Déclassement ? C’est le mot dont tout le monde parle en France. Pour faire bref, c’est le contraire de l’ascenseur social. De l’école à l’emploi, cet ascenseur est non seulement en panne mais son moteur semble ne plus vouloir fonctionner l

Les chercheurs qui se penchent sur la question sont plutôt pessimistes. Chiffres à l’appui, ils montrent que les jeunes qui aujourd’hui franchissent la porte de l’emploi sont certes beaucoup plus diplômées que la génération précédente. Mais l’emploi qu’ils occupent est bien moins qualifié que celui qu’ils auraient été en droit d’attendre, au regard de leur formation. En outre, les diplômes qu’ils obtiennent ne donnent pas les mêmes salaires qu’hier.

« Aujourd’hui, les jeunes qui entrent sur le marché du travail se retrouvent face à des taux de chômage inédits – lorsqu’ils sont rapportés à leur niveau de diplôme » précise Louis Chauvel, professeur à Sciences Po (auteur de « Classes moyennes à la dérive ». Seuil). Ils sont souvent ainsi amenés à prendre des emplois faiblement qualifiés ou des stages mal payés plutôt que de n’avoir aucun travail. Un quart des 18-29ans recherchent un emploi (soit 10% de plus que la moyenne des Français). Il faut une énergie infinie pour combler un tel handicap.

La dégradation du marché du travail depuis 30 ans a entraîné pour une grande partie des jeunes l’allongement de la phase située entre la fin des études et l’entrée dans un emploi durable. Une période faite de stages plus ou moins liés à une formation, de chômage ou de « galère » s’est installée.

« Les jeunes ont le sentiment d’avoir été trompés par le système scolaire et cette déception n’est pas sans effets sur l’école elle-même. On sait que dans les quartiers les plus sensibles, l’amertume peut laisser place à la violence » explique François Dubet. Sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) (auteur de « Pourquoi changer l’école? » Textuel.) « L’école n’a pas tenu ses promesses et le sentiment de frustration est à la hauteur de l’investissement consenti » renchérit Camille Peugny, enseignant à Sciences-Po Laboratoire de sociologie quantitative du Centre de recherche en économie et statistique (auteur de « Le déclassement » Coll. Mondes vécus, éd. Grasset, 2009)

Nos meilleurs étudiants tendent à se détourner de nos laboratoires en raison de la trop faible attractivité des métiers de la recherche. Entre les doctorants qui préparent leur thèse et les post doctorants qui travaillent en labo, grâce à des petits contrats après la thèse, il y a aujourd’hui en France quelques 70 000 jeunes chercheurs. Environ 50% des doctorants ne sont pas financés au début de leur doctorat et forment un contingent de bénévoles. Faute de moyens, beaucoup abandonnent en cours de thèse. L’autre moitié subsiste grâce à différentes allocations et bourses. Le ministère paie désormais ses chercheurs en début de carrière 4,75% en dessous du SMIC ! Aux Pays-Bas par exemple, les doctorants sont rémunérés de 30 à 70% plus que leurs homologues français.

Camille Peugny reconnaît que la problème ne date pas d’aujourd’hui. Il parle de perte de confiance dans l’institution scolaire et de sentiment d’appartenance à une « génération sacrifiée » avec souvent, sur le plan psychologique, le sentiment d’un échec personnel. Une précarité d’entrée dans la vie professionnelle qui empêche toute possibilité de contracter des prêts bancaires, ou d’obtenir un logement. Et 50% estiment que les dépenses de logement représentent un poste très lourd dans leur budget.

Le livre de Eric Maurin, directeur d’études à l’EHESS ( « La Nouvelle Question scolaire ».Seuil, 2007 ) montre comment « les trajectoires brisées et les parcours incertains nourrissent, à l’échelle de la société tout entière, la crainte, la méfiance et, plus encore, un ressentiment contre l’école et les institutions ».

La « flexibilité » repose pour une très grande part sur les plus jeunes, de même que ce sont eux qui servent de variable d’ajustement des effectifs en cas de crise. Chez les jeunes, la proportion d’intérimaires (5,3 %) est plus de deux fois supérieure la moyenne de la population active occupée (2,4 %).17 % des 5 millions de 18-29 ans qui ne vivent pas chez leurs parents ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, contre 13 % pour l’ensemble de la population (données 2005 )..

On comprend pourquoi la jeunesse des banlieues est prête s’enflammer, de même que les jeunes lycéens ou étudiants. On comprend aussi pourquoi le Contrat première embauche voulu par le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin en 2006, et été rejeté et fut vécu comme l’une des grandes victoires de la jeunesse, est à ce titre symbolique.

L’avenir est loin d’être un avenir radieux. Les jeunes expriment un jugement sévère sur leurs ainés qui, pensent-ils, n’ont pas fait grand-chose pour sauvegarder la planète. Un héritage lourd à assumer. De même, les jeunes se trouveront bien seuls à assumer l’endettement de leurs aînés et colmater les brèches, estiment les économistes. Les générations précaires devront travailler plus longtemps, sans filet de sécurité, pour rembourser la dette à raison de 140 000 euros chacun . Pour Bernard Spitz (auteur de Le papy-krach .Grasset), « dans les quarante prochaines années, le nombre des plus de 60 ans va doubler.

Celui des moins de 25 ans va diminuer. D’un côté plus de retraités, vivant plus longtemps, dépensant plus pour leur santé ; de l’autre une population active moins nombreuse, trop souvent mal formée et championne du chômage des jeunes. Il y a aujourd’hui 3 actifs pour payer les pensions de 2 retraités. Il y aura 2 actifs pour 3 retraités ; sans parler de la dette accumulée qu’ils devront payer. C’est cela le papy-krach : le casse du siècle, aux dépens des jeunes générations ! ».

Une des perspectives qu’on laisse aux jeunes est de s’occuper des vieux et des malades via les fameux emplois de proximité en leur disant que c’est là que se trouve l’aventure de demain. Si cette alternative correspond à certaines vocations, elle est loin de susciter l’envie. Beaucoup de jeunes Français cherchent à partir à l’étranger. Tant qu’à être mal rémunérés, nombreux sont ceux qui s’orientent vers l’humanitaire. A leurs yeux, ces « aventures » les reclassent, elles font sens. De même le développement durable, l’environnement, apportent-ils des perspectives

Cet ensemble d’ombres sur le devenir des jeunes génération fait que le futur devient opaque avec un horizon de prévisions assez court . Un futur plombé par la pression des courts termes boursiers et des mandats électoraux. Les faits sont là, la société française semble fatiguée, usée, anesthésiée. Elle est elle-même déclassée dans le concert des grandes nations. La faute aux élites ? La crainte de l’avenir ? Un certain découragement face à la complexité? Ou bien, tout simplement, dans la confusion politique actuelle, la difficulté à imaginer comment les projets et les idées peuvent s’organiser pour inventer un nouveau pacte social et construire une société plus juste ?

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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