« Je ne prendrai pas de calendrier cette année, car j’ai été très mécontent de celui de l’année dernière ! » Cette citation d’Alphonse Allais prend tout son sens si on la réfère au constat de pessimisme des Français, établi par un sondage BVA-Gallup. Bonne Année quand même !

Les Français broient du noir. D’après un sondage BVA-Gallup menée dans 53 pays, (64 203 personnes interrogées entre le 11 octobre et le 13 décembre), ils sont les champions du monde de la sinistrose. 61 % des Français interrogés* pensent que l’année 2011 sera marquée par des difficultés économiques contre… 28 % en moyenne dans le monde. Concernant la situation individuelle des Français, la situation n’est guère meilleure… Seuls 15 % pensent que leur vie personnelle va s’améliorer en 2011, quand 37 % l’imaginent moins bonne… Pour une écrasante majorité des Français (87 %), la principale préoccupation est le chômage, loin devant le système social (73 %) et le pouvoir d’achat (68 %). L’insécurité n’arrive qu’en 7ème position (49 %).

Autant dire que certains discours politiques vont devoir s’adapter pour lutter contre ce pessimisme.

Dans quel monde vivons-nous ? Demandez aux jeunes gens… ils vous diront que la France est un pays étouffant qui a perdu le sens du mouvement et de la curiosité. Tout semble ankylosé dans le conservatisme le plus convenu. L’illusion du changement est jouée sur l’air de la réforme, orchestrée par un président anxiogène qui pratique la diversion et mise sur la résignation. Les artistes et les chercheurs sont les grands perdants de ce monde vieillissant qui a peur de l’avenir.

Le plus grand de nos maux est sans doute la perte de confiance. Défiance vis-à-vis des dirigeants politiques, méfiance vis-à-vis des décideurs économiques, inquiétude pour le futur de nos enfants. C’est la première fois, en temps de paix, qu’une génération entière vivra moins bien que ses parents. Une jeunesse qui a fait plusieurs années d’études, obtenu des diplômes et ne trouve ni emploi, ni logement est incompréhensible.

Ce constat établi par le sociologue Camille Peugny pourrait avoir des conséquences difficiles à mesurer en termes de rancoeur . Notre pays manque de projets et de visions. Il se replie. Les écarts de richesse se creusent. Et le fossé entre la classe politique et la population est grandissant. La précarité et l’austérité, tel est le projet proposé aux jeunes générations pour les années à venir. Aussi bien, comprend-on , comme l’écrit le philosophe Peter Sloterdijk, dans der Spiegel, que « d’innombrables citoyens voient des raisons de s’élever contre la morgue de leurs dirigeants ».

L’impossibilité que nous avons à voir un horizon dégagé est la cause de la déprime. Etrange, cette époque où les hommes politiques ne parlent que de Napoléon au lieu de penser à proposer de nouveaux desseins. Etrange qu’un chef d’état s’occupe de stigmatiser une minorité démunie, les Roms, au lieu de s’occuper de la santé du pays et de construire un cadre de vie décent pour les plus pauvres.

Rares sont les responsables politiques qui placent au premier plan des préoccupations la situation des jeunes. Rama Yade, Cécile Duflot et François Hollande sont en ce début d’année, les seuls responsables politiques à s’en faire véritablement l’écho. Il y a fort à craindre que l’année 2011 ne soit consacrée qu’à la préparation de la campagne électorale sur les éternels sujets de la sécurité et du terrorisme au lieu d’insuffler la confiance. Un pays qui ne voit pas l’horizon et c’est sa jeunesse qui se radicalise.

Cette perte de confiance n’est pas propre à la France. Jamais en Europe, la jeunesse n’a été à ce point aussi remontée contre l’avenir qu’on lui prépare. Récemment, les étudiants anglais ont protesté avec une rare violence contre le triplement de leurs droits d’inscriptions, dévastant les locaux du parti conservateur et s’en prenant au passage à un symbole, le Prince Charles. Du jamais vu ! A Athènes, les jeunes manifestants ont attaqué le Ministère des Finances et s’en sont pris physiquement à un ancien ministre pour protester contre les plans de rigueur économique. Les combats de rue, en Italie, pour protester contre le vote de députés ayant rejeté la motion de censure, qui aurait pu faire couler le gouvernement Berlusconi, ont pris un caractère d’émeute.

Londres, Athènes, Rome, et aujourd’hui, de l’autre côté de la Mediterranée, en Algérie, en Tunisie, en Egypte, ces révoltes ont ceci de nouveau que la protestation a monté d’un cran en intensité. Tous les ingrédients d’une explosion sont là. Le ressentiment contre les « riches » et les « puissants » est au plus haut. Avec en toile de fond la corruption des élites. Ce ressentiment pourrait s’avérer périlleux si ces révoltes ne trouvent pas leur forme d’expression politique.

La France n’est pas à l’abri d’une forme de radicalisation. 45% des pauvres en France ont moins de 25 ans. Selon l’Observatoire des zones urbaines sensibles, le chômage des jeunes vivants dans les cités atteint 47% chez les garçons et 36% chez les filles. L’exaspération touche aussi le monde étudiant où 66% des jeunes actifs de moins de 25 ans n’ont pas de diplôme. 150 000 jeunes sortent de l’école sans qualification. Selon l’OCDE, les jeunes vivent une période de précarité de presque 10 ans entre le moment de leur entrée dans la vie active et leur premier emploi stable. Toutes les politiques menées depuis 30 ans pour la jeunesse se sont avérées inefficaces, accroissant souvent davantage les difficultés d’accès des jeunes à l’emploi, au logement ou encore à la santé.

Quels espoirs peut-on nourrir pour les années à venir ?

Au cœur de tous les souhaits , les vœux de santé et de prospérité , se déclinent avec le combat pour l’éducation, l’emploi et l’Europe. Ce sont là les 3 priorités sans lesquels l’horizon continuera de s’obscurcir.

  L’éducation, est le premier impératif. Parce qu’il faut prendre soin des milieux dans lesquels se développent les jeunes. Ce que les enseignants, qui ont à subir les suppressions de postes et la réduction des moyens, continuent de transmettre sur la base de ce que la civilisation a accumulé de plus précieux, les industries audiovisuelles du divertissement le défont en s’appuyant sur les techniques les plus vulgaires de « déculturation et de dépolitisation », tout en accusant les familles et l’enseignement de l’effondrement du système éducatif. Contre les tendances aux comportements dépressifs stimulés par l’hyperconsommation, les marques, et les industries abrutissantes des jeux du cirque, il faut livrer la « bataille de l’intelligence », comme nous y invite le philosophe Bernard Stiegler, et réinvestir en force dans l’éducation et la recherche.

  Second investissement : l’emploi, parce qu’il est le nerf de la dynamique. Sans emploi, pas de croissance, pas de confiance, pas de désir. La première chose serait d’instaurer un filet de sécurité pour les jeunes de moins de 25 ans les plus démunis. Il s’agirait également de veiller à ce que chaque jeune quitte le système d’enseignement en possession de compétences requises sur le marché du travail : de mettre en place des stages obligatoires à l’université dès la licence. Ces derniers devraient être systématiquement accompagnée de la délivrance de crédits dans le cursus d’études, comme c’est le cas dans les filières sélectives .

  Enfin, dans un monde globalisé qui voit de nouveaux acteurs affirmer leur puissance, la construction européenne reste un espoir. Aussi bien est-il nécessaire de ne pas se complaire dans l’europessimisme. Changer l’Europe afin qu’elle réponde aux attentes sociales et économiques de ses habitants reste un enjeu majeur. On a besoin de plus d’Europe, d’une Europe différente, qui créé l’envie, le partage, la solidarité , l’échange et la recherche en commun.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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