Individualisation des activités, multiplication des tâches invisibles, distorsion accrue entre prescrit et vécu : il est urgent de remettre le travail en débat. Une solution intéressante : les “espaces de discussion”.

Chercheurs, partenaires sociaux, acteurs de la prévention des risques professionnels, tous s’accordent sur un même constat : rarement le besoin de parler du travail, du travail vécu, de son travail, s’est fait ressentir avec autant d’urgence dans les entreprises.

Longtemps, le travail de chacun s’est exercé sous le regard des autres. La mise en partage du travail était de ce fait quasi-spontanée, sans même nécessairement mobiliser l’expression langagière. Les profondes transformations des organisations professionnelles et des pratiques managériales, doublées de l’invasion des technologies numériques, ont
conduit à une privatisation des activités qui, si elle convient à certains, s’avère fragilisante pour d’autres. Les symptômes sont connus : individualisation des activités, multiplication des tâches invisibles, distorsion accrue du travail prescrit et du travail réel, éloignement entre salariés et management, dégradation des relations sociales…

Discuter du travail, c’est rendre le travail à nouveau visible.

Signé en juin 2013, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la qualité de vie au travail, insiste sur l’importance d’une mise en discussion du travail, et en appelle à la mise en place d’“espaces de discussion”. De quoi s’agit-il ?

Une entreprise est une communauté humaine où la discussion doit être naturelle. Discussion informelle entre collègues autour de leur outil de travail, discussion conviviale autour de la machine à café, durant la pause déjeuner où à l’occasion de moments festifs (anniversaire, petit-déjeuner). Essentiels à la création de lien, de cohésion et à la performance des entreprises, ces moments sont par essence spontanés, non prescrits, non encadrés.
Des espaces plus ou moins formels où l’on peut parler du travail, les entreprises n’en manquent pas : comités de direction, groupes projet, entretiens annuels, réunions d’équipes, sessions de formation, instances de représentations du personnel… Pour autant, ces lieux et occasion de rencontres sont généralement centrés sur la construction et la diffusion d’une vision prescrite, et le plus souvent propres à la confrontation qu’à la concertation.

Certes, il ne s’agit en aucun cas d’éluder les conflits, de faire taire les revendications. Il s’agirait même de soutenir pour qu’ils alimentent une dynamique de résolution locale et amorcent un processus de transformation de l’activité. Les espaces de discussion permettent de mettre en lumière la tension entre le réglé (la norme, l’organisation, la procédure, bref le travail prescrit) et le géré (le réel, les stratégies pour faire face à la variabilité et aux dysfonctionnements).

Il ne s’agit pas non plus d’isoler la parole. Les espaces de discussion sont des lieux d’écoute, de prise en compte, de valorisation et de diffusion de la parole. Ils appellent donc des relais et n’ont d’efficacité que s’ils sont reconnus par les organisations susceptibles de transformer la parole en décisions et en actions.

Parler de son travail, cela ne va pas de soi. Les prérequis sont nombreux, qui concernent les conditions précises de mise en œuvre, d’animation et de production : approche collective, discussion centrée sur l’expérience du travail, cadre et règles co-construites, ancrage dans l’organisation et suivi.
Et avant toute chose, il s’agit de s’accorder sur la finalité de la démarche.
L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail en a identifié cinq: la régulation collective (espaces permanents liés fonctionnement des collectifs) ; la concertation sociale (espaces paritaires ou pluridisciplinaires, ou encore groupes d’expression directe des salariés) ; la résolution de problèmes (groupes ad hoc constitués dans une démarche de diagnostic et d’amélioration) ; la professionnalisation (groupes métiers, d’analyses de pratiques, de co-développement, d’apprentissage).

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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