Chronique de Pierre Le Roy

Depuis le premier septembre, une nouvelle chaine d’information continue, celle du service public, apparaît sur le canal 27 de la télévision.

L’objet de cet article n’est pas de développer les nombreuses critiques faites à cette nouvelle chaine : critiques syndicales sur son nom, le même que celui de la station de radio « France info » ; critiques sur son coût, du fait de l’absence de publicité, et alors que l’équilibre financier de France-Télévision et de Radio-France est déjà fragile ; critiques sur la rapidité avec laquelle cette chaine a pu obtenir tous les visas nécessaires, à quelques mois de l’élection présidentielle ; critiques sur les problèmes de risques financiers que fait courir cette nouvelle chaine aux trois chaines existantes, dont l’une (I télé) est en déficit et dont une autre (LCI) peine à trouver son public …

L’objectif de cet article est tout autre. Il s’appuie sur une information passée inaperçue : cette nouvelle chaine délivre des messages d’information, non pas tous les quarts d’heure comme les chaines existantes et comme la station de radio France Info, mais toutes les dix minutes. Il s’agit d’une volonté de suivre l’actualité, non pas au jour le jour, non pas tous les quarts d’heure, mais peut-être demain minute par minute …. Pourquoi pas ? Mais il faut mesurer les conséquences de cette course aux informations, en sachant que cette chaine a besoin, toutes les dix minutes, d’annoncer, non pas qu’un avion a atterri, mais qu’il s’est abimé en mer… Non pas qu’une fête réunissant des milliers de personnes s’est passée sans encombre, mais qu’elle a été endeuillée par la mort de dizaines ou de centaines de victimes … Non pas qu’il n’y a eu aucune catastrophe naturelle de très grande importance depuis cinq ans, ce qui est vrai, mais que tel expert prédit que, dans ce domaine, le pire est à venir … Il n’est évidemment pas question de nier le besoin de transparence et les bienfaits de l’information dont certains habitants de notre planète sont encore privés. Il est simplement question d’insister sur les conséquences de ce « quart-d’heurisme » effréné, bientôt dépassé par la nouvelle chaine du canal 27.

Au cours des siècles précédents, des guerres parfois mondiales et de multiples conflits faisaient des millions de victimes, mais cela n’arrivait que tous les vingt ou trente ans. Dans l’intervalle, il ne se passait pas grand-chose, ou du moins, l’information ne portait pas sur les grands et petits malheurs de notre pays et du monde entier qui n’arrivaient pas jusqu’ à nous. Aujourd’hui, alors que les conflits armés majeurs ont diminué quantitativement et en nombre de victimes, alors que les pires attentats comme celui de World Trade Center, ceux du Moyen-Orient on celui du Bataclan font beaucoup moins de victimes que les conflits précédents, ils ont lieu presque tous les jours et font l’actualité de façon constante sur les chaines d’information continue, jour et nuit. Résultat : les téléspectateurs et l’ensemble de la population, gavés d’attentats et de catastrophes, ont l’impression que tout va de plus en plus en mal, chez nous et dans les autres pays.

Si vous essayez de faire remarquer que, par exemple, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a diminué de moitié depuis l’an 2000 dans le monde, ou que le taux de scolarisation des filles, même en Afrique, ne cesse de s’améliorer, aucun moyen d’information, et notamment pas les chaines d’information continue, ne relaiera ce type d’informations ; d’ailleurs, personne ne les croira si par extraordinaire elles sont diffusées, tellement chacun est persuadé du fait que tout va de plus en plus mal et que le pire est à venir. Tel me paraît être le danger principal de cette quatrième chaine d’information continue, qui accentuera encore le pessimisme et le fatalisme des Français. Du « quart-d’heurisme » au catastrophisme, il n’y a qu’un pas. Est-ce la mission du service public de radio et de télévision d’entretenir et d’aggraver cette tendance ?