Dimanche 11 juillet 2010, des centaines de milliers de citoyens à travers le monde ont commémoré les victimes de Srebrenica. Cette commémoration nous rappelle plus douloureusement que jamais l’insoutenable injustice de voir le bourreau de Srebrenica, le général serbe Mladic, échapper à ses juges.

Le 11 juillet 1995, la ville de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine, décrétée zone de sécurité et placée sous la protection de l’ONU, tombait aux mains du général Mladic, chef de l’état-major de l’armée des Serbes de Bosnie. S’ensuivait le plus impitoyable massacre, en Europe, depuis la deuxième guerre mondiale. Quelque 8000 hommes et jeunes garçons furent exterminés.

C’était il y a quinze ans et cela fait quinze ans que Ratko Mladic est recherché par la justice internationale pour génocide et crimes contre l’humanité.

Quinze ans que l’accusé, protégé par l’état serbe, continue d’échapper à la justice, malgré les demandes répétées des quatre procureurs successifs du Tribunal Pénal international pour qu’il soit transféré à La Haye.

Quinze ans aussi que les accords de Dayton pour mettre fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine exigent l’arrestation des criminels de guerre et le retour dans leurs villages des victimes de la purification ethnique.

Quinze ans de trop pour les familles des survivants, pour l’honneur de la communauté internationale qui s’est engagée formellement à leur rendre justice et pour tous les citoyens qui plaident en faveur du respect intégral et inconditionnel du droit international humanitaire.

Ce 11 juillet 2010, des centaines de milliers de citoyens à travers le monde ont commémoré les victimes de Srebrenica. D’autres se sont recueillis devant le Mémorial et cimetière de Srebrenica-Potocari où chaque année, les réfugiés, les proches des victimes et les habitants de la région se rassemblent pour pleurer leurs morts. Des larmes amères, car, cruelle ironie, Srebrenica a été attribuée par les Accords de Dayton à la « République serbe de Bosnie », fondée par Karadzic et Mladic.

Pendant ce temps, Ratko Mladic coule une retraite paisible à Belgrade. Cette simple évocation est insupportable. Depuis quinze ans, en protégeant le bourreau de Srebrenica, la Serbie qui réclame son adhésion à l’Union Européenne, bafoue les principes fondamentaux de la construction européenne en refusant de coopérer avec la justice. En place d’une défense intransigeante de ses principes, à la fois européens et universels, l’UE se contente de réclamer la pleine coopération de Belgrade avec le Tribunal sans exiger comme préalable le transfert immédiat de Mladic à La Haye.

L’intransigeance ne relève pourtant pas du choix. L’arrestation de Mladic est une obligation légale internationale. Il incombe en effet à tous les Etats de faire respecter la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, ratifiée par l’ensemble des membres de l’UE. D’autant que la Serbie a été condamnée par la Cour Internationale de Justice (CIJ) le 26 février 2007 pour violation de cette même convention faute d’avoir transféré Ratko Mladic et sommée de « prendre immédiatement des mesures effectives pour s’acquitter de son obligation ».

De nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (elles aussi obligatoires) commandent à la Serbie de procéder sans plus attendre à cette arrestation. La résolution du Parlement européen du 15 janvier 2009 ne s’impose pas légalement mais témoigne néanmoins d’un engagement politique et moral fort de condamner et de commémorer le génocide à Srebrenica.

L’UE ne peut déroger à ses obligations et renoncer à imposer cette conditionnalité à la Serbie. On ne peut que saluer les appels pressants de Serge Brammertz, le procureur du TPIY, en faveur de l’arrestation de Ratko Mladic. Mais seuls les Etats disposent des moyens nécessaires pour contraindre la Serbie à se conformer au droit. Une minute de silence à la mémoire des victimes ou l’émotion publique ne changeront pas la donne. Seul un cri de colère pour exiger immédiatement l’arrestation du criminel peut interpeler nos dirigeants européens.

Nous pensons qu’il faut passer à la vitesse supérieure. Il est plus que temps d’arrêter les discours « pour la galerie ».

Il est donc impératif que l’EU qui a conditionné une avancée dans l’intégration de la Serbie à une pleine coopération avec le Tribunal Pénal International, exige une arrestation immédiate. Bruxelles ne doit plus reculer devant ses responsabilités et doit user de son autorité politique pour faire de l’arrestation de Mladic le préalable absolu à toute intégration digne et crédible de la Serbie. Le message de l’UE doit être clair : sans Mladic en prison, le processus de rapprochement restera bloqué.

L’indulgence de l’UE à l’égard de la Serbie a permis à Belgrade de sursoir à ses obligations et profité principalement à Mladic. Poursuivre une politique qui depuis longtemps déjà a montré ses limites serait irresponsable. Il est donc grand temps pour l’UE de changer de politique et de convaincre la Serbie qu’elle ne servira ses ambitions de rejoindre l’UE qu’en transférant sans délai un accusé poursuivis pour génocide et crimes contre l’humanité. La Serbie est capable de comprendre la légitimité de cette exigence. Mal en point sur le plan économique, Belgrade ne cache pas que son intégration européenne est la priorité des priorités pour sortir du marasme économique dans lequel le pays se trouve.

L’approche de la commémoration du 11 juillet 2010 nous rappelle plus douloureusement que jamais l’insoutenable injustice de voir Mladic échapper à ses juges. L’heure n’est plus aux concessions illégitimes ni aux promesses à la légère mais aux actes. Un nouveau feu vert à la Serbie reviendrait à sanctionner les victimes, leurs familles et tous ceux qui croient en l’Europe et à une possible réconciliation dans les Balkans.

La Belgique préside désormais l’UE. Nous espérons que ce mandat sera celui de la fermeté sur le plan de la justice internationale. C’est pourquoi nous attendons un geste politique ferme de l’UE destiné à obtenir la traduction sans délai de Mladic devant le Tribunal Pénal International. Ce geste aurait pour autre mérite d’adresser en hommage aux victimes le témoignage d’une Europe solidaire pour qui la justice reste la première des valeurs.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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