La crise actuelle rend plus nécessaire que jamais l’invention de nouveaux modèles pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et environnementaux. C »est à quoi tentent de répondre les acteurs de l’innovation sociale.

Pas simple de définir ce qu’est « l’innovation sociale ». Cette thématique reste encore largement inexplorée, en dépit de l’intérêt qu’elle suscite. Sans doute le fait qu’elle est intimement lié au terrain fait qu’elle est moins visible au yeux des médias et des décideurs. Pourtant, selon Antonella Noya, spécialiste de l’innovation sociale au sein du Programme LEED, « cette notion devient un aspect déterminant du développement durable et un élément essentiel de la prospérité. Elle vise de nouvelles réponses aux problèmes sociaux, en identifiant et en fournissant de nouveaux services. L’innovation sociale cherche à satisfaire de nouveaux besoins qui n’ont pas été pris en compte par le marché et à fournir de nouveaux services plus satisfaisants d’insertion qui améliorent le bien être des populations et donnent aux gens une place et un rôle économique et social ». « L’innovation sociale ne se limite pas à vouloir réduire la pauvreté, enchaîne Margie Mendell, chercheur au Concordia University, Montreal. L’objectif est aussi de faciliter l’accès des personnes aux opportunités économiques, à répondre aux besoins de compétences et d’améliorer les capacités d’insertion à travers l’économie sociale. En réalité, elle intègre un champ assez large : la santé, la formation, le logement. Mais aussi elle répond à des préoccupations comme la faiblesse des revenus, l’exclusion financière ».

Aussi bien, l’innovation sociale concoure-t-elle à transformer en profondeur les politiques et les pratiques du développement local et global. Elle joue un rôle majeur de changement dans un monde de plus en plus complexe. Une mondialisation des enjeux caractérisée par des bouleversements démographiques, le vieillissement des populations, l’intégration des nouveaux émigrants, la marginalisation des « working poors », la diffusion des nouvelles formes de flexibilité du travail, l’insertion professionnelle mais aussi les questions que posent l’intégration dans la compétition des pays à croissance rapide comme la Chine et l’Inde.

La dynamique de l’innovation sociale peut apporter des réponses à ces difficultés. A condition que l’innovation sociale ne soit pas isolée dans son coin, et traitée comme la cendrillon des stratégies d’amélioration de la situation socio-économique des communautés et des individus. L’innovation sociale permet au contraire d’hybrider des logiques différentes ( la venture philantrophy, par exemple) au service de l’amélioration des capacités entrepreneuriale des entrepreneurs sociaux ayant un projet d’entreprise avec des retombées sociales aussi. Ces expériences nous montrent que le capital et l’innovation, c’est surtout de l’humain et du social. L’innovation sociale est productrice de savoirs techniques, de productivité, de richesses et de dynamisme entrepreneurial qui méritent d’être valorisés à tous les échelons de la vie sociale.

Le Forum sur les innovations sociales créé par le programme LEED a facilité la diffusion de l’innovation sociale et a permis aussi d’attirer l’attention des décideurs sur la nécessité de considérer l’innovation sociale comme la clé pour une croissance durable,. En huit années d’existence, ce Forum s’est engagée sur plusieurs terrains. « Nous avons examiné en profondeur le rôle du secteur à but non lucratif dans la production d’activités économiques et dans la création de nouveaux mécanismes d’inclusion sociale » indique Antonella Noya. On peut citer les stratégies d’innovation permettant de sortir les gens de la pauvreté et de miser sur l’avenir. Les « comptes de développement personnels » (IDA) aux Etats-Unis en fournissent le meilleur exemple. Ces IDA ont permis aux populations pauvres de se constituer une petite épargne pour le futur et celui de leurs enfants. On peut citer également le rôle de la responsabilité sociale des entreprises dans le développement local pour construire des économies intégrées. Le renforcement des capacités des « communities » et leur responsabilité dans la construction de leur propre avenir, l’importance de la créativité de la culture et de la valeur immatérielle dans l’économie de la connaissance, la part occupée par le capital social et les réseaux sont autant de thématiques explorées. Le piège de la dépendance, la confusion trop souvent faite entre pauvreté et passivité sont des écueils souvent rencontrés qui sanctionne les personnes fragiles ou à handicap qui ont besoin d’aide et conforte ceux qui ne veulent pas se prendre en mains dans l’irresponsabilité et l’assistanat, entraînant souvent leur famille dans cette dépendance.

« L’expérience nous montre que dans beaucoup de pays de l’OCDE, les associations, les coopératives et d’autres acteurs sociaux jouent un rôle clé dans la construction des économies locales » poursuit Antonella Noya. Une autre voie concerne l’identification et l’évaluation des innovations dans les services d’intérêt général et la production de services à but social.

L’économie sociale est d’un apport précieux pour générer et disséminer l’innovation, autant qu’elle aide à l’amélioration de la cohésion sociale dans de nombreux domaines. Ces organisations innovent aussi dans leur système de gouvernance. « L’ exemple des SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) est un modèle intéressant de coopératives à plusieurs parties prenantes ayant des missions économiques et sociales. En mettant en évidence les besoins sociaux au niveau local, ces entreprises sociales sont amenées à développer des solutions innovantes. Les coopératives sociales italiennes fournissant des services et des produits dans les domaines du bien être, du soutien aux personnes âgées, de l’éducation et du tourisme social sont de bons exemples d’initiatives qui marchent. Les entreprises sociales, dans certaines actions (la formation et la réintégration d’ex-délinquants, ou de toxicomanes) pallient au manque d’intervenants publics ou privés dans ces domaines, contribuant ainsi à un meilleur équilibre social » précise A.Noya..

Reste à voir le rôle que peut jouer l’état dans le domaine de l’innovation sociale. Longtemps considérée comme un fardeau, perçue de manière péjorative, comme quelque chose de passif, elle est aujourd’hui plus ou moins réhabilitée, selon les pays. L’état se réengage. Il considère désormais que l’innovation sociale est un investissement et non plus une dépense. Le vocabulaire change. « C’est un signe du bouleversement des mentalités, note Margie Mendell. Ainsi on parle d’entrepreneurship social. Mais il y a encore des résistances. Les acteurs de l’économie sociale ont du mal à voir leur travaux reconnus. Les spécialistes sont mal payés, comparés aux spécialistes économiques ou financiers. Le processus de transformation institutionnel n’a pas tout effacé des vestiges du passé. Et la faiblesse de moyens de l’économie sociale ne lui permet pas d’avoir un retour sur investissement suffisant. Cette innovation n’est donc pas profitable sur le plan des applications économiques concrètes mais elle a des retombées positives fondamentales qui font gagner beaucoup de temps et d’argent. L’état doit réajuster son discours et la manière dont il s’exprime dans ces lieux horizontaux du dialogue, qu’il s’agisse des lieux internes (interministériel) ou extérieurs (le dialogue avec les acteurs) »

Plusieurs perspectives sont ouvertes par l’innovation sociale :

 Mieux répartir le travail entre ceux qui n’en ont pas et ceux qui en ont trop. Par exemple en rééquilibrant la courbe de l’emploi en amont du côté des jeunes et en aval du côté des seniors

 Proposer des emplois « normaux » pour les personnes défavorisées ou à handicap, et non des emplois indignes

 Intégrer des normes universelles de responsabilité sociale et éthique (Exemple : Iso 26000 en cours d’élaboration pour 2008)

 Définir une flexibilité acceptable, à l’instar du modèle scandinave, dans lequel la notion de flexibilité va de pair avec celle de securité.

 S’appuyer sur les nouvelles technologies pour redonner leur chances aux plus démunis en redessinant de nouveaux réseaux économiques horizontaux.

 Promouvoir les échanges de bonnes pratiques, les échanges de savoir faire accumulés.

 Favoriser les coopérations des réseaux d’innovation sociale.

 Valoriser les entrepreneurs sociaux sur le marché de la compétition économique.