ») avec la publication du livre Permaculture One. Trois principes éthiques sont à la base de la “permaculture” :

1. Prendre soin de la Terre

2. Prendre soin des gens

3. Limiter la consommation et la reproduction, et redistribuer les surplus

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