(Interviews réalisées dans la cadre d’un partenariat Place Publique/Vecam – Villes Internet ; été 2001)

Nous invitons les internautes à nous donner leur propre définition de l’internet citoyen, que nous publierons dans cette page…

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« Un outil utilisable à des fins citoyennes »

Emmanuel Eveno (président du jury, maître de conférences en géographie) :

« Dans l’Internet citoyen, je vois deux questions : celle de la citoyenneté (ici dotée de l’Internet) et celle de l’Internet (les problèmes d’égalité que posent les modalités de sa diffusion dans le monde social et dans l’espace).

En tant que chercheur, je ne peux guère considérer l’Internet comme un objet ou un attribut de citoyenneté : ce serait doter un outil de qualités qu’il ne saurait avoir. Cette vision serait celle d’un déterminisme technologique, une vision très contestée dans le monde scientifique, notamment en sciences sociales. Mais si je ne crois pas qu’un outil puisse être citoyen, je pense qu’un citoyen peut utiliser un outil à des fins de citoyenneté. Ce sont donc les modalités de ces usages et leurs finalités qui m’intéressent.

L’Internet citoyen, c’est un idéal type, à la fois militant (une militance qui cherche à développer l’expression des habitants et des usagers dans le sens de la démocratie), politique (certains élus ont fait le pari de la possible attractivité de la « citoyenneté numérique », risque pas toujours « payant »), économique (la figure de l’internaute citoyen représente un marché potentiel).

Internet, par ailleurs, est un enjeu de politique publique qui croise les problématiques de l’aménagement du territoire (équité spatiale dans l’accès), des services publics et des politiques sociales (fracture numérique). »

« Redonner aux journalistes un rôle de découvreurs »

Odile Ambry (directrice de Tocsin.net et vice-présidente de l’ISOC France) :

« En tant que co-fondatrice de Tocsin, ma vision de l’Internet citoyen passe inévitablement par le circuit de l’information : ne pas être soumis au diktat des médias traditionnels, lesquels subissent également les courbes de la Bourse et des chiffres de vente ; être également en position de passer du statut de consommateur (plus ou moins) passif d’informations à celui (bien plus valorisant) de producteur. Ce qui permettrait sans doute aux journalistes de retrouver leur rôle légitime de découvreurs d’informations, de pisteurs de vérité, de plumes acérées, de littérateurs du fugace et de l’approfondi… C’est tout le mal que leur ferait la naissance ou le développement d’un authentique Internet citoyen. »

« Accès, éveil et travail en réseau « 

Michel Briand (adjoint au maire de Brest) :

« Ma vision de l’Internet citoyen repose sur le triptyque suivant :

 l’équité d’accès, soit la multiplication de lieux d’accès de proximité accompagnés (services publics, associations, équipements de quartiers…) ;

 la nécessité d’éveiller, d’accompagner et de mutualiser les projets et les initiatives locales ;

 la volonté de donner envie aux citoyens et de leur offrir des raisons de travailler en réseau, de partager, d’innover pour créer ensemble du bien public. »

« Accroître la compétitivité des entreprises »

Annie Kahn (journaliste au Monde) :

« Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les communes vont mettre l’Internet à disposition du plus grand nombre pour que chacun l’utilise dans sa vie privée (lieux d’accès publics, écoles…) mais aussi dans sa vie professionnelle. Il est important d’améliorer les infrastructures au sein des villes afin que les entreprises puissent avoir accès au Net.

L’utilisation des nouvelles technologies peut, en effet, accroître la productivité et la compétitivité des entreprises. Et, par voie de conséquences, permettre à ces sociétés de créer des emplois. Qu’une commune soit dynamique en termes d’emplois relève d’une démarche citoyenne. Cela passe notamment par la négociation avec les opérateurs de tarifs intéressants pour l’installation de lignes à haut débit au sein des entreprises. »

« Développer une notion de service public »

Michel Elie (président de l’Observatoire des usages de l’Internet) :

« L’Internet n’est pas un but en soi, mais il peut être, si nous le voulons, un outil puissant au service de la liberté d’expression, du lien social et de la lutte contre l’exclusion. Il peut aussi permettre de simplifier la vie de chaque citoyen, notamment dans ses relations avec l’administration. Chaque collectivité est confrontée à la question de la mise à disposition de cet outil. Ce défi est relevé par chacune de façon différente, et le projet Villes Internet constitue un moyen d’évaluer les résultats obtenus en ce domaine, en repérant et diffusant les initiatives, les réalisations porteuses de progrès social et de mieux-être pour tous les citoyens. C’est aussi le sens de l’action de l’Observatoire des usages de l’Internet (OUI) : repérer et évaluer les usages réels de l’Internet, être à l’affût des initiatives locales… Car ces outils permettent à chaque individu, à chaque groupe, d’agir en faveur d’un Internet plus équitable, générateur de plus-values sociales, culturelles et citoyennes.

Pour cela, il faut développer, autour de l’Internet, une notion de service public, tant au niveau d’une infrastructure desservant tous les citoyens qu’au niveau de la disponibilité des contenus du domaine public : formulaires administratifs, documents de l’action publique, résultats de recherches, patrimoine… Sur tous ces points, nous sommes encore loin du compte. Il faut éviter de galvauder des mots tels que « service universel » ou « démocratie » et raisonner à partir de la réalité, tant sur le plan national que mondial où la situation est inéquitable à l’extrême. »

« Utiliser Internet comme un contre-pouvoir »

Béatrice Van Bastelear (chercheuse spécialisée dans l’évaluation socio-économique des nouvelles technologies, présidente du Conseil des scientifiques des facultés universitaires Notre-Dame-de-la-Paix de Namur) :

« Travaillant sur le concept de villes virtuelles et sur les administrations en ligne en Belgique, pays où il est relativement peu question de l’Internet citoyen, je trouve très intéressante cette conception des nouvelles technologies, où le citoyen est producteur de l’information et pas seulement consommateur. L’utilisation d’Internet comme contre-pouvoir, à travers les cyber-actions, me paraît également très utile, par les potentialités importantes de contacts que cet outil peut générer. Des actions urgentes peuvent ainsi être organisées efficacement, mobilisant une masse critique de citoyens.

Pour donner une plus grande ampleur à l’Internet citoyen, la sensibilisation aux usages existants, notamment à travers des bases de données d’expériences, me semble nécessaire. Comme le sont les formations et la multiplication des lieux d’accès. Reste que les usagers ne savent pas toujours ce qu’ils peuvent en faire. L’échange d’expériences devrait leur permettre de mieux s’approprier l’outil. »

« Modernisation, transparence et créativité collective »

Alain Busson (délégué général de l’Observatoire des télécommunications dans la ville) :

« Internet permet de moderniser les services publics et de les rendre plus efficaces. Les collectivités locales font, en parallèle, un travail de réorganisation interne qui privilégie le décloisonnement et le travail coopératif, y compris avec des services déconcentrés de l’Etat. Dans le même temps, le jeu politique devient plus transparent, notamment par la mise en ligne des dossiers municipaux. L’exemple de la ville de Parthenay est souvent cité : la municipalité a réussi à créer des interfaces plus fluides, plus efficaces, plus transparentes avec les utilisateurs… Le tout, ce qui est moins connu, en adoptant une organisation interne horizontale et responsabilisante.

Autre aspect de l’utilisation de ces technologies, bien illustré par les initiatives de Brest et de Strasbourg : l’implication citoyenne des usagers. Les actions des collectivités locales et du gouvernement pour développer les points d’accès publics, qui sont également des lieux de sensibilisation, d’éducation et d’appropriation de l’outil, vont dans ce sens. Au-delà, Internet permet également, par la mise en réseau des acteurs locaux, le développement de la créativité collective. Je crois à l’intelligence collective. Dans l’histoire des médias, Internet est sûrement le premier outil qui offre cette opportunité. »

« Aller vers une coproduction de l’information »

Anne Dhoquois (rédactrice en chef du site Internet Place Publique) :

« L’Internet citoyen peut se résumer en quatre axes : l’accès, la formation, le contenu et l’utilisation de l’outil pour favoriser la participation des habitants, l’engagement dans la société, l’action citoyenne… A Place Publique, nous nous intéressons à la co-élaboration de contenu entre professionnels de l’écrit et lecteurs afin que ces derniers ne se considèrent plus comme des consommateurs de l’information mais comme des (co-)producteurs de l’information. Le tout en s’efforçant de respecter les règles déontologiques du journalisme, ce qui peut impliquer l’organisation de journées de formations, d’ateliers d’écriture… Pour les journalistes, la création de médias citoyens passent par un décloisonnement de leurs statuts et de certaines de leurs prérogatives, créant ainsi du lien social. »

« Un outil d’insertion dans la vie citoyenne »

Christian Licoppe (responsable du laboratoire « usages, créativité et ergonomie » à France Telecom Recherche et développement) :

« Dans cette notion d’Internet citoyen, je vois d’abord un moyen de fournir des ressources électroniques pour enrichir ou redéfinir le tissu associatif. Pour les associations existantes, mais également pour les nouvelles formes d’associations qui émergent avec Internet, les nouvelles technologies constituent un moyen d’aller vite. Souvent, les membres des associations ont d’autres activités, et Internet devient un outil de mobilisation rapide et réactif.
C’est également un moyen de renouveler la démocratie locale par la démocratie électronique. De nombreuses pratiques accomplies en tant que citoyen – des formulaires qu’on remplit au quotidien jusqu’au vote – peuvent passer par le Net. Ainsi, pour les personnes qui ont des contraintes d’usage, les personnes handicapées ou les personnes âgées, Internet est le moyen d’élargir leur insertion dans la vie citoyenne, par une plus grande accession aux services et une participation plus intense à la vie de la cité. »

« Toucher les exclus de l’Internet »

Stéphane Martayan (Digital Towns) :

« Aujourd’hui, l’enjeu majeur de l’Internet citoyen est de toucher le grand public non actif, non engagé dans la vie associative : les « exclus de l’Internet ».

L’appropriation sociale des nouvelles technologies de l’information et de la communication est une nécessité, car Internet est un outil ouvert à tous, où tout le monde peut trouver son espace. C’est aussi une formidable technologie de réseaux qui offre de nombreux services. Il est donc essentiel que le plus grand nombre de citoyens soient en contact avec les outils pour accéder à la connaissance des vraies ressources de l’Internet. Sentir l’utilité d’Internet dans sa propre vie, tel est le meilleur moyen pour se l’approprier.

Or, le développement de l’Internet citoyen se heurte à un premier problème : celui de la démocratisation de l’accès. Comment développer des services sur Internet pour les citoyens si la majorité d’entre eux n’en ont pas l’usage ? Cela concerne au premier chef les acteurs publics, au moins dans la phase d’amorçage (pour créer les conditions d’accès et baisser les coûts). Mais l’expérience des espaces publics numérisés, à Parthenay, a montré qu’il fallait également mettre en œuvre des mesures d’accompagnement humain, des moyens et des formations. A terme, l’enjeu est de parvenir à une auto-production locale et citoyenne de contenus, ce qui implique que le citoyen devienne créateur de l’information. »

« Pratiques coopératives et intelligence collective »

Jean Pouly (directeur du développement de l’association Initial) :

« L’Internet citoyen s’est souvent défini par opposition à l’Internet marchand, qui monopolisait les discours et les débats. Aujourd’hui, grâce à l’action de différents pionniers, les collectivités, l’Etat et un ensemble d’acteurs se mobilisent pour développer l’accès public à Internet et favoriser une appropriation sociale et citoyenne des TIC (technologies de l’information et de la communication).

L’Internet citoyen repose d’abord sur une démarche : permettre aux citoyens d’accéder aux technologies, d’en comprendre les enjeux, d’en inventer les usages, d’en partager les ressources et, de manière plus générale, de participer au renouvellement de la citoyenneté et de la vie démocratique.
Nous disposons désormais d’un peu de recul sur l’utilisation des TIC dans différents domaines (éducation, insertion, emploi, culture, travail en réseaux…) et du bilan d’expériences très pratiques telles que les webtrotteurs, les réseaux Créatif ou I3C (mis en place de façon coopérative). Je pense que ces outils transforment en profondeur les pratiques professionnelles et les rapports sociaux. Ils favorisent l’émergence d’une nouvelle citoyenneté, basée sur la coopération, l’échange, la créativité, l’intelligence collective, le décloisonnement des pratiques et le bouleversement des rapports hiérarchiques. »

« Attention aux mirages « 

Bernard Corbineau (Responsable à l’Université de Marne la Vallée du DESS MITIC-Management de l’Intégration des Technologies de l’Information et de la Communication) :

 » Internet est un simple outil puissant – ce n’est pas un a priori mais ma part de réalité – qui doit, avant tout, être mis au service d’une cause, quelqu’elle soit. Un outil puissant qui, dans un environnement complexe, prend sa part au jeu de la vie. Il s’agit, dans cette perspective, de s’approprier l’outil pour en faire une arme efficace. L’expression « Internet citoyen », au delà d’une concession à une double mode et selon le prisme de ma part de réalité, se réfère au projet politique d’intégrer Internet dans la vie de la Cité. Comment cet outil peut-il servir à dépasser la crise de la représentation (transparence, expression, intervention, participation et, surtout, responsabilisation) sans ouvrir la boîte de Pandore de la démagogie qui veille toujours ? Comment permettre à chacun d’accéder aux réseaux de la connaissance et non pas simplement au leurre de l’information facile et sans valeur réelle ? Comment aider tout un chacun à maîtriser cette connaissance pour devenir un créateur de valeurs, politiques, sociales et économiques ?

Comment ? Modestement, en terme technologique, c’est à dire avec les moyens en sa possession ; obstinément, en terme de formation aux usages ; farouchement, en terme politique, c’est à dire en annonçant son projet de « démocratie durable » et en le défendant becs et ongles.

Un conseil ? Attention aux mirages « .

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