Les journaux ont-ils tiré les leçons des critiques qui leur furent adressées suite aux résultats du premier tour des élections présidentielles de 2002. Entretien à Ouest France où un vrai travail de réflexion a été engagé.

Entretien avec Paul Goupil (rédacteur en chef adjoint) et Didier Eugène (chef du service politique). Relu pas les intéressés.

Retour vers le futur

« Nous avons été très secoués par le second tour de la présidentielle de 2002 et l’une des premières interrogations professionnelles a été : comment un journal raisonnable, un quotidien fondé par des démocrates-chrétiens comme le nôtre, pouvait ou devait parler des « extrêmes » en politique, qu’ils soient de droite ou de gauche ? Question que nous nous étions jamais posée.
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L’un de nos rédacteurs en chef a examiné de près le travail de Ouest-France pour mesurer si notre traitement des faits divers avait participé au développement de la thématique sécuritaire. Nous avons aussi attentivement étudié la série d’articles publiés avant les élections et qui revenaient sur ce qui s’était passé entre 1995 et 2002 en terme d’évènement politiques, culturels et sociaux marquants.

Dans une intention assez noble, nous nous étions intéressés en priorité à ce qui relevait du constructif et du progrès, en laissant de côté les régressions, les tendances glauques ou hargneuses, celles qui nourrissent précisément le vote extrémiste. Mais comment donner à voir et à comprendre ce qui est tellement dérangeant ? Comment parler des désespérés qui sont hors système ?…
Le journal, juste après le 21 avril, a publié une longue enquête pour tenter de comprendre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, elle a fait apparaître des sentiments et surtout des ressentiments que nous n’avions pas ou peu exposés auparavant ».

La préparation en amont

« Dès l’été 2006, nous avons organisé nos premières réunions sur la couverture de ces nouvelles échéances présidentielles. Immédiatement, nous avons décidé d’être prudents, de ne pas jouer le second tour avant le premier, de ne pas entrer dans la confrontation « Royal-Sarkozy » qui était déjà mise en scène.

En octobre, Pascal Perrineau du Centre d’Etude de la Vie Politique Française a passé une journée à Rennes avec la direction, des cadres, des journalistes des différents services et des différents départements. Sa propre équipe de chercheurs s’est elle aussi interrogée en profondeur sur l’évolution de son travail depuis 2002. Ensemble, nous avons mené une réflexion collective sans complaisance pour tenter de définir une manière plus responsable de traiter cette nouvelle élection ; nos maîtres mots sont sans doute « équité » et « traitement raisonné » ».

L’avant-campagne officielle

« Nous avons publié une grande enquête sur les jeunes au prétexte de la clôture des inscriptions sur les listes électorales avant le 31 décembre. Pendant 10 jours, la dernière page du journal était réservée à cette série d’articles. Nos reporters ont exploré la génération des 18-25 ans : précarité, usage des technologies, culture, relations entre eux et avec les générations précédentes, vision de la politique…

Une deuxième série de papiers a traité des évolutions significatives de notre société depuis 2002 : mondialisation, développement personnel, islam, sécurité/liberté, internet, banlieues, évolution des zones rurales, environnement, le choc d’Outreau, les femmes qui montent…

Depuis le 12 mars a commencé une troisième volée d’articles sur 6 dossiers qui nous paraissent représenter les enjeux majeurs de cette élection : la France en Europe et dans le monde, l’avenir industriel et économique, le modèle social français, l’intégration et l’immigration, l’école et la formation, les conséquences du vieillissement.

Le souci majeur de 2007 a été de susciter un travail « inter-services », de mobiliser les compétences pour être à la fois réactifs et pertinents ».

Le traitement des sondages

« La relation entre les médias et les sondages reste déterminante et problématique. Nous avons décidé de les traiter « groupés » et pas « un par un ».
Quand Nicolas Sarkozy est en tête 40 fois de suite, nous pouvons expliquer cette information. Quand François Bayrou est annoncé à plus de 20% dans un sondage, nous attendons que la tendance se confirme avant de réagir.
Ouest-France essaie de ne pas se laisser piéger par une quotidienneté qui deviendrait un handicap. Nous tentons la prise de recul face aux agitations et aux soubresauts.

A ce « traitement raisonné » s’allie la notion prioritaire « d’équité » de traitement entre les quatre candidats majeurs. Nous recherchons un équilibre sur une période hebdomadaire plutôt qu’au jour le jour. Notre souci est de hiérarchiser les informations et les évènements, de différencier l’important de l’accessoire sans pour autant « faire les malins ». Nous faisons des choix en restant humbles. Nous avons aussi découvert la nécessité de nous « frotter la cervelle à des non-journalistes » qui nous ont ouvert des pistes. Le corporatisme n’est pas la bonne solution. La mauvaise surprise de 2002 a quand même eu, comme effet collatéral bénéfique, une profonde remise en question puis une mobilisation d’intelligence collective ».

Propos recueillis par Nathalie Dollé

Au sujet de Nathalie Dollé

Diplômée de l’École Supérieure de journalisme de Lille puis détentrice d’un Master « information et éthique des droits de l’homme », Nathalie a quitté le groupe France-Télévision après 20 ans de carrière pour se lancer dans des missions autour de la presse et de la communication, en France et à l’international. Essentiellement pour l’Union européenne.

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