Yan de Kerorguen

Elles sont bien lâches les craintes de ceux qui pensent qu’il faut se plier aux Salafistes en demandant à Charlie Hebdo de cesser ses croquis bouffe-curés ou bouffe-imams.

Doit-on faire taire Rushdie pour contenter les imbéciles frustrations des intégristes ? Doit-on supprimer le métier de caricaturiste pour ne pas froisser la pauvre conscience des ignorants ? Est-ce ainsi que l’on rend hommage à ce formidable ambassadeur américain qui aimait tant le peuple libyen ? Il est bien vain ce débat sur la responsabilité et la liberté d’expression. Que n’a-t-on compris que c’est notre liberté la plus fondamentale qui est en jeu?

Ils sont bien ridicules ces leaders de la droite français à parler du racisme anti-blanc, une invention de l’extrême droite, lourde de sous-entendus, soudainement mise en exergue dans un contexte où les discriminations envers les minorités et les Français noirs ou arabes issus de l’immigration existent toujours. On ne peut pas faire mieux que cette distinction entre les types de racisme pour favoriser un antagonisme communautaire et alimenter une racialisation des rapports sociaux. Il n’y a pas de racisme « anti blanc », »anti noir », « anti jaune », « anti rouge » ni de racisme « anti-patron » (sic), c’est le racisme dans son entier qu’il faut combattre.

Ils sont bien dérisoires nos doutes sur les capacités de François Hollande à diriger la France, nous qui avons considéré que Sarkozy avait surtout échoué à cause de son agitation perpétuelle. Nous qui pensions que rien ne sert de courir il faut partir à point. Nous qui trouvions qu’il valait mieux être au travail que courir les médias ou faire des annonces. Quatre mois, c’est bien peu pour obtenir des résultats. Alors patience et longueur de temps valent mieux que force ni que rage.

Ils sont bien pernicieux nos médias ricaneurs et frivoles, qui trouvent que nos gouvernants ne sont pas assez « people ». Ils sont bien légers ces animateurs narcissiques à faire de tout sujet un divertissement ou un fait divers. Eux qui préfèrent consacrer au JT du soir une demi-heure à la disparition de Jean-Luc Delarue ou de Thierry Rolland, les héros vulgaires de la modernité, tandis que l’information essentielle est reléguée à l’arrière-plan.

Mais où sont-ils, les citoyens dans les débats? Pour oublier leur vie sans éclats, les citoyens sont invités à s’asseoir sagement autour des « people » et applaudir à leurs frasques quand le chauffeur de salles le leur dit.

Ils sont bien cyniques, ces ultralibéraux qui ont conduit le système financier mondial au bord du gouffre, qu’il s’agisse de gouverneurs des banques centrales, de ministres des Finances ou de responsables des banques privées et qui aujourd’hui instrumentalisent la crise en accusant l’état providence d’être responsable de tout.

Quelle impudence ! Il est étrange de les entendre oser affirmer sans honte, après avoir semé la gabegie, que les pays en crise doivent mettre de l’ordre chez eux, réduire leur déficit, diminuer leur dette publique.

Elle est bien terne la lutte contre les paradis fiscaux. L’ évasion fiscale continue de représenter une ponction insupportable dans les budgets des états. Loin de s’être retirées des centres off shore, les banques, premières utilisatrices de ces refuges opaques, y ont renforcé leur présence. En 2010, les trois premières banques françaises cumulaient 494 filiales, contre 513 aujourd’hui. Ils sont aussi bien indulgents nos gouvernements à l’égard de ces prétendus créateurs de richesse mondiaux qui n’enrichissent qu’eux-mêmes tandis que leurs usines ferment.

Ils sont bien inquiétants les chiffres sur la dette et le chômage, surtout le chômage ! On a tort de croire que la dette est le mal absolu. Elle est surtout un cercle vicieux. Loin d’être scientifique, le sujet de la dette est éminemment idéologique !

En réalité, comme le soutiennent les Économistes atterrés dans leur Manifeste, le problème de la dette ne résulte pas d’un excès de dépenses ! L’aggravation de la dette est principalement due à une diminution des recettes fiscales! On a donc tort de brandir le spectre de l’hyperinflation.

On fait fausse route en estimant que l’austérité résoudra les problèmes. L’austérité s’est toujours révélée contre-productive. C’est la lutte contre le chômage qui doit mobiliser toutes nos énergies. La question est la suivante : vaut-il mieux vivre malade ou mourir guéri ? Comment restaurer la croissance alors que l’austérité va très probablement se traduire par une diminution de la production, une hausse du chômage et une baisse de la consommation?

Enfin, elles semblent bien vaines nos lamentations sur l’état du monde. Déséquilibre économique planétaire, inquiétante progression des inégalités, guerres et famines, incroyable imbécilité d’un monde où il faut être visible pour exister, recul de la préoccupation environnementale…la Terre ne tourne pas rond. Comment ne pas se laisser déconcerter par l’énormité des problèmes à résoudre ?

Mais que valent nos turpitudes face à l’horreur en Syrie ? Nous sommes bien impuissants face aux massacres organisés de la population syrienne à Alep, à Deraa, à Homs. Dans quel monde vivons-nous ? Camus parlait d’absurde, de ce sentiment bizarre d’une hostilité primitive du monde auquel on se sent tout à coup étranger.

Reste l’espoir. Il faut avancer, ne jamais rien lâcher. L’espoir c’est la plus forte des énergies renouvelables. L’espoir et … la confiance, pour donner aux peuples le carburant nécessaire pour aller au-devant des difficultés. Bien sûr, il n’y a pas de miracle. Mais rien n’est pire que le silence et la passivité. Est-elle vaine la résistance syrienne à la machine de guerre d’Assad ? Sont-elles vaines ces manifestation espagnoles ou grecques ?

Non car au-delà de la rébellion ou des revendications difficiles, elles possèdent un ressort essentiel : l’énergie. Les résistants syriens et les indignés espagnols ont cette énergie du sursaut. Reste à offrir une issue aux aspirations collectives, aux projets et aux expériences qu’elles suscitent. Les entreprises, les gouvernements, les institutions internationales et les associations seraient bien inspirés s’ils admettaient que les contre-pouvoirs sont un atout. Ce sont leurs meilleurs ennemis. Aussi bien gagnent-ils, au lieu des créer des comités Théodule, à être attentifs aux initiatives menées par les gens, à capter le capital d’innovation contenu dans ces expériences de coopération, dans ces ateliers du futur qu’on peut voir ici et là exprimer. C’est cette révolte qui confère à la vie son prix et sa grandeur.

Ne mésestimons pas la révolte, la liberté ou la passion. Gageons qu’elles ne s’épuisent pas dans la violence mais qu’elles activent l’intelligence d’un futur acceptable et soutenable.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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