À l’aube du 24 février 2022, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine,  lance une vaste offensive contre l’Ukraine. Très vite le chaos s’installe dans ce pays démocratiquement élu de 44 millions d’habitants : bâtiments détruits, aéroports en flammes, centrale nucléaire attaquée, missiles aériens, colonnes de tanks russes affluant vers les principales villes, milliers de réfugiés sur les routes. Le projet fou de Poutine est en train de se réaliser : mettre à genou un pays aussi vaste que la France et installer un gouvernement fantoche dans sa capitale : Kiev, avec un pantin nommé par Moscou à sa tête.

Pour situer les choses, Il n’est pas inutile, en introduction, de rappeler que cette invasion est illégale. Elle contrevient au Traité de Budapest, signé en 1994. Ce Traité signé par la Russie, les USA et le Royaume-Uni, stipule, noir sur blanc, que l’intégrité de l’Ukraine serait protégé si le pays accepte de renoncer à ses armes nucléaires. Ce que à quoi le gouvernement ukrainien avait aussitôt consenti.

Si la dimension de cette guerre surprend par son ampleur – on pensait que Poutine ne s’attaquerait pas aux grandes villes mais s’en tiendrait à consolider la Crimée  et les régions de Donetsk et de Luhansk – , sa détermination à vouloir jouer le maître du jeu dans plusieurs pays du monde est manifeste. L’armée de la Fédération russe, socle de l’état totalitaire, cause des dégâts dans de nombreux conflits. En Syrie, notamment avec la destruction de la ville d’Alep par les Migs russes, en Tchétchénie, en Géorgie, en Moldavie, au Kazhakstan. Partout, Poutine dicte sa loi en organisant la déstabilisation et la sécession. Depuis plusieurs mois, les troupes russes, se sont massées à demeure en Bielarus, où sévit d’une main de fer un satrape illégitime, son allié de toujours: Loukachenko. A ses frontières a été planifié l’attaque contre l’Ukraine.

Cela fait huit ans, que l’état russe a entrepris de démembrer son voisin ukrainien, annexant par la force la Crimée, et soustrayant une partie du Donbass, dans la partie Est de l’Ukraine, à la souveraineté de l’État ukrainien. Depuis le 24 février, c’est au tour de l’ensemble des villes d’Ukraine,  de subir la violence des missiles.  Selon des sources d’Amnesty et de Human Right Watch, des bombes à fragmentation ont été déversées dans les quartiers de certaines villes, touchant des hôpitaux et des écoles. Du jamais vu en Europe! 150 000 soldats russes sont à l’œuvre.

Outre les bombardements, c’est l’arme de la terreur civile que Poutine utilise en envoyant 10 000 mercenaires tchétchènes sous les ordres du criminel de guerre Kadyrov, celui qui a massacré une grande partie du peuple Tchétchène et qui s’est mis depuis plusieurs années aux côtés de Moscou pour annihiler toute résistance. Ce dernier s’était cruellement manifesté en détruisant la capitale tchétchène Grozny en s’appuyant sur la soldatesque  russe. Les commandos « Wagner » payées par Moscou sont également sur place, requis pour terroriser les populations civiles dans les grandes villes d’Ukraine désormais encerclés et privées de ressources en gaz et électricité. Moscou aurait préparé une liste de “personnes à tuer” dans le cadre de la “dénazification” du pouvoir ukrainien, dont le Président ukrainien élu, Volodymyr Zelenskiy, lui-même juif.

Fantasme de reconquête

La stratégie de Poutine : s’installer militairement et amputer durablement l’unité du territoire ukrainien, comme il l’a fait en 2008, lors de la guerre en Géorgie. La défaite géorgienne s’était soldée par la sécession de deux territoires prorusses: l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud,  reconnues comme deux états indépendants, par Moscou.

Son projet final : tenter de reconstituer une sphère d’influence dans l’espace de l’ancienne Union soviétique (URSS) ; contrecarrer l’influence de l’Union Européenne, « isoler l’Europe des États-Unis, afin de mieux diviser les Européens ». Un ensemble d’objectifs qu’il s’est fixé depuis bien longtemps. L’« étranger proche » de la Russie doit se trouver sous son influence. Même s’il faut faire la guerre pour cela.

Cela fait vingt ans que le dictateur ex-lieutenant du KGB sème la guerre et la désolation autour de  lui et vingt ans qu’il se fiche des remontrances des Occidentaux. Poutine connaît bien leurs réticences aux risques. En Syrie, Obama n’a-t-il pas reculé devant l’utilisation des armes chimique par Bachar El Assad, alors qu’il avait proclamé que le franchissement de cette ligne rouge équivaudrait à une déclaration de guerre ? Le maître du Kremlin est ainsi convaincu que puisque le grand « Satan » américain n’interviendra plus, aucune démocratie ne portera secours aux pays en danger. Pour cela, il utilise la menace de la dissuasion nucléaire. En témoigne le bombardement d’une centrale nucléaire et l’occupation de Tchernobyl.

En perspective : la configuration d’un  « désordre mondial » qui opposerait les Empires cherchant à se reconstituer (Russie et Chine), et réunir leurs territoires anciens perdus. La volonté partagée par les Russes et les Chinois de changer l’équilibre des forces mondiales  montre la convergence idéologique, de ces deux puissances ex-communistes se sentant humiliées par l’histoire et  nourrissant un ressentiment agressif à l’égard des démocraties modernes. Cette agression menace directement les anciennes démocraties populaires ayant rejoint l’OTAN, et notamment les Pays Baltes : Estonie, Lituanie, Lettonie, trois anciennes républiques soviétiques qui sont, elles aussi, déjà depuis plusieurs années, membres de l’OTAN, mais où vit une minorité russophone.

C’est à travers une lecture tronquée de l’histoire que Poutine conduit sa reconquête. « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire  », disait Zbigniew Brezinski, ancien conseiller national de la sécurité, sous la présidence de Jimmy Carter. C’est évidemment ce qui contrarie le maître du Kremlin. Aussi bien projette-t-il d’intégrer ce deuxième pays d’Europe par sa surface, au sein de la Fédération russe. Considérée par Poutine comme une création artificielle, gouvernée par des fascistes, l’Ukraine serait, en vérité, selon lui,  un morceau de la Russie qui en aurait été indûment détaché. Il prétend que Moscou et la Grande Russie est l’héritière naturelle de la Rus’ Kiévienne.

En réalité corrige Yuval Noah Hariri, dans un article du Guardian : « Kiev a 1000 ans d’âge. C’était déjà un grande métropole quand Moscou n’était qu’un village ». Mais Poutine est fâché avec l’histoire réelle. Tout se joue dans le ressentiment qui encombre son cerveau. Dans un texte publié à l’été 2021, intitulé «  Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens» , il écrit que « la chute de l’URSS est « la plus grande catastrophe du XXIème siècle« . L’existence de l’Ukraine ne serait qu’une sorte d’accident de l’Histoire. Le scénario idéal pour Moscou est donc qu’elle revienne dans le gironde la mère Russie. ( LIRE l’article Le viol de l’Ukraine. Bruno Tertrais in Le Grand Continent ). L’avantage serait de rééquilibrer le vaste territoire russe par un apport de population slave et de donner un coup de fouet à la démographie russe : « Les Ukrainiens sont des migrants presque idéaux. En tant que Slaves de l’Est, ils sont considérés comme faciles à intégrer ; ils apportent les compétences nécessaires au marché du travail russe » (Bruno Tertrais). 

L’homme malade du XXI ème siècle

Tous les commentateurs s’accordent à admettre que Vladimir Poutine, agent du KGB, ami des mafieux,  promu par Boris Eltsine, voudrait rester dans l’histoire comme le restaurateur de l’empire soviétique. Sa nostalgie stalinienne est doublée d’une admiration  pour l’empire tsariste de Pierre le Grand. Ancré en lui le désir de construire une nouvelle Russie, une sorte de synthèse de panslavisme, de rapprochement avec la chrétienté orthodoxe et de négation de l’Occident, une sorte d’empire « eurasien » ultra-nationaliste, brun et rouge.

Autoritaire et plein de morgue, l’ex-lieutenant du KGB  est renfermé dans une vision passéiste, et victimaire de l’Histoire, «  parti dans une sorte de dérive à la fois idéologique et sécuritaire ». L’image psychologique que les psychiatres donnent de lui est celle d’ un animal politique à sang froid, hyper-contrôlé, calculateur,  impénétrable, distant, gonflé par la haine. La chancelière Merkel avait déjà observé les troubles de sa santé mentale.  « Il a perdu tout contact avec la réalité […] Il est dans un autre monde ». « Il y a un mélange de rationalité et de clôture totale par rapport au réel […] une forme de détachement de la réalité de Poutine au nom de son idéologie qu’on peut qualifier de paranoïaque », considère le philosophe Michel Eltchaninoff. Comme l’écrivent Isabelle Mandraud et Julien Théron, « la violence est constitutive de la présidence de Vladimir Poutine ». Provocation, mise en scène, nécessité d’avoir le dernier mot, faire tourner en bourrique le monde entier… Vladimir Poutine a tout (ou presque) de la psychologie d’un troll. Mensonges permanents, réécriture de l’Histoire, accusations fausses contre l’Ukraine, hantise du déclassement… les discours tenus par le chef du Kremlin montrent sa soif du pouvoir et son incapacité à négocier selon les règles de transparence établies. Le Pentagone décèle chez lui une forme d’autisme qui l’obligerait à exercer un « autocontrôle maximal » dans ses relation publiques.  Un trouble du comportement que les neuro-scientifiques appellent l’hubris.

Ce que Poutine n’a pas prévu ou sous-estimé

Le monde entier semble surpris par son ardeur à souffler le chaud et le froid, à chaque fois pour se convaincre de faire la guerre. Le président russe a fait de cette option une affaire personnelle, basée sur ses convictions  que l’Ukraine n’est pas une vraie nation ; que l’acheminement du gaz passant par l’Allemagne ne serait pas coupé ; que l’OTAN n’enverrait ni armes, ni troupes aux frontières de la Pologne, des Pays Baltes et de la Roumanie ; qu’il lui serait facile et rapide de mettre en place, au bout de quelques jours, un gouvernement fantoche. Il semble aussi avoir misé sur le fait que les Américains resteraient à l’écart.

Les faits montrent qu’il se trompe, soutient Yuval Noah Hariri. Son plan ne se déroule pas comme il  pense. La résistance dans le pays est durable et beaucoup plus solide que prévue.  Tenir le pays sur le long terme sera difficile à l’armée russe. La remarquable ténacité du Président ukrainien Zelenskiy , et le rôle « héroïque » qu’il joue en n’hésitant pas à s’engager physiquement dans la bataille de Kiev, a suscité l’admiration de la plupart des diplomaties et des peuples. Zelenskiy reste humble à la hauteur de la situation, conscient des difficultés, mais toujours droit et reconnaissant avec les pays qui le soutiennent. Apprécié par son attitude rationnelle,  il communique en permanence avec la plupart  des diplomaties alliées.

Le courage des Ukrainiens donne du courage au monde entier et sert d’activateur aux gouvernements d’Europe. Face à la guerre, l’Union Européenne se montre plus unie que jamais et l’OTAN en sort renforcé. Tous les pays ont envoyé en nombre significatif des armes à l’armée ukrainienne. Ainsi, le 1er mars,  70 avions de chasse Mig21 ont été livrés à l’Ukraine.  Mauvaise surprise pour Poutine, l’Allemagne qu’il pensait à sa botte à cause du gaz ne s’est pas couché. Elle a finit par couper les robinets. Le dictateur n’avait pas prévu pareil scénario :  la renaissance d’une Europe comme acteur géopolitique !

Seuls trois régimes de dictature  soutiennent l’invasion : la Belarus, la Syrie et le Vénézuela. Mais le grand « ami » de la Russie, la Chine a affiché sa neutralité dans son vote à l’ONU. En réalité la Chine n’a pas d’amis, elle n’a que des clients et des consommateurs. Poutine semble avoir négligé cette réalité. Bref, mauvais stratège, il n’avait pas pensé que l’occupation de l’Ukraine par l’armée russe se  transformerait en bourbier dont il serait compliqué de s’extraire.

Comme le souligne Lawrence Freedman, professeur de War Studies, à Londres, Poutine a commis deux erreurs : « la sous-estimation de l’ennemi et la surestimation de ses propres forces, qui sont en fait la même  : l’arrogance. ». Il est envisageable que Poutine n’aille pas jusqu’au bout. La résistance locale s’ajoutant à la pression internationale et au risque national, la situation pourrait le pousser à la négociation avant la défaite de l’armée ukrainienne. Autre difficulté : attaquer un pays est une chose mais le tenir, c’est-à-dire l’occuper, en est une autre, Poutine préfèrerait possiblement  ne garder sous son contrôle qu’une partie du territoire Ukrainien. Il reste qu’actionner la menace de l’arme nucléaire en cas d’intervention étrangère reste dans les options folles que sa mauvaise santé mentale lui dicte. N’a-t-il pas menacé de réagir « d’une façon que le monde n’a jamais connue », semblant sous entendre une éventuelle utilisation de l’arme nucléaire.

L’efficacité des sanctions ?

 En général, soutiennent les experts de la chose militaire, les politiques de sanctions n’ont pas l’effet escompté. Les sanctions restent souvent inefficaces. Ainsi, en 2017, lors de la guerre de Crimée, elles  n’ont pas permis le retour de la Crimée dans le giron ukrainien, ni ralenti les manœuvres militaires suspectes de troupes russes aux frontières ukrainiennes au printemps  2021, ni empêché le déclenchement de l’offensive.

Trop souvent, les sanctions arrivent trop tard. Les mesures de rétorsion financière contre les banques sont souvent contournées par le marché noir, les trafics mafieux,  les paradis fiscaux. En Russie, les plus riches ont de l’argent sur des comptes dématérialisés. Le gouvernement a entrepris, depuis 2019, une sortie du dollar de son économie au profit de l’or.  En outre, une grande incertitude règne sur la façon dont vont se comporter les marchés mondiaux. Un krach économique planétaire est-il à craindre ?

Une chose est sûre, malgré son partenariat avec la Chine, l’économie russe est en mauvais état. Majoritairement rentière, elle survit surtout grâce à ses ventes de gaz. La menace visant Nord Stream 2, le gazoduc exploité par Gazprom, reliant la Russie à l’Europe par l’Allemagne, est sans doute la mesure la plus opérante. Contre toute attente, l’Allemagne jusqu’à alors réticente, s’est également décidée à livrer des armes (lance-roquettes, missiles) à l’armée ukrainienne. Les livraisons de munitions, la fermeture de l’espace aérien européen, les difficultés opérationnelles russes sur le terrain, faute d’essence, font que la bataille sera loin d’être gagnée. Autre mesure significative, décidée par la Turquie, l’interdiction du passage des navires de guerre par le Bosphore.

La déstabilisation commence à se faire ressentir à l’intérieur même de la Russie. Déjà les effets de ces sanctions sont tangibles au sein de la population. Il faudra au gouvernement russe gérer la panique populaire si le rouble s’écroule. Cette crise pourrait engendrer des troubles sociaux dans une population déjà lourdement impactée par les actuelles réformes du Kremlin, notamment celle des retraites. Elle forcerait la Russie à prendre des mesures financières drastiques. Les entreprises et les épargnants russes seraient vite contraints de retirer les quelque 300 milliards de dollars qu’ils ont mis de côté, en devises étrangères, auprès de banques qui ne seront pas en mesure de fournir cette quantité de liquidités, pas plus que la Banque Centrale russe ne le pourrait car la banque centrale ne peut désormais plus se refinancer sur les marchés. La monnaie russe chute. Les obligations en roubles ne sont plus remboursées. Le pays serait au bord du défaut de paiement. Après une dizaine de jours de combats, l’UE a débranché sept banques russes du système financier international Swift, bloquant les transactions sur les flux financiers. Les cartes bancaires VisaCard et Mastercard  sont désormais inopérantes. L’armée russe  et l’industrie militaire devraient être touchées par les sanctions mais aussi le secteur des technologies de pointe importés et exportés vers l’étranger. Cela pourrait contrarier les ardeurs guerrières de Poutine.

L’espoir

En ce début du mois de mars 2022, nous avons changé de monde : des sanctions fermes prises par des alliés unanimes, une Allemagne prête à une révolution culturelle en matière de défense, une Europe qui n’a jamais été aussi unie, et qui enfin se décide et parle haut. Si l’ONU est aujourd’hui en État de mort cérébrale car l’organisation n’est plus qu’une tribune sans influence, l’UE a, pour sa part, consolidé comme jamais ses positions. Ce choc a aussi considérablement renforcé l’attractivité de l’OTAN, puisque l’Ukraine a été la démonstration éclatante que ceux qui n’en font pas partie sont vulnérables. Pratiquement l’ensemble de la planète affirme sa solidarité. En témoignent les manifestations massives dans la plupart des capitales des pays démocratiques. N’en déplaise à ceux qui rêvent d’un Poutine français (Eric Z), et qui affirment que «l’Ukraine n’existe pas», c’est le réveil  de l’Europe citoyenne!. 

Aussi la question est posée : N’est ce pas le moment pour l’UE de devenir une fédération de pays et d’avoir des normes communes comme l’Europe de la défense défendu par le président français ? Cette affirmation rapide de la puissance européenne, est du jamais vu depuis sa création. En menaçant la Suède et la Finlande, membres de l’UE, de représailles « nucléaires » s’ils décidaient d’adhérer à l’OTAN, Vladimir Poutine a finalement poussé en un week end, ces deux pays à rompre avec leur  neutralité.  Outre la Suède et la Finlande qui réclament leur adhésion à l’OTAN, la Moldavie et la Géorgie elles demandent leur adhésion à l’UE. Le réalisme actif des chefs d’état européens est une première. Unis, ils agissent avec une grande fermeté de langage, mettent en place des sanctions économiques très fortes et restent ouverts aux dialogue avec la Russie. Enfin, l’idée de traduire Poutine vers la Cour pénale internationale de justice fait son chemin. La cour de La Haye a annoncé qu’elle lance une enquête sur les crimes de guerre et contre l’humanité en Ukraine commis par la Russie et par la Belarus.

La fin d’une dictature ?

Il est difficile d’imaginer la fin d’une dictature sans la participation décisive d’acteurs de la société. Comme on l’a vu, Poutine se méfie de tout et est extrêmement protégé.  Mais  dans tout système, il y a des failles.

Le premier acteur décisif  d’un renversement de gouvernement pourrait être l’armée de la Fédération Russe elle-même.

Sur le terrain, de nombreux soldats, manipulés par les officiers et les médias, semblent ne pas savoir ce qu’ils font là. Certains se mutinent. Des convois entiers de tanks sont désorganisés par le manque d’essence pour avancer. L’armée semble mal ajustée à la réalité du terrain. Peut être certains connaissent-ils la leçon de Victor Hugo que tout le monde a lu en Russie : « Soldats russes, ne combattez pas vos frères ukrainiens ». Bref, la guerre rencontre de nombreux obstacles. Autre élément ; les livraisons d’armes à l’Ukraine sont conséquentes, ce qui fait réfléchir Poutine et sans doute le pousse à agiter l’arme nucléaire. Enfin, il semble se passer quelque chose encore difficile à décrypter au sein de l’armée. Est ce l’évocation de l’utilisation des armes nucléaires par Poutine, ou bien la démoralisation de nombreux soldats russes qui se mutinent ou ne comprennent pas ce qu’ils font là ? Toujours est-il que la situation au sein de l’état-major ne plait pas à Poutine.

Autres acteurs qu’il ne faut pas négliger : les oligarques

Les oligarques commencent à s’inquiéter. En témoignent les déclarations de quelques proches de Poutine qui craignent l’isolement de la Fédération et la faillite du pays. (Tchoubaïs, Deripaska, Fridman, Abramovitch, etc.), de l’émotion interne, de l’isolement complet de la Russie: voilà un terreau de déstabilisation inédit depuis la chute de l’URSS. Le pétrolier géant russe Loukoil demande la fin de la guerre. La flotte aérienne russe court le risque de perdre la moitié de ses locations d’avions et de ne plus pourvoir se déplacer normalement. Les places bancaires où se trouvent de nombreux milliardaires russes Monaco, Suisse leur seront fermés. Puisse son entourage l’empêcher d’entraîner la Russie et le monde dans le suicide collectif. 

Enfin, les civils russes

Ils sont  de plus en plus présents sur la scène politique. Sans doute, le maître du Kremlin n’a-t-il pas prévu la forte réaction d’une partie non négligeable du peuple russe.

Trompée par la propagande, manipulée par les médias à la botte de Poutine, l’opinion publique russe croit ce qu’on lui dit: le pouvoir de Kiev serait sur le point de commettre un génocide contre les russophones de l’Est du pays. Or, il n’existe plus de contre-pouvoirs pour rétablir la vérité.  L’association « Mémorial » dont les enquêtes permettaient de connaître les atteintes aux droits de l’homme sur le territoire russe, vient d’être dissoute. Les manifestants anti-guerre et opposants à Poutine dans les rues de Moscou, de St Petersbourg et dans d’autres grandes villes, plus informés que la moyenne,  connaissent, eux, la situation. Ce sont surtout les jeunes et les classes plus éduquées. Il leur reste à montrer leur force en nombre.

Peut-on imaginer le soulèvement du peuple russe ? Difficile à dire.  Mais nombre d’entre eux seront très largement contraints dans leur vie économique, en particulier les gens plus aisés qui ont du pouvoir ou des économies, ceux qui voyagent à l’étranger, qui ont des biens en Europe, à Courchevel,  à Londres , sur la Riviera, à Marbella, ou à Paris, ceux qui ont leur argent placé dans les banques de Suisse, de Monaco ou à la City. Mais les plus visibles sur la scène internationale sont les scientifiques qui ne veulent pas que la Russie soit un pays paria et les artistes.

Restent les médias.

La plupart médias d’état cachent la réalité de la guerre en Ukraine. Les citoyens sont sous informés. Personne ne pense qu’elle fait des milliers de victimes. Comment, pensent la plupart des citoyens, pourrions-nous tirer sur nos frères ukrainiens ? Mais le monde change. Plus rien ne peut passer sous silence. Même en Russie.  Lorsqu’en 1999, Poutine réduit en cendres la ville de Grozny en Tchétchénie, il n’y avait pas de médias sociaux. Aujourd’hui l’opinion assiste en direct, par internet, et sans filtre aux destructions et aux exactions de son armée. Les fake news et mensonges diffusés par les médias de propagande pro russes, financés par Moscou, Russian Today et Sputnik sont désormais interdit sur l’ensemble du territoire européen.  Les sites russes stratégiques sont également piratés par les hackers européens qui ont décidé d’unir leur savoir pour faire passer les messages anti-guerre au sein même des institutions russes.

Poutine peut se rassurer en se disant qu’il aura des relations avec la Chine, l’Iran, le Pakistan et quelques autres États qui sont indifférents au respect du droit international et des principes d’humanité. Il n’empêche, le pays sortira isolé et déstabilisé par cette guerre sans raison, devenant pour longtemps un paria de la planète comme la Corée du nord. L’invasion de l’Ukraine sera, quelle qu’en soit l’issue déjà désastreuse, une guerre perdante pour Poutine.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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