13 mars 2008

Coup de gueule

« Dans son rapport 2008, la Cour des comptes révèle que 420 millions d’euros d’autorisations de programme du CNRS votées par le Parlement n’ont jamais été versées en crédits de paiement (CP)

Cela représente deux fois la dotation annuelle de toutes les unités. En prenant en compte les sommes non versées aux autres organismes, cela signifie que l’ANR a été financée par le vol des crédits des établissements. Il est regrettable que la Cour n’ait pas cru bon de préciser que le CNRS ne représente que 5 % des dépenses totales de la recherche française (7 % avec les ressources propres) pour environ les deux tiers des publications.

Mais la Cour attaque aussi brutalement le CNRS : « l’équipe de direction a été renouvelée plusieurs fois. Le contrat d’action pluriannuel signé en 2002 n’a pas été appliqué dans la durée, et enfin la réforme décidée en 2005 a été remise en cause au moment même où elle était mise en œuvre. Une telle instabilité est préjudiciable ». Alors membre du conseil d’administration du CNRS, l’auteur peut en témoigner. Le contrat pluriannuel de mars 2002 a été immédiatement mis à la poubelle par la nouvelle majorité. Pour avoir confirmé au Monde que les crédits avaient baissé de 30 %, la directrice générale Geneviève Berger s’est vue licencier « comme une malpropre ». Après des débats difficiles, la réforme du directeur général Bernard Larrouturou avait été largement votée (l’auteur s’est abstenu). C’est à ce moment-là que le gouvernement l’a obligé à démissionner.

Dans une tribune du Monde (18 janvier 2006) intitulée La mort du CNRS est-elle programmée ?, nous affirmions avec Francis-André Wollman : « La crise du CNRS découle du choix fondamental fait par le gouvernement dès 2004, à savoir la marginalisation de cet organisme dans la recherche française et la prééminence de l’ANR. C’est devant ce problème que butera toute direction du CNRS. »
Et nous y sommes donc à nouveau. Le CNRS est empêché de diffuser la partie scientifique du Plan stratégique. Il n’a pas le droit de discuter avec ses partenaires sans passer par le ministère. Le Conseil scientifique a reçu l’injonction d’arrêter ses discussions sur l’avenir. « Le plan n’a pas fait l’objet de concertation suffisante […] avec la tutelle ministérielle et les principaux partenaires », susurre la ministre aux Échos (si bien nommés). Déjà pour le contrat quadriennal du CNRS, le ministère se prépare, thème par thème, à imposer ses vues. Certes la recherche est dans la société – le pouvoir politique a le devoir de définir des priorités et d’affecter de grandes masses. Mais, c’est aux seuls scientifiques de déterminer les voies pour atteindre ces objectifs et non aux aréopages des bureaucraties ministérielles.

Raconté par le dernier survivant de la Pravda, réfugié aux Échos, le rapport de la Cour – tronçonné, recomposé et surinterprété – sert de machine de guerre à ce militant anti-CNRS, au point d’en perdre toute référence déontologique (1). Il faut dire, qu’à l’évidence, la ministre et un conseiller de Sarkozy lui avaient prêté leurs lunettes pour mieux interpréter le texte. Pour donner le ton, deux intertitres qualifiant le CNRS pour le lecteur pressé : « usine à gaz » et « structure obsolète ». Après avoir épilé et caricaturé toutes les expressions du rapport désagréables pour le CNRS, il en rajoute : « En clair, les unités de recherche n’en font qu’à leur tête », « cette pratique autocratique risque de coûter cher au contribuable », « cette prérogative [la stratégie scientifique] appartient au pouvoir politique et non à une poignée de scientifiques rêvant d’autogestion post-soixante-huitarde [Migus ?] », « [le Comité national] évalue selon des méthodes endogamiques », « l’habileté des fonctionnaires à maintenir en vie des structures obsolètes », etc.

Mais la dernière phrase explique tout : « Autant de points qui présagent des négociations musclées entre le CNRS et le ministère avant la signature du prochain contrat de plan quadriennal. » On comprend mieux que la ministre ait fait tant de confidences au dernier survivant de la Pravda.

Henri-Édouard Audier, membre du bureau national du SNCS-FSU