Lorsque, à la chute de l’URSS, au début des années 90, la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine deviennent des pays souverains, la question se pose alors sur la nature de leurs alliances à venir. Se rapprocheront-ils de l’Occident et de l’Otan ou resteront-elles dans le giron russe ?  Vladimir Poutine n’a alors pas hésité à intervenir en Géorgie et en Ukraine. Le message lancé alors à l’Occident est clair : l’ordre géostratégique du monde sera russe. Les tentations guerrières de Vladimir Poutine semblent, aujourd’hui, n’avoir qu’un seul objectif : la reconquête de l’empire des soviets considérant, en bon ex-agent du KGB, que l’Union Soviétique n’est pas morte et qu’il suffit peut être, simplement, de montrer ses muscles pour reconquérir l’espace perdu. Aujourd’hui, avec la menace d’invasion que Poutine exerce, une fois de plus sur l’Ukraine, la tension est à son comble.

Le nouveau désordre du monde

Le déploiement de l’armée russe en 2015, durant la guerre civile, en soutien à  l’armée de Bachar El-Assad, signe la première intervention militaire de la Russie en dehors des frontières de l’ancienne Union Soviétique, depuis la guerre d’Afghanistan de 1979 à 1989. L’intervention en Syrie à la barbe des  Occidentaux, confirme la stratégie décomplexée d’imposer la puissance russe, en profitant du désengagement des forces occidentales, américaines et européennes, dans la région. Récemment, l’explosion populaire au Kazakhstan, causée par le doublement du prix du gaz de pétrole liquéfié et la pauvreté, a montré  la détermination de Poutine  dans le soutien brutal apporté  aux dirigeants en place. Poutine n’a pas hésité à diriger une alliance militaire répressive, avec les inféodés à Moscou, pour les vassaliser encore plus. Il compte répéter la même stratégie en encerclant l’Ukraine, avec l’appui de son allié bielorusse, Loukachenko, bourreau de son peuple, qui lui doit sa survie politique.

Georgie, Ukraine, Kazakhstan… les menaces du Kremlin devraient être prises davantage au sérieux par les dirigeants européens, estime Nicolas Tenzer, Président du CERAP (Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique):  « On est face à une rhétorique de plus en plus martiale ». Moscou a déployé près de 100 000 soldats à la frontière ukrainienne en vue d’une potentielle invasion.  Les États-Unis ont la preuve que des agents chargés de mener des opérations de « sabotage » afin de créer un « prétexte » pour envahir l’Ukraine sont à l’œuvre. Poutine nie une telle intention et assure « vouloir se défendre contre la posture jugée menaçante de l’Otan à ses portes ». L’excuse est énorme. On peut raisonnablement penser que le maître du Kremlin soit tenté par une nouvelle aventure extérieure afin de tester, une fois de plus, la résolution des Européens et des Américains. Il est convaincu que, jamais, ni l’Europe divisée, ni les Etats-Unis affaiblis par des années de guerre en Irak et en Afghanistan, porteront secours aux pays en danger.

Autre exemple de l’agressivité russe, son soutien au nationalisme serbe, depuis la guerre en Bosnie ( 1992-1995). Les ultras serbes de Belgrade et de la Républika serbe de Bosnie, forts de leurs bonnes relations avec Mocou, entendent, aujourd’hui, profiter de l’opportunité russe. Au début de cette année 2022, le leader extrémiste serbe de Bosnie, Milorad Dodik  a fait un pas de plus dans son agenda agressif, en vue de  la sécession avec l’état fédéral de Bosnie-Herzégovine. Rien de moins qu’une sorte de Déclaration de guerre contre Sarajevo, qui s’est concrétisée par un défilé de force paramilitaire dans les rues de la capitale serbe de Bosnie, Banja Luka. Sur les pancartes brandies par la foule, dominait le portrait du criminel de guerre, Ratko Mladic, en prison au Tribunal international de la Haye, considéré comme un héros par la majorité des Serbes. Une démonstration perçue comme une provocation par les Bosniaques musulmans. Dodik a ainsi fait adopter une série de lois visant à séparer la Republika Srpska de l’Etat fédéral de Bosnie-Herzégovine. Il a annoncé vouloir quitter, d’ici cinq mois, trois institutions centrales à Sarajevo, l’armée, la justice et le fisc. Personne n’est dupe, la main de Moscou est « en jeu ». Il s’agit de la crise la plus grave depuis la fin de la guerre de Bosnie, en 1995. Elle risque de plonger l’Europe vers l’inconnu, si la diplomatie de l’UE reste passive.

Nous vivons en paix mais nous sommes en guerre

Tel est le paradoxe. Ces guerres nouvelles, sans fin, « endless war » comme disent les experts du Pentagone, sont en étroite dialectique avec la paix des marchés, la concurrence économique, les rivalités ethniques.Sa permanence dans le désordre et l’extrême imprime nos façons de penser et de dire. La mondialisation de la guerre reste difficile à contenir. D’autant que la Chine entend aussi reconquérir ses espaces « perdus », prête à saisir toute occasion pour affirmer sa domination en Asie. Dans ces conditions où l’orgueil des anciens empires est à son comble, qu’est ce qui peut empêcher une véritable guerre de commencer ? La question est posée avec insistance. 

Dans le monde d’avant, la dimension romanesque faisait de la guerre une affaire de duel de masse sanglante et hiérarchisé. Une nation civilisée pouvait sombrer dans l’horreur exterminatrice et vouer une haine féroce à une partie de l’humanité, jusqu’à l’anéantir industriellement. De nos jours, l’hypothèse d’une guerre de masse, qui utiliserait toutes les armes disponibles, ne détermine plus les positionnements économiques. La possibilité d’une guerre définitive, soit la fin du monde par l’explosion atomique, parait également improbable. Pourtant de nouvelles tragédies sont possibles, plus difficiles à contenir.

Guerres diffuses, conflits asymétriques…

Dans le monde contemporain, installé sous le signe de la dissuasion, la guerre se dérègle. L’adversaire se dérobe à la définition. Le droit de la guerre n’est plus maîtrisable. La guerre est permanente. Elle n’est plus bordée par la politique, le droit et l’éthique. Elle nous oblige à penser l’« illimité ». Frédéric Gros, auteur du Principe de sécurité propose le concept de « guerre diffuse » qui peut frapper n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. La guerre diffuse s’impose comme hantise permanente. Elle tente de saper les trois axes que sont la politique, le droit et l’éthique, sur lesquels la communauté peut s’appuyer pour organiser un vivre ensemble.

Si la guerre globale ne semble pas un scénario sérieux, pour le moins, la dramaturgie guerrière reste en place, mais sur un autre mode. Les conflits à connotation mondiale, se déroulant aux frontières ou dans les confins, principalement dans les pays chauds, n’ont pas disparu des cartes géostratégiques. Ils voient s’opposer un État, souvent corrompu ou en décomposition, à une rébellion, intégriste ou ethnique. Ces conflits s’enracinent dans les effets de la mondialisation, sur fond d’accroissement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Pour la plupart, il s’agit de formes de conflits armés inscrits dans une temporalité quotidienne, qui, depuis les années 1970, sont pour certains des résidus de conflits séculaires et, pour d’autres, des produits de la mutation économique et technologique du monde. Qu’il s’agisse des guerres commerciales et fiscales entre les géants mondiaux, (USA, Chine …), des oppositions néo-religieuses ou territoriales (chiites-sunnites), (Israël-Palestine), ou des conflits civils opposant des idéologies ou des systèmes politiques (nationalisme, socialisme). Dans ce contexte, le vacillement des identités et le sentiment d’humiliation de certains peuples, engendrent dans les communautés un ressentiment exacerbé qui se traduit par des compromis impossibles et, au pire, par des phénomènes de vengeance débouchant sur une dégradation de la violence vers le terrorisme ou la guerre civile.

Les experts en stratégie militaire prévoient ainsi la multiplication de conflits multiformes. Nous sommes entrés, disent-ils, dans l’ère des rebellions, pirateries, conflits fratricides, raids meurtriers et guérillas, dont les premières illustrations ponctuent, en nombre, le début du XXIème siècle. Le monde connaît une inflation de conflits locaux, à tort et à travers, que les spécialistes de l’après-guerre froide ont souvent associé à l’anarchie et au chaos (Robert Kaplan. The coming anarchy. 1994)! Elles sont tout à la fois, ethniques, religieuses, idéologiques, climatiques, etc…Cette violence sans projet fait peur à l’opinion car elle revient sans cesse, parfois sans raison. Elle touche la société civile dans la vie de tous les jours. Impossible de trouver un mythe qui pourrait l’expliquer, un compromis ou un traité qui pourrait l’arrêter. Pour qualifier ces conflits, on parle aujourd’hui de « guerres asymétriques ».

Une guerre asymétrique est un conflit qui oppose des faibles à des forts, des combattants peu armés mais déterminés à une puissance militaire aguerrie. Exemple : le Viet Kong contre l’armée US, pendant la guerre du Viet Nam. Les faibles utilisent les défauts de l’adversaire pour parvenir à leurs fins. Aujourd’hui, un seul groupe ou minorité peut ainsi bouleverser une donne militaire. L’image du drone symbolise cette insoupçonnée agilité de la minorité. De même des cyber-attaques menées par des hackers déterminés et anonymes sont susceptibles de bloquer toutes les infrastructures d’un pays.

Résumons: ces guerres « ailleurs » dans lesquelles des grandes nations se trouvent  impliquées et jouent de leur influence, par intérêt économique ou culturel interposé, constituent l’essentiel de notre actualité. Mais elles se rapprochent de nos frontières et influent sur nos enjeux. Elles marquent, faut-il insister, le passage, en ce début de siècle, dans l’hyper modernité. La transition, dans laquelle nous nous éternisons est toute à la fois sociétale, numérique, écologique, énergétique. Finalement, c’est cette « drôle de paix » qui est singulière. La prouesse européenne d’avoir tenu un continent entier dans la paix est un exploit hors du commun que seul l’exemple du conflit yougoslave de 1992 à 1995 vient démentir. Mais cette drôle de paix n’est-elle pas le nouvel ordre d’une guerre permanente qui ne dit pas son nom et dont le nationalisme est la source inépuisable?

La civilisation de la haine

Dans son livre « Récidive 1938. Fascisme, présence de la guerre des années trente » , Michael Foessel, décrit, en référence à la période précédent la dernière grande guerre, la menace de la montée des extrêmes et le spectre du nationalisme. Un nationalisme, dont le philosophe Karl Kraus, un des grands analystes de la guerre, affirme qu’il est « la dernière étape avant la brutalité et la guerre » (Les Derniers Jours de l’humanité, Agone). Evoquant la montée du nazisme et des fascismes dans les années 30, ce dernier souligne que les droits de l’humanité ont été trahis au profit de ceux des patries (cité par Jacques Bouveresse, in Les derniers jours de l’humanité, op.cit ). « Le nationalisme, c’est la guerre » a repris, 50 ans plus tard, le président français François Mitterrand. Les vieilles lanternes de l’époque d’avant restent bien allumées. La résurgence du chauvinisme de la patrie, le populisme, la multiplication des techniques de désinformation, des thèses conspirationnistes, la réduction du langage à sa plus simple fonction de «communication», la domination de l’émotion, la vulgarité d’un Trump à la tête de la plus grande puissance mondiale, ponctuent, en négatif, notre ordinaire.

Le ton martial qui sous-tend « le choc des civilisations », dans l’opinion, mais aussi chez certains dirigeants de grandes nations, est la marotte la plus soutenue au palmarès des schémas nébuleux et clivants. Les esprits belliqueux en raffolent et les références sont commodes. L’évocation des croisades est partie intégrante de cette relation familière entre les peuples de culture chrétienne et les peuples de culture musulmane. Ce choc décrit des phénomènes massifs de migrations de populations pauvres vers des pays riches, en particulier des migrants du Proche Orient et d’Afrique souhaitant s’installer dans les pays d’Europe. Les courants identitaires misent sur les frayeurs pour instaurer l’idée d’une tentation autoritaire. Selon eux, nous vivons un déclin des civilisations, un « clash » que décrit Samuel Huttington dans « Le choc des civilisations », s’en prenant aux idées de la modernité multiculturelle. On est passé du temps des nations à celui du « choc des civilisations ». Quand l’identité et le progrès s’opposent, la guerre s’interpose. Mais c’est toujours l’identité des anti-Lumières qui finit par l’emporter en utilisant la technique à des fins belliqueuses. Aussi bien, que le fascisme pointe son nez a de quoi réveiller des mémoires et susciter des frayeurs. « La transformation d’un peuple en horde raciale est un péril permanent à notre époque » rappelle Hannah Arendt dans une lettre à son ami Gershom Sholem. Timothy Snyder, auteur de « Terre de sang », pose la question crument : face aux outrances verbales sur la biologie de la race, sur l’infériorité ou la supériorité ethnique, un « nouvel holocauste est-il possible ? » Le fascisme peut-il recommencer ? Certains proposent d’oublier « le fascisme » car il est d’un autre temps. Erreur, il a cent visages ayant un air de famille commun, développe Umberto Eco dans un discours prononcé à l’université de Columbia en 1995, (le fascisme éternel »). Il écrit : « Le fascisme n’avait rien d’une idéologie monolithique, c’était un collage de diverses idées politiques et philosophiques, fourmillant de contradictions ».

La Russie, maître du jeu

Cette guerre plurielle est faite d’épisodes de violence diffuse. Elle est « glocale »  (globale et locale à la fois) et se déroule un peu partout sur la planète. Syrie, Afghanistan, Palestine, Sahel, Irak…. Cette mondialisation des conflits locaux, parfois anciens, est le fondement des guerres chaudes. Elles sont souvent la conséquence de rancœurs interethniques ( Serbes-Croates, Tutsi-Hutus), d’oppositions religieuses ( Chiites, sunnites). La persistance de l’antisémitisme, les poussées de xénophobie ou le rejet des migrants alimentent ces conflits. Ces guerres locales sont aussi le résultat de menaces populistes, nourries par les poussées de fièvre nationalistes. Ces petites geurres sont activées par les puissances. Les grandes entités, ce que l’on appelle les empires, (Russie, Chine, Turquie, Iran, …) soufflent le chaud et le froid, attisant les braises de ces conflits.

Vladimir Poutine est ainsi passé maître dans la déstabilisation des états, anciennement sous l’influence communiste. Il y a comme un besoin de guerre chez l’ex-colonel du KGB dont la fibre totalitaire demeure vigoureuse. Défendre les populations russes extérieures, tenir son rang de puissance militaire et faire oublier le déclin économique du pays, telles sont parmi les principales raisons qui l’incitent à la guerre et à l’invasion (annexion de la Crimée). Des guerres par influence, par corruption, par procuration et médias interposés, affiliés au Kremlin,  servant la cause nationaliste russe  en Europe.

En écoutant Vladimir Poutine, on pourrait avoir l’impression que ce sont les Etats-Unis et l’Union Européenne qui ont déclenché la crise dans l’est de l’Ukraine. Profitant de la non ingérence américaine dans les histoires de l’Europe et du Moyen-Orient, la Russie trouve le moment historique idéal pour jouer sa carte d’influence et se placer. Elle se met aux côtés du régime de Bachar El-Assad pour l’aider à réprimer toute opposition et s’imposer au Moyen Orient. Elle établit des alliances avec un autre acteur régional important, l’Iran. Elle annexe la Crimée, démarrant ainsi une guerre jamais déclarée. Elle menace les états Baltes. Tout en se défendant de toute velléité guerrière, Poutine jette de l’huile sur le feu, cherchant à exister en bonne place sur la scène des Empires.  Il met tout en oeuvre pour redorer le blason de la grandeur passée et défier le monde occidental. Il n’hésite pas à affirmer que tout agresseur voulant frapper la Russie avec des armes atomiques sera « détruit ». « L’agresseur doit comprendre que le châtiment est inévitable (…). Et nous, en tant que victimes d’une agression, en tant que martyrs, nous irons au Paradis. Eux, ils crèveront tout simplement, ils n’auront même pas eu le temps de se repentir », a lancé le président russe au cours d’une conférence du club Valdaï organisée à Sotchi (sud-ouest). L’outil favori du Kremlin : la diplomatie corruptive pour affaiblir l’Europe et organiser l’invasion des esprits, via les fake news des médias complotistes.

France: sortir des radicalités obscures

Dans l’Europe du troisième millénaire, les mouvements identitaires sont à nouveau à l’oeuvre, au service des dictateurs, en le déniant le plus souvent. Comme aux heures sombres des factions de 1934, la toxicité décomplexée des mouvements radicaux, envahit le pavé et les écrans. Antisémitisme, xénophobie, homophobie, antivax, la haine devient une opinion affichant son droit de cité à grands renforts de slogans négationnistes.Les réseaux sociaux et l’info spectacle  des chaînes TV comme CNews, servent de caisse de résonance à la parole xénophobe. Les ennemis de l’intérieur, c’est encore et toujours les juifs. « Ces insultes constituent une première depuis la fin de l’occupation » fait remarquer, dans un entretien, Robert Badinter, regrettant le manque de réactivité des démocrates, des associations de défense des droits de l’homme et des partis républicains. Inédit également le fait de descendre dans la rue, non pas pour défendre des droits mais pour supprimer les droits des autres, ceux des homosexuels, par exemple.

Du jamais vu, depuis les pires temps de la peine de mort. Les mauvais souvenirs de la France de Vichy reviennent avec leur chapelet d’insultes contre la République. Il est aisé de trouver dans ces mouvements extrêmes tous les thèmes porteurs de la radicalité d’extrême droite : l’appel aux classes moyennes déclassées, la critique permanente du « système » ou de « l’establishment », le goût de l’autorité, la brutalité des formules, la référence à la terre, le refus du modernisme, et l’aversion pour l’intelligentsia, l’entretien du clivage entre la capitale et le pays, l’angoisse des différences, l’obsession du complot, la référence à la guerre, la dénonciation d’ennemis historiques ( surtout les Allemands), la glorification des héros de la guerre, la grandeur d’un peuple homogène parlant d’une seule voix, mais abandonné par les politiques, l’antiparlementarisme… la liste est longue des antipathies que nourrissent les nationalistes.

Umberto Eco met en garde : « l’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes ». L’extrême droite, incarnée par le Rassemblement National et Eric Zemmour, rentrent dans cette grille de lecture radicale. Cette radicalité puise dans le ressort intégriste et le rejet de l’autre sa morale haineuse. Sournoise, elle instille l’idée d’une guerre. « Chaque fois qu’un politicien émet des doutes quant à la légitimité du Parlement parce qu’il ne représente plus la « voix du peuple », on flaire l’odeur de l’Ur-fascisme » précise Umberto Eco . Ce portrait de famille s’applique aussi, à certains égards, au chef du parti des « Insoumis », Jean-Luc Mélenchon, dont les accents de Gaudillo témoignent de l‘admiration qu’il éprouve à l’égard des tyrans, Castro, Chavez, Poutine. Tribun patenté, sa flamme rhétorique est égale à celle des totalitaires les plus aguerris. Admirateur de Robespierre, il rêve de ressusciter son « despotisme de la liberté » à renforts d’expressions imagées : « le peuple tranchera ».

Comment, dans une France déraisonnable qui flirte avec l’aventure identitaire, au risque des guerres intestines, pour ne pas dire civiles, tenter de raisonner les électeurs votant à l’extrême droite nationaliste ? Comment convaincre les abstentionnistes? Comment dans une France « terrorisée » par l’islamisme radical, apeurée par les migrations,  se repliant sur elle-même, réintroduire la puissance et la clarté de la raison universelle pour ne pas dire l’autorité ? Comment dire aux citoyens du monde que la guerre n’est pas seulement celle des autres ? Elle frappe à toutes les portes lorsque les peuples se laissent aller. En prenant la président de l’Union Européenne en ce débuts d’année 2022, la France a un rôle éminent à jouer. Il lui faut déjà se débarrasser de ses vieux démons.

La présidence européenne de la France

Nous voilà au cœur d’un ensemble de questions qui ne laissent de hanter les sociétés modernes. Le clair contre l’obscur : est-ce cela le combat des sociétés modernes ? Comment concilier loi et foi ? Dans ce combat qui nous replace au temps des Lumières, la laïcité est-elle un rempart ? A l’évidence, appeler la morale laïque à la rescousse ne suffit pas à régler le problème du vivre ensemble. A la considérer comme la solution, on en fait une religion. Comment, sans concessions sur les libertés, préserver une dimension du sacré qui permette de vivre son identité ?

Comme l’indique le juriste Antoine Garapon, l’enjeu pour le modèle français (qui était catholique, monarchique et absolutiste avant d’être républicain) est de se montrer capable de s’ouvrir au monde, de s’adapter à la composition de la société française d’aujourd’hui et de se rendre disponible à l’avenir. La République, qu’on accuse de tous les maux, est notre bien commun. Elle accueille, elle loge, elle instruit, elle soigne, elle assiste. Elle donne sa place à qui veut la prendre. Sans doute manque-t-il un récit qui permette de s’identifier, de contribuer davantage. Sans doute a-t-on besoin d’un projet collectif plus mobilisateur qui serait en mesure de ruiner la violence djihadiste et la menace extrémiste. « On luttera contre ces croyances dévastatrices par une réactivation de nos croyances politiques, par une actualisation de notre pacte démocratique et par une modernisation de la République », avance Garapon. Pour le citoyen ordinaire, il s’agit d’engager sa responsabilité dans tout ce que la France a transmis de positif. Ce qu’on appelait, dans le temps, les « humanités ».  C’est en s’appuyant sur l’Union Européenne que la France peut accomplir sa mission et exercer, avec ses partenaires, une vigilance accrue contre les fauteurs de guerre.  Encore faut-il que la Présidence française redonne du tonus à une Union Européenne qui semble incapable de faire entendre sa voix dans les négociations sur l’Ukraine et empêcher le franchissement de la ligne rouge.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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