Dans cette lettre ouverte à la Ministre de la Justice et des Libertés, suite à ses déclarations du 7 septembre 2010, Maitre Christiane Féral-Schuhl et Maitre Yvon Martinet, candidats au Bâtonnat de Paris, proposent d’harmoniser le régime des libertés et de sa privation, en créant une garde à vue européenne.

Madame le Ministre,
J’ai pris connaissance du projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue.

Je vous remercie de nous avoir entendus puisque l’avocat sera présent dès la première heure de garde à vue et pendant toute sa durée. De même, les fouilles intégrales seront supprimées et le droit au silence sera notifié dès le début de la garde à vue.

Ces éléments consacrent une avancée en faveur des droits et libertés individuelles.

Toutefois, votre projet prévoit d’ores et déjà de nombreuses hypothèses où la présence de l’avocat sera différée par décision du Procureur et « en considération des circonstances particulières ». Pensez-vous juste de limiter ainsi l’accès à l’avocat dès l’ouverture de la garde à vue, en fonction du type de crime ou délit en cause ? Une telle règle ne serait pas démocratique. Plus les peines encourues sont graves, plus il faut de garanties du respect de la défense.

Nous comprenons les enjeux et, soyez-en certaine, nous souhaitons voir aboutir cette réforme afin de moderniser notre régime de garde à vue. Mais il est clair que nous nous opposerons avec force à toute mesure qui viendrait entamer la règle qui veut que l’avocat soit présent, aux côtés de son client, dès la première heure et qu’il ait accès immédiatement à l’entier dossier.

En l’état du projet de loi, nous considérons que la création des « auditions libres » constitue un écran de fumée qui viderait de toute substance la règle nouvellement posée par le Conseil Constitutionnel. Le caractère incertain et flou de cette mesure et des garanties qui l’accompagnent suscite en tout cas notre inquiétude.

Il n’est pas non plus possible de viser un objectif de réduction du nombre de gardes à vue en évoquant qu’elles seraient limitées aux personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Une définition aussi large englobe nécessairement la quasi-totalité des infractions.

Elle ouvre la voie à un nombre disproportionné de gardes à vue, ce qui est tout simplement inacceptable. Certains de nos voisins européens limitent la garde à vue aux crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à 3 ou 5 ans. L’Espagne est allée encore plus loin en votant, il y a déjà 30 ans, la présence de l’avocat à la garde à vue, même dans les cas de terrorisme.

N’est-ce pas l’heure d’harmoniser le régime des libertés et de sa privation, comme nous l’avions suggéré dès le 15 février 2010 (voir le billet), en créant une garde à vue européenne ?

Madame la ministre, ne craignez pas de renforcer les droits de la défense et construisons ensemble un régime de la garde à vue protecteur de nos droits. Nous serons tous gagnants !

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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