Dans la crise, l’Europe se recroqueville. L’épisode du démantèlement de la « jungle » de Calais, l’un des campements de transit des candidats à l’immigration en Grande Bretagne, met en scène bien plus que le gouvernement français face à des clandestins démunis.

Au sommet franco-britannique qui s’est tenu en juillet dernier juste avant le G8, Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, le Premier ministre britannique, ont conclu un « arrangement administratif » pour renforcer leur coopération dans la lutte contre l’immigration clandestine. Les opérations contre les campements de clandestins menées manu militari le 22 septembre notamment dans la « jungle » de Calais, à la demande d’Eric Besson, ministre français en charge de l’immigration, s’inscrivent dans le cadre de cet arrangement.

« Immigration choisie » en France et en Grande Bretagne

Depuis 2006, déjà, la politique d’immigration britannique s’est durcie pour ne laisser entre que les migrants les plus qualifiés et restreindre aux autres l’accès au Royaume Uni. Comme Paris, Londres met l’accent sur une immigration « choisie ». Mais avec la crise et la flambée du chômage dans l’Europe entière, tous les pays ont resserré les conditions d’accueil. En France, on compte un peu plus de 5 millions d’immigrés aujourd’hui, soit quelque 8% de la population en métropole. Rappelons toutefois que, au regard de sa population, la France fait partie des pays d’Europe les moins ouverts à l’immigration.

Les terres d’accueil se referment

A l’occasion d’un colloque qui s’est récemment tenu à Paris sous l’égide de l’OCDE, Eric Besson a reconnu que « le flux de 200.000 immigrés longue durée par an (contre 156.000 il y a 10 ans, ndlr) va un peu baisser avec la crise ».

« Au Royaume-Uni et en Irlande, l’immigration en provenance des nouveaux États membres de l’UE a régressé de plus de moitié », souligne l’OCDE. Toutes les terres d’accueil, confrontées à un doublement du nombre des chômeurs parmi les immigrés, se referment.

En Espagne, l’immigration régulière a été divisée par quinze en 2009 par rapport à l’an dernier. En Italie, elle a été ramenée à… zéro. Ailleurs, les Etats-Unis qui se sont construits sur l’immigration érigent des barrières de barbelés. L’Australie a réduit de 25% le nombre des immigrés auxquels elle a ouvert ses portes au début 2009.

Les chiffres officiels ne prennent pas en compte les clandestins qui représentent 50 à 60% de l’immigration globale. Ils sont la cible des autorités de tous les pays. L’Espagne, comme la France, a mis en place un système d’aide au retour, avec versement des allocations chômage dans le pays d’origine à condition que les postulants s’engagent à ne pas revenir dans le pays avant trois ans. Sans véritable succès auprès de populations qui tentent de trouver à l’étranger des moyens de vivre qu’ils n’ont plus dans leur pays d’origine.

Accepter les migrations, organiser l’intégration

Mais la fermeture des frontières ne peut être une solution. La mondialisation, en accélérant le développement des économies émergentes, avait pour ambition de faciliter la fixation des populations dans leurs pays. L’objectif n’a pas été atteint, l’écart de richesses se creusant au contraire avec les pays les plus pauvres où les régimes politiques sont souvent instables. Conséquence, les rangs des candidats au départ grossissent, en provenance d’Afrique et du Moyen Orient. A Calais, la majorité des clandestins étaient des Afghans, pas des Chinois ou des Indiens. Alors, l’OCDE tire la sonnette d’alarme. « Il faut mettre en place des politiques réactives, équitables et efficaces en matière de migration et d’intégration – des politiques qui s’adaptent aussi bien à une conjoncture bonne que mauvaise », insiste Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE. D’autant que les nations les plus riches ont véritablement besoin de ces travailleurs immigrés.

Une dimension humanitaire et économique

Le vieillissement des populations dans les pays industrialisés et le départ en retraite de la génération du baby-boom impliquent de ne pas retarder les mesures d’intégration. Au Japon, par exemple, la population active baisse de 500.000 personnes par an. L’arrivée des femmes sur le marché du travail permet de répondre ponctuellement à la situation. Mais l’Empire du Soleil levant ne pourra pas rester éternellement fermé à l’immigration. En Europe, selon l’économiste Olivier Pastré, le déficit de travailleurs dans les 20 prochaines années devrait porter sur 30 millions de personnes, ce qui correspond peu ou prou au flux des migrants en provenance du sud de la Méditerranée sur la période.

Il est donc urgent de ne pas diaboliser les immigrés : l’Union européenne en a besoin pour alimenter sa croissance. Or, « l’immigration n’est pas un robinet qui peut s’ouvrir et se fermer à volonté », met en garde Angel Gurria. Sans gestion des flux migratoires étalée dans la durée, l’importance des besoins à venir engendrerait plus tard leur brusque gonflement, favorisant les réactions d’exclusion et mettant en danger la cohésion sociale dans les pays d‘accueil.

« Migration de circulation »

Eric Besson propose pour sa part une « migration de circulation » qui impliquerait un retour au pays au bout de quelques années, « pour qu’il n’y ait pas de fuite de cerveaux» dans les pays d’origine. En attendant sa mise en place, les camps de clandestins sont démantelés, les hommes sont dispersés, officiellement pour lutter contre les réseaux de passeurs. Le sujet est complexe, mais il se résume pour les clandestins à une équation terriblement simple : passer, pour vivre.

Résoudre l’équation humanitaire et économique, c’est le grand défi qui se pose aux pays riches qui ne pourront se contenter de contenir la pression des migrants à leurs frontières. Ils en sont, d’ailleurs, incapables ; à Calais, les clandestins sont revenus.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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