Revenons en arrière…

Le Forum de Davos de 2006 avait pour thème « l’impératif créatif ». Lors de son discours d’ouverture, son fondateur, le professeur Schwab, a fustigé le mépris des idées et argumenté pour «une économie fondée sur les idées et la capacité à les mettre en œuvre ».

Au «siècle des lumières » la force de la langue française tenait à la force des idées qu’elle véhiculait. Le rayonnement culturel de la France n’a pas cessé de diminuer depuis. Cela n’est pas le fait d’une faiblesse de la « langue », mais d’un déficit de créativité.

L’américain Paul Romer, professeur d’économie à l’Université de Standford, a développé une théorie de l’économie des idées à l’origine d’une croissance économique au moins aussi spectaculaire que celle des gains de productivité dus à la systémique informatique.

De ses travaux, on retient que l’économie des objets est différente de celle des idées. L’une est physique, finie, elle débouche sur la pénurie. L’autre ouvre un champ inimaginable de choses que nous pouvons faire. Aux États-Unis, mais aussi en Europe et dans les pays du Sud.

Ce qui manque aux pays en développement, ce sont les idées plus que la main-d’œuvre ou le capital. Il est possible de les y amener. Mais ces idées ne sont pas dans les bibliothèques, elles sont dans les entreprises. Aujourd’hui, elles circulent sur la Toile ! Aussi nous faudra-t-il investir la Toile et avoir des idées, beaucoup d’idées, de la jeunesse, de la folie, un peu, et de l’audace, beaucoup, pour redevenir le pays fertile du « siècle des lumières ».

Avec l’Internet, plus d’un milliard et demi de personnes peuvent y échanger leurs connaissances, établir des contacts sociaux. Pour la première fois dans l’histoire humaine, la coopération massive d’individus de toutes origines à travers le temps et l’espace est soudainement facile et de moins en moins coûteuse.

Dans des espaces numériques dédiés, des milliers de citoyens savants du Web pourront grâce à leurs connaissances et à leurs idées se pencher sur divers problèmes et, collectivement, leur apporter des solutions plus rapidement, plus économiquement. L’ensemble de ces facteurs concourent à la création de ‘lean organisations’ à faible intensité capitalistique et à forte intensité de matière grise, caractéristiques de l’économie coopérative. Les réseaux sociaux deviennent des vecteurs d’essaimage d’idées, d’échanges d’expériences et de recherches partagées.

Les idées des individus savants peuvent changer le monde et constituer de nouvelles sources de richesses.

La France, dit-on, n’a pas de pétrole, mais saura-elle vraiment produire des idées pour s’installer sur les marchés de l’économie immatérielle, contrer ces compétiteurs et relancer durablement sa croissance !? Les règles du jeu changent. Le marché des licences représentera plusieurs centaines de milliards de dollars dans moins de vingt ans. Pour y faire face la France est-elle suffisamment créative alors que la recherche c’est du business et que les laboratoires et les universités deviennent productrices de valeur grâce à la vente de licences ?

Nous devons devenir de vrais producteurs d’idées qui attirent les meilleurs talents puis des « commerçants » des savoirs afin de rentabiliser le fruit de nos innovations. Un paquet de grosses têtes ne fait pas un groupe innovant. Cette confusion entretenue entre l’innovation et la production d’idées me paraît dangereuse. Ce sont les idées qui « allument » les innovations, pas l’inverse. Cette simple observation a des répercussions considérables sur les méthodes utilisées pour gérer des processus d’idéation qui deviennent collectifs. Les compétitions à venir se déplacent vers les capacités des organisations à inventer, mais aussi à mettre en œuvre leurs idées rapidement. La performance d’une société moderne se mesure par sa capacité à passer de l’idée à l’action. Il s’agit d’éviter de voir nos scientifiques et nos créatifs s’enliser dans des organisations lourdes, incapables de réactivité.

Saurons-nous gagner des devises sur ces nouveaux marchés alors même que la majorité de nos entreprises ne sait pas valoriser ses actifs immatériels? Aurons-nous des entreprises et une nation fertiles, abeilles et fleurs à la fois !?

Entreprises, disposez-vous d’un patrimoine intellectuel de valeur ? Seriez-vous exportatrices d’idées ? Avez-vous de quoi offrir aux nouvelles bourses des savoirs ? Savez-vous accéder aux idées pertinentes ? Faites-vous le nécessaire pour valoriser le capital d’idées de vos collaborateurs ? Savez-vous valoriser vos savoirs ? Savez-vous les rémunérer ?!

Rendez vous compte : dois-je être moins payé si je réalise en dix minutes ce qu’un incompétent fera dans une journée ?

Cette question sur la récompense de la créativité des salariés, s’accompagne, avec les nouvelles logiques de l’économie immatérielle, d’une remise en question fondamentale des ukases de la productivité du travail et de la confrontation des facteurs de production traditionnels vue par les économistes du 20ème siècle.

Nous sommes dans une guerre de l’intelligence. Il faut cesser de mener cette guerre des biens immatériels comme on dirige une administration. La réponse aux exigences de cette “créativité collective” ne se fera pas sans bouleverser les façons de penser le management d’hommes organisés en réseaux professionnels ni sans revoir les façons d’organiser l’accès à des ressources immatérielles.

Les entreprises devront absolument libérer et encourager les échanges d’idées dans les réseaux et gérer des processus de constitution des banques d’idées. Les dirigeants devront reconnaitre leur personnel comme le premier élément de leurs actifs immatériels. [[Lire « Netbrain, les batailles des nations savantes » (Dunod 2008) qui vient d’obtenir le prix 2008 de l’économie numérique. Denis Ettighoffer y montre les profits considérables dégagés par celles des entreprises qui ont favorisés les espaces d’échange de connaissances et de créativité.]] Car c’est cela notre capital aujourd’hui. Un capital immatériel, gigantesque qui donne, aux pays comme aux entreprises qui pétillent d’idées, la chance de fertiliser le monde et d’innover en s’enrichissant.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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