Le groupe de réflexion EC (Europe Citoyenne) s’est penché sur l’avenir de l’éducation dans une perspective européenne. Présentée sous la forme de scénarios – tendanciel, rose et noir -, EC nous livre une synthèse de leur travail, voyage dans le temps qui nous invite à réfléchir aux enjeux actuels.

Voir aussi les scénarios pour la démocratie locale et l’article sur Europe citoyenne

Nous croyons que l’avenir de l’implication du citoyen dans les réformes politiques passera mieux par l’espace public européen, qui reste d’ailleurs à construire. Pourquoi ne pas prendre l’Europe aussi comme une occasion d’instaurer davantage d’internationalisme dans la réforme de l’éducation ? Les missions de l’école à l’heure de l’Europe devraient s’inspirer d’expériences positives dans d’autres pays plutôt que de s’enfermer dans un carcan national.

Réformer l’Ecole, en raisonnant uniquement en termes de modèle français, à la veille de la construction européenne de la culture et des sociétés civiles, nous semble un non-sens et risque d’ériger de nouveaux blocages pour demain. Nous croyons qu’une telle réflexion nécessite une attention aux projets de réforme dans d’autres pays et un dialogue avec d’autres sociétés civiles européennes.

D’autre part, nous constatons que la question de l’Europe est mal posée parmi les sujets prospectifs du débat national. Comment l’école peut-elle se donner une mission  » de formation du futur européen  » à partir d’un corps d’enseignants presque exclusivement français ? La France a du retard en matière d’ouverture de toute sa population active (et pas seulement de ses élites) à l’étranger et risque dans ce domaine de subir des revers concurrentiels à l’avenir. La formation du futur citoyen et professionnel français à l’ouverture au monde et notamment à l’Europe est une urgence.

Pour ouvrir l’école française à l’Europe, il faut à la fois :

 déployer une formation du corps enseignant aux langues et à l’inter-culturalité (avant d’intégrer cette dimension dans les modes de recrutement),

 subventionner les échanges scolaires internationaux et/ou les rendre obligatoires aussi au-delà des échanges linguistiques,

 assurer des échanges internationaux entre les personnels administratif et encadrant de l’école,

 généraliser les classes européennes.

Le modèle français républicain de l’école a besoin d’être décloisonné par de nouvelles idées déjà mises en œuvre dans d’autres pays européens. Aborder l’éducation en mutualisant toutes les avancées, les réussites, les idées, à l’échelle européenne, dans une perspective de progrès culturel commun, et non seulement de contraintes économiques, n’est-elle pas une bonne manière de redonner du souffle au projet éducatif ?

C’est pourquoi Europe Citoyenne a développé trois visions possibles de l’éducation de demain dont une qui mérite véritablement l’appellation d’école européenne élaborée par des citoyens de plusieurs pays européens.

Cette démarche s’appuie sur la méthode anglo-saxonne du scénario développement.

Quelle éducation dans l’Europe en 2020 ?

 Scénario tendanciel : un utilitarisme étroit

Dans la perspective où « tout est égal par ailleurs », l’ensemble du système éducatif en 2020 est construit pour que des élites y soient formées, de manière à assurer que les affaires publiques soient en des mains expertes et techniciennes. Ces élites, une fois repérées, ont alors accès à un parcours spécifique valorisé socialement.

L’ensemble de l’éducation, qu’elle s’adresse ou pas aux élites, ouvre largement à une culture très liée au monde marchand. Les apprenants sont largement abordés comme des consommateurs. Le système éducatif est considéré comme un prestataire de service dans un marché de l’éducation. Les technologies éducatives empruntent largement aux nouvelles technologies. Ces technologies ont tendance à primer sur le fond du contenu de l’éducation.

L’éducation est de plus en plus sponsorisée, même si elle fait encore l’objet de programmes réglementés par les pouvoirs publics. Les œuvres difficiles qui supposent une véritable éducation au préalable (comme le théâtre, la peinture ancienne ou encore la sculpture) n’ont plus guère d’écho. Il s’agit de se former soit pour des finalités professionnelles bien ciblées soit, parallèlement, de se distraire ou d’apprendre de manière ludique. L’appréciation des univers lointains ou imaginaires renvoie à l’initiative individuelle.

Le modèle de marché s’étant étendu au système éducatif, la recherche des bonnes pratiques, le  » benchmarking « , sont monnaie courante : les écoles sont elles-mêmes notées; cotées comme sur une place qui pourrait s’apparenter à une place boursière. Ces notes conditionnent à leur tour la manière dont les sponsors vont participer au financement des établissements. Pour les apprenants (à l’école ou en formation continue), la notation est permanente : chaque acquis cognitif est mesuré, chaque performance consignée, ce qui favorise la compétition entre apprenants et prépare à une vie professionnelle et sociale compétitive.

La dimension européenne est réelle pour les élites en formation. Les voyages et échanges au sein de l’Europe se multiplient, grâce à un enseignement plus poussé des langues européennes, notamment l’anglais, favorisant les relations interpersonnelles. Cela contribue à une vision de l’Europe synonyme de vécu cosmopolite et opportunité de statut social.

En revanche, pour le plus grand nombre, le pessimisme règne quant aux questions économiques, institutionnelles et de gestion publique, à l’échelle européenne. L’éducation n’outille pas à une implication européenne.

Dans ce scénario tendanciel, le fossé à combler entre la situation actuelle et la situation projetée en 2020, est celui d’une harmonisation des systèmes d’éducation soumises à une logique de service selon les critères du système marchand (construction de produits d’apprentissage ciblés, compétition, appel à des fonds privés en fonction de l’attractivité des établissements, apprenant consommateur…).

 Scénario rose : l’accès à une culture de citoyen européen

Dans ce scénario rose, l’ensemble du système éducatif est conçu comme une ouverture sur la culture et une culture de l’ouverture. Les éléments de culture qui sont un levier d’une citoyenneté européenne active, et plus largement d’une capacité à s’approprier l’Europe dans sa diversité et son unité, sont clairement connus du plus grand nombre.

Dans cette perspective, l’élève ou la personne qui se forme ne reçoit pas des savoirs de manière passive ou « consommatrice » mais est citoyen d’une démocratie : il apprend à être critique, à prendre position. Il apprend les bases lui permettant d’être en mesure de se former tout au long de la vie. Les évaluations sont davantage qualitatives et partagées. L’auto évaluation est encouragée.

Au sein des groupes d’apprenants, la diversité est une pratique (les groupes sont hétérogènes, surtout dans la formation continue) et une valeur en soi (on est plus riche si on est différent). De même, une valeur fondamentale est l’égalité des chances pour tous : chacun doit pouvoir accéder à l’éducation en adéquation avec ses capacités et aptitudes personnelles, quel que soit son milieu d’origine. L’éducation facilite la mobilité professionnelle (sur les plans sociaux et géographiques). Les filières ne sont pas cloisonnées. Pour ce faire, les pédagogies actives sont mises en œuvre : apprentissage de la coopération, valorisation des savoirs pratiques…

L’éducation est un bien commun européen, sous contrôle du citoyen : les programmes et la gestion sont décentralisés dans certains cas, certains services sont gérés de manière privée, mais, partout, ce sont les élus qui décident des orientations en matière scolaire et éducative. Cela est essentiel car la dimension humaniste doit prévaloir, de même que l’élévation par le savoir.

En lien avec les pédagogies actives, la créativité et l’innovation sont promues. De même, l’éducation à une pratique artistique fait partie de la culture partagée en Europe. Parallèlement, les médias sensibilisent le grand public à la culture européenne.

Cette manière d’envisager l’éducation favorise l’implication des populations, et notamment des jeunes, à la construction de l’avenir de l’Europe.

Dans ce scénario rose, plusieurs fossés sont à combler entre la situation actuelle et la situation projetée à l’horizon 2020 :

– celui qui consiste à spécifier les contenus culturels qui sont en mesure de rendre, par l’éducation, les personnes acteurs de l’avenir de l’Europe ;

– celui qui consiste à mettre le système éducatif sous contrôle des citoyens, de telle manière qu’il soit géré comme un bien commun et non comme un bien marchand.

 Scénario noir : le formatage des esprits

Dans ce scénario noir, l’éducation est conçue comme une démarche de « formatage des esprits ». L’apprenant est avant tout un élève ou un  » formé  » à qui on inculque une idéologie, voire une religion qu’il ne devra surtout pas remettre en cause.

Le formatage passe aussi par une éducation au service de filières de formation étroitement encadrées. Dans ce système, la ségrégation entre différents niveaux est précoce et conduit à des parcours distincts, largement fonction des origines sociales. Le déterminisme est total.

Par conséquent, seuls les plus fortunés ou ceux qui sont très tôt repérés et mis sur « les rails », de sexe masculin de surcroît, ont accès à un parcours d’élite dans des établissements totalement privés, payants et soumis à la logique marchande.

Le contrôle démocratique étant inexistant, on assiste à une balkanisation des Etats et même des réseaux d’éducation au sein de l’Europe.

L’éducation est à l’image de sa population : vieillissante, figée et peu innovante. L’Europe n’est pas un sujet d’apprentissage. Les jeunes, et la population ainsi éduquée, se sentent peu impliqués dans cette Europe.

Dans ce scénario noir, le fossé à combler entre la situation actuelle et la situation projetée en 2020, est celui d’une Europe se repliant sur des idéologies identitaires à la fois au niveau européen et au niveau de chaque pays la constituant. Il y a, sous jacent, une Europe prise dans une vision du monde fondée sur l’affrontement de civilisations et de cultures, se vivant comme la civilisation qui doit s’imposer, ou se replier sur elle-même pour perdurer.