Le Sommet européen du jeudi 21 juillet marque un réel progrès pour l’Eurozone, et pourtant le danger demeure et la sortie de crise est encore loin.

* Cette chronique est parue le 26 juillet 2011 dans la Revue Confrontations Europe.

Le premier mérite de ce sommet européen est de reposer sur une analyse plus juste des réalités. Le premier plan de soutien
à la Grèce consistait en prêts mutualisés offerts par les Etats membres de l’UEM dans une structure
dite Facilité Européenne pour la Stabilité financière (EFSF). L’échéance des prêts était de quelques
années et le taux d’intérêt non négligeable. La Grèce était supposée pouvoir rembourser moyennant
des cures d’austérité drastiques. Impossible : la dette grecque (et aussi portugaise, irlandaise) est
trop élevée, et l’austérité brutale étouffe l’activité ce qui réduit les recettes publiques. Le virage
historique des Etats membres consiste à soutenir autrement la Grèce dans un deuxième plan : une
partie de la dette grecque sera reprise (« rachetée ») par l’EFSF et aussi par un ensemble de banques
européennes participant volontairement. De plus les prêts accordés à la Grèce, le Portugal et
l’Irlande connaîtront une extension substantielle de leurs maturités (de 15 à 30 ans) et une réduction
importantes de leurs taux d’intérêt exigés. C’est le deuxième mérite de ce plan : il s’agit d’une
véritable politique de solidarité. De plus, l’EFSF pourra agir préventivement et non seulement en
dernière urgence.

Autre virage : les Etats membres sont enfin obligés de reconnaître que l’assainissement des dettes
sans croissance, ça ne marche pas. Ce que souligne Confrontations Europe depuis 3 ans (1) ! Un signe
de cette prise de conscience tardive : hier l’UE voulait couper les fonds structurels pour les pays dont
les mesures d’austérité lui semblaient insuffisantes, aujourd’hui le Conseil demande d’accélérer
l’action de ces fonds.

Progrès donc… et pourtant, il ne faut pas se leurrer : l’Eurozone reste au milieu du gué et peut encore
sombrer. La réduction de la dette grecque (et d’autres pays) n’est pas suffisante pour que son
montant soit désormais soutenable, loin de là. La masse d’intervention de l’EFSF est trop faible et sa
gouvernance trop rigide (unanimité toujours !) pour qu’elle puisse préventivement empêcher la
contagion des crises. Et l’UE est très en retard dans sa conscience et sa capacité à engager une
stratégie de croissance digne de ce nom. Confrontations Europe est à l’avant-garde quand elle
dessine les axes d’un plan d’action pour les investissements de long terme.

La prochaine étape se dessine : le col franchi, un autre horizon peut apparaitre. Le renforcement de
l’Eurozone va nécessiter un saut qualitatif fédéral avec notamment la création d’une Agence
commune de gestion des dettes publiques et d’un marché des eurobonds, la transformation de
l’EFSF en un véritable Fond monétaire européen et une Autorité Bancaire européenne aux pouvoirs
renforcés. Et –plus tôt qu’on ne le pense – un ministère de l’économie et des finances européen.
Mais ce serait se leurrer que de croire que la seule bonne volonté des gouvernements suffira à bâtir
ce système de solidarité : un énorme travail politique sera nécessaire pour que les sociétés en
acceptent le coût et les conditions.

Décryptage.

Après avoir salué le plan grec d’austérité de 28 milliards d’euros adopté fin juin, les chefs
d’Etat et de gouvernement de l’Eurozone ont élaboré un deuxième plan de sauvetage. « Le
financement public total s’élèvera à un montant estimé à 109 milliards d’euros sur la période 2011-
2014 » peut-on lire dans la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement. Un taux d’intérêt réduit
(taux proche de 3,5%) et une maturité allongée (de 15 ans minimum jusqu’à 30 ans) seront
appliqués. Une contribution volontaire du secteur privé « à travers un menu d’options » proposé par
l’Institut de la Finance Internationale (IIF) est envisagée. Comment va-t-elle fonctionner? Les choses
sont plus qu’obscures. Cette participation privée s’élèverait à 54 milliards d’euros d’ici 2014 selon
l’IIF, mais seulement 13,5 milliards seraient une réduction de dette effective d’après le Financial
Times (2) .

4 options sont envisagées : 3 formules d’échanges de titres et une formule de
réinvestissement des obligations grecques arrivant à échéance d’ici 2014 dans des titres à 30 ans.

Trois des 4 options impliquent que la Grèce offre une garantie dont le montant sera payé par l’EFSF,
et dans certains cas aussi dans la quatrième option… Difficile d’y voir clair. Si L’IIF compte sur un taux
de participation de 90% à cette initiative basée sur le volontariat (les banques et compagnies
d’assurance françaises ont ainsi confirmé leur participation), nombreux sont aujourd’hui les analystes
qui se demandent si assez d’investisseurs vont participer ! Certaines grosses institutions
européennes, telles que la Royal Bank of Scotland ou la banque allemande DZ Bank n’ont pas encore
fait connaître leurs décisions. Le plan ne sera sans doute entériné qu’en septembre, l’été est encore
long et les marchés peuvent encore nous réserver des surprises d’ici là.

Les chefs d’Etats et de gouvernement, faisant échos aux représentants des banques, ont martelé que
ce plan était une solution unique envisagée pour le seul cas de la Grèce. Peut-on les croire ? Il y a fort
à parier que ce programme crée un précédent que les défenseurs du principe de la participation du
secteur privé ne se priveront pas d’utiliser à l’avenir.

Est-ce que ce programme va provoquer un défaut partiel ou non, de la Grèce ? En d’autres termes,
est-ce-que l’accord intervenu jeudi dernier positionne la Grèce sur une trajectoire soutenable de
réduction de sa dette ?

L’IIF estime à 21% la réduction totale du stock de dette grecque, Nicolas
Sarkozy à 24% la réduction du rapport dette/PIB. Cela abaisserait donc le ratio dette/PIB aux
alentours des 148%. Un chiffre qui est loin de traduire la soutenabilité… Les spécialistes des marchés
et Wolfgang Münchau estiment qu’une réduction de 50% est nécessaire et prévoient déjà, à moyen
terme, un troisième programme pour la Grèce ! L’agence Moody’s a d’ores et déjà dégradé la note
de la Grèce de trois points.


Prévenir les risques de contagion.

L’accroissement de la flexibilité de l’EFSF est incontestablement
l’élément clé de l’accord. Il dote l’Union d’un « nouvel instrument budgétaire européen » selon
Riccardi (3). La Facilité pourra désormais intervenir sur le marché secondaire pour racheter des titres de
dettes souveraines, elle pourra entreprendre des actions préventives en achetant des obligations
d’un pays en difficulté ne faisant pas l’objet d’un programme spécifique et enfin elle pourra
intervenir pour aider des pays à la recapitalisation de leur secteur bancaire par des prêts (une option
déjà envisagée pour la Grèce). De plus, les chefs d’Etat et de gouvernement sont parvenus à un
accord pour diminuer les taux d’intérêt demandés à l’Irlande et au Portugal. On estime ainsi à 2% la
réduction des taux pour l’Irlande, ce qui représenterait un gain de 600 à 800 millions d’Euros, et cela,
« sans condition » autre que la poursuite d’un dialogue constructif sur la question de l’impôt sur les
sociétés.

Cette ébauche de travail sur les risques de contagion reflète le fait que l’interrelation entre crises des
dettes souveraines et crises bancaires commence à être intégrée par nos dirigeants. En filigrane on
retrouve cette idée qu’un Etat fragilisé impacte les banques de par la dépréciation de ces
obligations ; a contrario des banques en difficulté impactent les finances publiques du fait du coût
envisagé de leur renflouement. Dans les flexibilités de l’EFSF, cela paraît ainsi un contre-sens de
permettre à la Facilité de prêter directement aux banques. C’est un mélange des genres alors qu’il
faudrait plutôt réfléchir au renforcement des prérogatives de l’Agence bancaire européenne.

PPE, PSE et Verts ont salué ce pas vers un « fédéralisme financier ». Sharon Bowles, présidente de la
commission des Affaires économiques et monétaires accueille favorablement ces décisions pour
lesquelles elle a longuement milité. « J’ai fait campagne pendant longtemps contre les profits réalisés
aux dépens des pays faisant l’objet d’un programme d’ajustement économique, une situation qui a
rendu les prêts insoutenables », souligne-t-elle (4) .

Toutefois, est-ce que les chefs d’Etat et de gouvernement ont fait l’essentiel pour s’assurer que
l’Italie et l’Espagne sont dans la zone euro sur une base soutenable ? Pas encore. Le plafond de la
Facilité n’a pas été augmenté, et dès lors, elle ne peut répondre à d’éventuels besoins de ces pays.
De plus, l’usage des flexibilités reste soumis au feu vert de la BCE ainsi qu’à l’unanimité des membres
de l’Eurogroupe. Une gouvernance lourde qui risque de contrarier le besoin régulier de décisions
rapides.

Gouvernance économique.

Moins médiatisées parce que plus floues, les conclusions concernant la
gouvernance économique de l’Union n’en demeurent pas moins intéressantes : les chefs d’Etat et de
gouvernements ne font pas que se féliciter du « paquet gouvernance » visant l’assainissement des
finances publiques, ils annoncent des propositions pour dynamiser l’Eurogroupe et encadrer les
agences de notation ou créer un agence européenne. Et ils soulignent l’enjeu de la croissance. Dans
le cas grec, les dirigeants européens proposent, sinon un « mini-plan Marshall », slogan rejeté de la
Commission européenne, du moins une meilleure et plus rapide utilisation des fonds structurels de
20 milliards d’euros accompagné d’une TaskForce de soutien technique.

Nombreux sont les hommes politiques qui insistent sur la nécessité de penser le volet croissance au
niveau européen. D’après le président du PSE, Poul Nyrup Rasmussen, « un cadre de long terme pour
l’emploi et la croissance » doit maintenant être le sujet d’un prochain sommet spécifique; de même
Daniel Cohn-Bendit demande la mise en place d’un « véritable plan d’investissement européen afin
de relancer les économies des pays en difficulté ».

Que conclure de ce Sommet ?

Tout d’abord que malgré les perspectives très sombres offertes à nous
au cours des dernières semaines, l’idée européenne demeure La solution aux yeux des hommes et
femmes politiques. De nombreux chefs d’entreprises allemands et français, de grands groupes, ont
acheté des pages entières de journaux pour appeler l’UE à sauver la monnaie commune (5). Le
gouvernement Cameron se réjouit du renforcement de l’Eurozone mais est ennuyé : comment y
défendre mieux ses intérêts sans en faire partie !

On reproche à nos dirigeants d’agir toujours dans l’urgence et in extremis, mais c’est sans prendre en
compte les difficultés objectives pour trouver des solutions de compromis cohérentes sans heurter
des opinions publiques très hétérogènes et déjà très échauffées. Ils sont pris dans ce « trilemme
politique » (Dani Rodrick (6) ) : approfondir l’intégration européenne, maintenir un contrôle national et
assurer un contrôle démocratique suffisant. Or dans ce contexte tendu, ils sont malgré tout parvenus
à de véritables petites révolutions ! Il faudra encore du travail, car trouver la cohérence entre nos
économies devenues très divergentes et nos cultures différentes ne se fera pas en un jour. Et on ne
peut qu’exhorter tous les responsables politiques européens à prendre leurs responsabilités pour
afficher cette difficulté réelle plutôt qu’à adopter des postures idéologiques, voire populistes.

En parallèle, les sociétés seront amenées à faire évoluer leurs points de vue. Mme Merkel et
l’opinion allemande ont commencé à bouger ensemble. En France, les consciences bougent aussi : le
souci de la dette publique est mieux partagé mais les mesures de rigueur souhaitables ne sont pas
encore claires et elles divisent. D’autre part, nous ne pourrons pas nous exonérer de réfléchir à la
profondeur de notre accord de principe pour la solidarité en Europe. Nous nous réjouissons à juste
titre des soutiens à la Grèce. Mais ils impliquent 15 milliards d’euros supplémentaires pour la dette
publique nationale d’après François Fillon. La solidarité a un coût et des voix s’expriment déjà pour la
réserver aux Français. Et il faudra aussi cesser de faire des financiers les seuls responsables de la
situation. Certes on spécule sur les marchés mais on y finance aussi nos dettes. Et sans
l’avertissement utile des marchés à ce sujet, la prise de conscience politique serait malheureusement
plus faible.

NOTES


 1. Cf Cycle de déjeuners-débats 2011 de Confrontations Europe « Résoudre l’équation compétitivité/solidarité » et Cycle de déjeuners-débats 2010 de Confrontations Europe « Supervision, stabilité financière et croissance »

 2 Richard Milne and Megan Murphy « Investors grapple with the Greek rescue plan », FT, 25.07.2011

 3 BQE 10425, Edito de Ferdinando Riccardi, Lundi 25 juillet 2011

 4 BQE 10425, lundi 25 juillet

 5 BQE 10425, Edito de Ferdinando Riccardi, Lundi 25 juillet 2011

 6 Joseph Stiglitz, « Eurozone’s problems are political, not economic » FT 20.07.2011