Entre les catégories souvent opposées des « eux » (« jeunes de banlieues ») et des « nous » (adultes de droite ou de gauche), quelles dynamiques possibles pour construire un « nous tous » ? Telle est la question posée par Joël Roman dans son livre « Eux et nous ». Début de réponse.

« Eux et nous » est un petit livre accessible et constructif, rédigé par un Joël Roman ni sociologue, ni juriste, ni historien, ni politologue, ni militant professionnel mais philosophe.

A quelques temps des élections présidentielles et au moment où devraient se tenir les échanges non seulement sur les programmes mais aussi sur les projets, l’auteur propose une réflexion sur la notion de « communauté politique ». Loin de tout confort idéologique, détaché de positions dogmatiques, intellectuellement honnête en ne mélangeant pas les genres, il rappelle l’histoire, rétablit des faits, pose des analyses et propose des pistes.

Qu’est-ce que cet espace géographique, historique, culturel, économique, politique de la banlieue ? A quoi et à qui sert-il ? Comment le sentiment de différence essentielle voire d’opposition entre « eux » et « nous » peut-il être compris, analysé et retravaillé pour que la nation, la société française progressent ? Ainsi, Joël Roman écrit, page 63 de son livre : « Après la question : quel compromis social voulons-nous ? On retrouvait la vieille question, autrement plus cruciale en un sens : que faisons-nous ensemble ? ».

Pour un universalisme respectueux des différences

L’auteur démontre que le « discours sur l’intégration », en panne et délégitimé aujourd’hui, se focalise sur deux thèmes : la délinquance des mineurs et l’émergence d’une revendication musulmane forte. Or, ce discours qui ne cherche qu’à « combler les lacunes et les carences des fonctionnements institutionnels » s’adresse à une immigration postcoloniale qui n’a jamais été aussi intégrée…

Notre société est devenue fragile ; asseoir une communauté politique sur l’invocation de la mémoire et de l’identité ne suffit plus, c’est bien une « refondation de notre consensus national que propose le choix clairement affirmé de l’ouverture et du multiculturalisme », écrit-il encore page 63.

Les questions d’islam ou de traitement de notre mémoire coloniale peuvent alors devenir des prétextes à réinventer les modalités de notre identité ; l’avenir radieux apparaîtrait derrière un « universalisme respectueux des différences. »

Un ouvrage politique

Cette petite musique à la composition rigoureuse n’exclut pas l’émotion, elle nous aide à réfléchir posément aux défis et enjeux de ce fameux « vivre ensemble » en évitant les clichés, les facilités démagogiques et les vœux pieux.

« Eux et nous » présente encore quelques analyses tactiques et stratégiques bien utiles contre le vote FN. Accessoirement, l’auteur, page 101, rappelle quelques faits incontestables mais régulièrement tordus et manipulés : « Il n’y a pas de connexion entre la géographie de la délinquance et celle du vote Front National » ou « la plupart des jeunes condamnés une première fois par la justice ne se retrouvent pas devant elle ».

On peut donc être lucide, honnête et complexe sur le constat de la réalité ; ambitieux et intransigeant sur les valeurs ; subtil, efficace et cohérent dans les démarches propositionnelles. Il suffit de nous souvenir de notre responsabilité individuelle et collective envers nos vies, nos institutions et la société dans laquelle nous vivons. On peut ne pas être entièrement d’accord avec les idées de Joël Roman sans jamais se sentir insulté. L’engagement fort peut ne pas rimer avec exclusion, mensonges, coups bas, mépris ou haine. Profitons-en.

« Eux et nous », Joël Roman, « Hachette littératures », novembre 2006, 10 euros



Trois extraits

 « Moins que la mixité, l’enjeu social réel semble bien être la mobilité, dans tous les sens du terme : mobilité quotidienne que permettent les voies de communication et en premier lieu les transports en commun. Mobilité résidentielle surtout, qui ouvre des perspectives et rendent les quartiers d’habitat social à leur fonction : celle d’une étape dans un parcours résidentiel ; mobilité sociale ensuite, que permet la formation et notamment l’école. (…) Rouvrir l’espace et l’espoir de la mobilité, telle est aujourd’hui la tâche la plus urgente pour construire des territoires solidaires.» (page 47)

 « Le social-populisme, dans sa version sécuritaire avec les gesticulation de Sarkozy, dans sa version misérabiliste avec les surenchères d’une fraction de la gauche et de l’extrême gauche, est en train de gangréner la politique française. En attendant que les partis de gouvernement se ressaisissent, les boucs-émissaires restent les mêmes. Et le FN, quelle qu’en soit la forme, a de beaux jours devant lui : est-ce donc si difficile de faire le choix d’une France qui partage ? » (page 114)

 « On aurait pu lire la revendication de la visibilité musulmane comme un signe fort d’intégration et non l’inverse : c’est en tant que citoyen français de confession musulmane qu’un certain nombre d’entre eux ont chercher à faire reconnaître leurs droits et à s’assurer une visibilité sociale au moins égale à celle dont jouissent les autres cultes. » (page 125)

Au sujet de Nathalie Dollé

Diplômée de l’École Supérieure de journalisme de Lille puis détentrice d’un Master « information et éthique des droits de l’homme », Nathalie a quitté le groupe France-Télévision après 20 ans de carrière pour se lancer dans des missions autour de la presse et de la communication, en France et à l’international. Essentiellement pour l’Union européenne.

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