Evincé, après 44 ans, de la Caisse d’Epargne, Charles Milhaud se dit victime de la « communication ». Il revient sur les faits douze mois plus tard. Règlements de comptes et engagement en faveur des valeurs.

« S’il fallait retenir une leçon sur mon sort, c’est la perte de la bataille de la communication qui commença dès 2002 ! ».

Douze mois après son éviction de la présidence du Groupe Caisse d’Epargne, Charles Milhaud tire les enseignements et fustige les coupables. Dans un « plan médias » de première ampleur, le bâtisseur du Groupe Ecureuil, poussé à la retraite par ses pairs lors d’un week-end dramatique semblable à une tragédie grecque, a donné avec générosité des interviews vérité destinés à « vendre » un livre en forme de témoignage au titre digne d’une Série Noire (Qui veut la peau de l’Ecureuil ?).

Le récit de ces 48 heures qui mirent fin le 19 octobre 2008 à 44 ans de services de celui qui transforma à la vitesse « grand v » un organisme de collecte d’épargne en une banque universelle et internationale n’apporte guère de surprises sous la plume de Charles Milhaud.

La chute a été planifiée par les « barons » des caisses régionales qui contestaient en interne la stratégie du président de la CNCE-ils ne s’en cachaient guère lors des réunions de cadres du Groupe ces dernières années. Ils ont pris prétexte de la perte de 752 millions sur une affaire de trading pour régler leurs comptes en imputant cette faute – toutes proportions gardées, minime face à l’affaire Kerviel- au tandem dirigeant, Charles Milhaud et Nicolas Mérindol. C’est la thèse du dirigeant historique évincé et elle ne surprend pas.

« Un dirigeant n’est jamais à l’abri des ambitions et des calculs de ses collaborateurs », écrit-il. Le ton et la virulence des jugements sur les « putschistes » nommément cités (NDLR : Nicolas Sarkozy étant exonéré par l’auteur de toute responsabilité dans l’affaire) constituent en revanche une « première » dans le monde des affaires : personne n’échappe à ce règlement de comptes, y compris son bras droit (Mérindol) et les dirigeants de ses partenaires des Banques Populaires (Philippe Dupont et Bruno Mettling).

Aveux de faiblesse ou regrets de manipulation ?
Sûr de sa stratégie d’expansion, l’ex-boss de l’Ecureuil reconnaît –il est vrai – ses responsabilités dans cette issue fulgurante et imprévisible. Il admet à plusieurs reprises sa lassitude à se battre en interne, « avoir baissé les bras dans le domaine de l’explication » ou encore n’avoir pas trouvé l’énergie pour rassembler autour de ses projets. Mais peut-on lui rétorquer: n’avait il pas présumé de ses forces en faisant voter une réforme des statuts ouvrant la voie à une prolongation de son mandat ?

Après l’aveu sur le terrain interne, la charge sur le champ de la communication externe. S’estimant victime d’une « campagne anti-Milhaud » depuis 2002 –et le projet Eulia qui vit l’Ecureuil reprendre des activités financières de la Caisse des Dépôts-le patron depuis 1999 du Groupe Caisse d’Epargne désigne les « coupables » (certains journalistes cités expressément), et n’épargne pas non plus Bruno Mettling, bras droit de Philippe Dupont, « orfèvre en matière de communication »… sans toutefois préciser qu’il fut à ses côtés de nombreuses années en tant que dirigeant des ressources humaines avant d’être écarté des responsabilités opérationnelles !

A l’heure du bilan, avec le recul, Charles Milhaud exprime ses regrets. Non pas d’avoir mal fait mais de ne pas avoir fait savoir. Les aveux sont sans appel:«Je regrette de ne pas avoir investi des sommes beaucoup plus importantes chaque année dans les faiseurs d’opinion que sont les cabinets conseils. Je regrette plus encore ne pas avoir trouvé le collaborateur de confiance qui pouvait être leur intermédiaire. (…) Je n’ai pas su donner à la direction de la communication les moyens de lutter à armes égales avec nos concurrents. » En d’autres termes, de ne pas avoir su « manipuler l’opinion »… comme les autres !

La thèse du « complot » n’est certes pas une nouveauté dans le monde des affaires. On se souvient que ce scénario fut avancé par Jean-Marie Messier lors de sa « démission forcée » en 2002. Le provincial peu diplômé travailleur victime du parisianisme et de ses « coups tordus » est aussi un classique du genre. Les exemples ne manquent pas dans le milieu de l’entreprise et aussi celui de la politique (le cas Pierre Bérégovoy). Avec amertume et candeur (à moins que ce ne soit de la rouerie ?), Charles Milhaud semble découvrir une règle d’or de toute ascension, un principe des sociétés primitives exprimé en termes crus : plus on monte en haut du « noisetier », plus on expose son cul à la vue de tous !

… et l’avenir des valeurs ?
Reste que ce testament ne saurait se limiter à cet examen de conscience doublé d’un règlement de comptes, format traditionnel des livres des patrons « remerciés ».

Un chapitre entier est dédié à « l’engagement solidaire » des Caisses d’Epargne. Charles Milhaud a toujours porté haut les valeurs fondatrices de l’Ecureuil dès sa naissance en 1816 : la défense de l’épargne, la promotion de la santé publique (les bains-douches), l’habitat populaire. On lui doit ainsi la création de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité qui gère des résidences pour personnes âgées et dépendantes et développe une action contre la maladie d’Alzheimer.

Aujourd’hui, il craint que cet engagement social des Caisses d’Epargne ne s’étiole. Il est vrai que contraintes à améliorer leur productivité –leur point faible- les Caisses d’Epargne ont tendance à perdre leur spécificité dans leurs relations avec leurs clients et à optimiser leurs actions dans le champ social. L’engagement solidaire doit être « toujours plus au cœur des activités du groupe issu de la fusion avec les Banques Populaires », assène Charles Milhaud. « C’est à cette condition que son identité (celle de l’Ecureuil) sera préservée ».

Un message en forme de mise en garde aux bâtisseurs du nouvel ensemble bancaire mutualiste et coopératif.

Qui veut la peau de l’Ecureuil ? Petite histoire d’une manipulation. Charles Milhaud. Editions Alphée-Jean-Paul Bertrand. 266 pages. 21 euros.

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