Mieux vaudrait, ne serait-ce que par simple rationalité économique, agir plutôt qu’attendre. Le rapport Stern, du nom du Directeur du budget et des finances publiques au Trésor britannique qui le rendit public en octobre 2006, a eu pour principale novation d’introduire l’analyse économique dans le débat climatique. Et d’exprimer des arguments puissants en équations simples. Il souligne ainsi que les dommages causés par le réchauffement de la planète seraient 5 à 20 fois supérieurs aux sacrifices que les systèmes économiques devraient supporter pour lutter efficacement contre l’effet de serre. Et qu’une baisse de 25% des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à aujourd’hui ne devrait entraîner qu’un surcoût de 1% du PIB mondial à cette échéance.

A l’appui, des chiffres. Actuellement, le stock de CO2 s’établit à 430 ppm (parties par millions). Avec les flux d’émissions actuels, on arriverait à 550 ppm en 2035 et plus de 700 ppm en 2100. Or, pour se maintenir à 550 ppm en 2100, il faudrait réduire de 25% les émissions en 2050. Ce qui permettrait probablement de limiter à moins de +2°C le réchauffement climatique. Mais c’est presque déjà un scénario impossible.

Non pas éviter, mais atténuer les effets

Avec réalisme, la Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE) estime que « l’objectif de limitation du réchauffement moyen à 2°C maximum sera difficilement atteint et que l’humanité aura de toute façon à faire face à des conséquences qu’elle peut seulement tenter d’atténuer ». Autrement dit : il est déjà un peu tard, concentrons nous sur une limitation des dégâts…

Alors, on s’interroge : pourquoi les conclusions de Sir Nicholas Stern, par ailleurs ancien chef économiste et vice-président de la Banque mondiale, et qui travailla un an et demi avec une quarantaine de chercheurs (américains, européens de divers pays, chinois et indiens…) ne sont-elles pas plus suivies ? Pourquoi être à ce point dubitatif avant même Copenhague ? C’est qu’une tonne de CO2 n’a pas de nationalité. Et que, tout comme les efforts d’une région ou d’un continent profitent à toute la planète, le laisser-aller d’une autre région ou d’un autre continent porte préjudice à tous les autres. Et comme les pays les plus pauvres ne peuvent consentir aux efforts nécessaires, qui va payer pour eux ? « La vraie question se résume à ceci : combien met-on sur la table ? » insiste-t-on à Paris, au ministère des Finances, devant l’Associations des journalistes économiques et Financiers (Ajef). Certes, on peut imaginer des mécanismes incitatifs, comme par exemple le système « no loose target » (pas de sanction en cas d’émissions supplémentaires, mais revente possible et donc gain en cas d’émissions inférieures à un quota). Mais de nombreux pays sont hostiles à l’idée de montants nationaux définis…

Fin de la gratuité des émissions de gaz à effet de serre

En Europe, l’objectif de référence consiste à limiter à +2°C le réchauffement climatique au milieu du siècle. Et pour y parvenir, une seule solution : la fin de la gratuité des émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne, de ce point de vue, est en avance : elle représente aujourd’hui 80% du marché mondial du CO2, qui donne un prix au dioxyde de carbone. Mais la Nouvelle Zélande, l’Australie puis le Japon et les Etats-Unis devraient mettre en place leurs marchés.

Des taxes ont été également instaurées dans tous les pays européens. Jusqu’à présent, la part des recettes fiscales environnementales dans le PIB de l’Union est de l’ordre de 2,9%. Le Danemark arrive en tête avec 4,8% devant les Pays-Bas (3,9%) et la Finlande (3,3%) alors que les plus grands pays ont de moins bons scores : 2,6% pour la Grande Bretagne, 2,5% pour l’Allemagne et 2,1% pour la France. A ces niveaux, il ne semble pas impossible de consacrer à la lutte contre le réchauffement climatique les moyens nécessaires mis en avant dans le rapport Stern. Il semble aujourd’hui acquis que les capitales de l’Union fassent évoluer leur fiscalité environnementale : Paris, avec sa taxe carbone, souhaite être imitée pour que la mesure ait un sens.

La fiscalité environnementale française

La France, par ailleurs un des bons élèves de l’Europe au regard des objectifs de Kyoto grâce aux effets cumulés du nucléaire et de l’hydraulique, a commencé en 1964 avec les systèmes de redevances des agences de l’eau (9 milliards d’euros). Elle instaura ensuite la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers : 25 milliards d’euros), puis la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP : 0,5 milliard d’euros) et les quotas d’émission de CO2. La taxe carbone doit enfin entrer en vigueur en 2010. Si on inclut cette TIPP dans la fiscalité environnementale, celle-ci représente alors 3% du PIB. Pour être efficace, une fiscalité « verte » doit être assise sur des consommations d’énergie et des émissions polluantes bien identifiées pour que les surcoûts dus à cette fiscalité soient eux-mêmes bien visibles, et les économies faciles à enregistrer. En outre, les taux doivent être suffisamment dissuasifs.

Arbitrer entre travail et environnement dans la fiscalité

Par ailleurs, on admet aujourd’hui de plus en plus que des taxes environnementales peuvent remplacer, à recettes constantes, des taxes sur le travail. C’est en tout cas l’idée qui a prévalu en France, si on en croit le gouvernement, pour la réforme de la taxe professionnelle, présentée de façon concomitante à une taxe sur l’énergie ; reste encore à démontrer que cette substitution est réalisée à recettes constantes. Mais il est certain qu’une augmentation de la fiscalité environnementale sera d’autant mieux acceptée qu’elle s’inscrira dans une réforme fiscale financièrement neutre. Non pas neutre au cas par cas, si l’on veut que cette fiscalité incite à l’adoption de comportements vertueux comme pour la taxe carbone ; mais globalement neutre, une fois considérés les gagnants de cette évolution de la fiscalité, et les perdants, remarque-t-on à la Caisse des Dépôts.

200 euros la tonne de CO2 au milieu du siècle ?

Certes, avec une taxe carbone établie sur la base de 17 euros la tonne de CO2 pour son entrée en vigueur en France, la dissuasion n’est pas forcément au rendez-vous. Mais on sait que la valeur du carbone est appelée à augmenter ; c’est dans le principe de la taxe. Si elle avait été introduite en 2010 pour une valeur de 32 euros la tonne de CO2, la trajectoire recommandée par la Caisse des dépôts fixait un niveau de 56 euros en 2020, 100 euros en 2030 et 200 euros en 2050. Des montants bien plus dissuasifs. Mais ce ne sont que des hypothèses de travail.