Avec la prolifĂ©ration des affabulateurs et autres « moi Â» autocentrĂ©s qui se bousculent dans l’univers des rĂ©seaux sociaux et de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, une pathologie humaine s’affirme, de nature Ă  Ă©clairer les mĂ©canismes Ă  l’œuvre dans le mensonge. Cette pathologie a pour nom la perversion narcissique.

       Experts en duplicitĂ©, ces manipulateurs qui sĂ©duisent insidieusement pour mieux dĂ©truire, constituent une figure courante qui aide Ă  mieux comprendre ce que mentir et post-vĂ©ritĂ© veulent dire. « La communication perverse est au service de cette stratĂ©gie. Elle est d’abord faite de fausses vĂ©ritĂ©s. Par la suite, dans le conflit ouvert, elle fait un recours manifeste, sans honte, au mensonge le plus grossier…/… Par ses messages paradoxaux, doubles, obscurs, il (le pervers) bloque la communication et place sa victime dans l’impossibilitĂ© de fournir des rĂ©ponses appropriĂ©es, puisqu’elle ne peut comprendre la situation Â» explique Marie-France Hirigoyen. Ainsi, dans le monde Ă  l’envers de la perversion, la vĂ©ritĂ© devient un alĂ©a de la discussion. Le psychanalyste SavĂ©rio Tomasella (op.cit. « La perversion Â») dĂ©finit la perversion comme  une anti-relation.

Dans ce monde sans autre, sans principes, le personnage central est le moi Ă©gotique, tournĂ© vers lui-mĂŞme, dont la vie s’organise autour de l’emprise et de la dĂ©prĂ©ciation d’autrui. Rien Ă  voir avec le Moi cartĂ©sien qui doute. Convaincu de dĂ©tenir la vĂ©ritĂ©, le moi Ă©gotique connectĂ© au rĂ©seau refuse toute discussion. Le monde de la mĂ©diation et de la reprĂ©sentation politique connaĂ®t de tels personnages suffisants, tour Ă  tour touchant de sincĂ©ritĂ© et qualifiĂ©s en fourberie, le verbe moqueur et la sympathie en bandoulière, sĂ»r d’eux mais prĂŞts Ă  s’excuser pour leur imprudence, capable de retourner les situations en dĂ©faveur de la vĂ©ritĂ©. La figure impudique du pervers narcissique, se complait dans l’ambiguĂŻtĂ©, souligne Tomasella. Marie-France Hirigoyen montre Ă  travers ces quelques extraits («Le Harcèlement Moral ». Poche 2011) Ă  quel point le pervers narcissique, expert en jeux de mensonge et de vĂ©ritĂ©, nous est si dĂ©sagrĂ©ablement familier. « â€¦/…Les pervers trouvent toujours un moyen d’avoir raison, d’autant que la victime est dĂ©jĂ  dĂ©stabilisĂ©e et n’éprouve, au contraire de son agresseur, aucun plaisir Ă  la polĂ©mique. Le trouble induit chez la victime est la consĂ©quence de la confusion permanente entre la vĂ©ritĂ© et le mensonge. Le mensonge chez les pervers narcissiques ne devient direct que lors de la phase de destruction. C’est alors un mensonge au mĂ©pris de toute Ă©vidence. C’est surtout et avant tout un mensonge convaincu qui convainc l’autre. Quelle que soit l’énormitĂ© du mensonge, le pervers s’y accroche et finit par convaincre l’autre. VĂ©ritĂ© ou mensonge, cela importe peu pour les pervers : ce qui est vrai est ce qu’ils disent dans l’instant. Ces falsifications de la vĂ©ritĂ© sont parfois très proches d’une construction dĂ©lirante. Tout message qui n’est pas formulĂ© explicitement, mĂŞme s’il transparaĂ®t, ne doit pas ĂŞtre pris en compte par l’interlocuteur. Puisqu’il n’y a pas de trace objective, cela n’existe pas. Le mensonge correspond simplement Ă  un besoin d’ignorer ce qui va Ă  l’encontre de son intĂ©rĂŞt narcissique. C’est ainsi que l’on voit les pervers entourer leur histoire d’un grand mystère qui induit une croyance chez l’autre sans que rien n’ait Ă©tĂ© dit : cacher pour montrer sans dire. »

Le paranoĂŻaque et la vision complotiste

Une des manifestations de la crise de la vĂ©ritĂ© connait une criante extravagance dans la thĂ©orie du complot dont l’essentiel tient en trois mots: « on nous ment ». Le « on Â» Ă©tant tour Ă  tour, selon l’idĂ©ologie de celui qui l’énonce, le juif, le franc-maçon, le système, l’establishment, les services secrets, mais aussi le musulman, le banquier, l’intellectuel de gauche. Les phĂ©nomènes qui intĂ©ressent les adeptes de la thĂ©orie du complot sont toujours choisis dans le but de jeter le soupçon sur des catĂ©gories particulières. Cette vision conspirationniste qu’on peut dĂ©crire succinctement comme une « inversion des valeurs Â»,  est historiquement une valeur des droites. Elle est une forme de pathologie.

Les attentats terroristes de l’annĂ©e 2015  ont placĂ© le projecteur sur un phĂ©nomène des plus inquiĂ©tants : l’existence d’un vĂ©ritable courant d’opinion en faveur des thĂ©ories du complot. Qui sont les adeptes du conspirationnisme ? Quelle est la nature et l’influence de ce courant ? C’est ce qu’a voulu savoir la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch dans une Ă©tude diligentĂ©e par l’IFOP permettant d’estimer la pĂ©nĂ©tration du complotisme dans la sociĂ©tĂ©.

La plupart des grandes thĂ©ories du complot en vogue ont Ă©tĂ© soumis Ă  l’échantillon : les vaccins, le sida, l’État islamique, les sociĂ©tĂ©s secrètes, le « nouvel ordre mondial Â», l’usage d’armes climatiques, l’assassinat du prĂ©sident Kennedy, la « Terre plate » ou encore le premier pas de l’homme sur la Lune. L’étude met en Ă©vidence plusieurs points dĂ©routant pour les consciences Ă©clairĂ©s. La plupart des thĂ©ories vĂ©hiculĂ©es par les rĂ©seaux sociaux recueillant des niveaux d’approbation prĂ©occupants, en particulier parmi les jeunes gĂ©nĂ©rations que dirigeants politiques, chercheurs, universitaires et  professionnels de l’information ont commencĂ© Ă  faire publiquement part de leur prĂ©occupations. Un jeune Français sur cinq adhĂ©rerait Ă  des thĂ©ories complotistes. Les jeunes sont très friands de ces raisonnements obscurs, Ă©tant peu satisfaits pour ne pas dire frustrĂ©s des explications donnĂ©es par les mĂ©dias qu’ils jugent insuffisantes, voire trompeuses, face aux Ă©vĂ©nements.

La thĂ©ologie du complot prĂ©sente des travers pathologiques que l’on trouve dans la paranoĂŻa, Ă  savoir la tendance Ă©prouvĂ©e par certains sujets contemporains Ă  voir derrière chaque Ă©vènement un grand complot invisible, ourdi en secret par des forces cachĂ©es, manipulant le monde afin de poursuivre leur nĂ©faste entreprise. On parle aussi chez certaines personnes de dĂ©lire de persĂ©cution. D’après le philosophe Karl Popper, le complotisme est « l’opinion selon laquelle l’explication d’un phĂ©nomène social consiste en la dĂ©couverte des hommes ou des groupes qui ont intĂ©rĂŞt Ă  ce qu’un phĂ©nomène se produise (parfois il s’agit d’un intĂ©rĂŞt cachĂ© qui doit ĂŞtre rĂ©vĂ©lĂ© au prĂ©alable) et qui ont planifiĂ© et conspirĂ© pour qu’il se produise » (in Conspiracy Theory of Society).

Complotisme et paranoĂŻa sont unis dans les mĂŞmes certitudes. Un axiome fait leur fortune : “il n’y a pas de fumĂ©e sans feu”. Le complotisme, ça marche parce que derrière il y a la haine, il y a un coupable. Pour le paranoĂŻaque ou pour celui qui est atteint de la mentalitĂ© complotiste, un accident n’est pas un accident, c’est le rĂ©sultat d’une volontĂ© maligne ou hostile. Le paranoĂŻaque ne doute jamais : il est certain. Par exemple : la Shoah n’a jamais existĂ©, c’est une fiction. Pour lui, pas de mystère, aucune Ă©nigme. Le chĂ´mage, le terrorisme, la guerre, la pauvretĂ©, le Sida ont une cause unique, l’action d’une puissance occulte, d’un ennemi intĂ©rieur ou extĂ©rieur, une manĹ“uvre souterraine, une intervention satanique. Au nom de la vĂ©ritĂ©, il profère les plus absurdes des mensonges. Les grands prĂŞtres de la thĂ©ologie du complot sont convaincus de faire preuve de clairvoyance. Mais les complotistes savent-ils qu’ils mentent ? « Les mythomanes finissent toujours par ĂŞtre sincères Ă  force de s’incorporer le mensonge » indique Dorian Astor (in article Diakritik. Hiver 2017).

Plus le mensonge est Ă©norme, plus on est tentĂ© d’y croire et plus il est difficile Ă  remettre en question, car il semble incroyable. Plus la parole est brute, plus elle semble persuasive. Plus les contrevĂ©ritĂ©s sont rĂ©pĂ©tĂ©es, plus elles finissent par ressembler Ă  la vĂ©ritĂ©. Le faux prend l’apparence du vrai. VoilĂ  comment peut s’expliquer le succès actuel du mythe du Grand invisible vĂ©hiculĂ© par les conspirationnistes et leurs thĂ©ories fumeuses. Le processus est toujours le mĂŞme : diffuser des explications fantasmagoriques et improbables concernant des Ă©vĂ©nements rĂ©els, en s’appuyant sur des dĂ©lires pseudo scientifiques paranoĂŻaques, hermĂ©tiques Ă  la contradiction. Sur les rĂ©seaux, il est impossible d’avoir un dĂ©bat contradictoire. La contradiction est noyĂ©e dans le trop plein d’informations. Incapables de faire la dĂ©monstration rigoureuse de ce qu’ils prĂ©tendent, les complotistes n’hĂ©sitent pas Ă  user de la dĂ©sinformation et du mensonge pour Ă©tayer leur certitude que tout ce que vous racontent les mĂ©dias ou les politiciens est fait pour cacher la vĂ©ritĂ©. Les rĂ©seaux sociaux constituent aujourd’hui le principal vecteur de diffusion du discours conspirationniste. Ainsi s’amoncellent sur les sites en ligne conspirationnistes, intoxicateurs et dĂ©sinformateurs en tous genres.

Pour les adeptes de la thĂ©ologie du complot auxquels sont liĂ©s les nĂ©gationnistes, rĂ©visionnistes, nihilistes et autres avatars, rien n’est un hasard. Le rejet de l’autre, le thème de l’ennemi de l’intĂ©rieur,  la trahison des Ă©lites, l’imaginaire de la 5ème colonne connaissent une fortune depuis quelques annĂ©es. Ainsi, l’attentat contre Charlie Hebdo est une manigance des medias contre l’Islam, l‘alunissage d’Apollo 11 Ă©tait une mise en scène, l’effondrement des Tours jumelles de New York a Ă©tĂ© orchestrĂ© par le gouvernement amĂ©ricain, Barrack Obama est un musulman… Les complotistes voient des coups montĂ©s partout. Le plus insensĂ© est celui relevĂ© par la revue Sciences humaines Ă  propos du massacre de Charlie Hebdo (9 janvier 2017. ThĂ©ories du complot : notre sociĂ©tĂ© est-elle devenue parano ? Claudie Bert) « Le trajet empruntĂ© par les frères Kouachi dans les rues de Paris reproduirait les frontières de l’État israĂ©lien. Pour les conspirationnistes, il y a lĂ  l’évidente et authentique signature d’un complot juif ».

La négation de l’autre

De prime abord, le complotisme part du refus d’être dupe. Seulement voilà. Voir des complots partout n’a rien de l’esprit critique auquel on aspire quand on veut faire la vérité. L’obsession ne conduit pas à la raison mais au fanatisme. Bien sûr, les complots réels existent. “Je ne comprend pas pourquoi il y a tant de gens qui passent tant de temps sur internet à échafauder des théories du complot, largement fictives, alors qu’il y a tant de complots réels,” soulignait avec une grande ironie Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Mais chez les complotistes, tout est complot, rien que du complot, seulement du complot. Tout ce qui arrive est forcément le produit d’une force obscure. Le hasard, l’évidence des faits, l’erreur humaine, n’ont pas de valeur. Convaincu qu’on le trompe, le paranoïaque se méfie de tout ce qui ne colle pas avec son mode de perception. Persuadé que la vérité est toujours cachée, il a réponse à tout. Pour lui, toute critique mettant en cause la théorie du complot est soupçonnée d’avoir un lien avec le complot lui-même. Le contradicteur est vite renvoyé à son illégitimité, supposé être manipulé voire accusé d’être prenante du complot. La logique des conspirationnistes semble implacable. Autrement dit, il est impossible de prouver que les théories avancées sont fausses. Plus on dénonce la théorie du complot, plus on apporte du grain à moudre aux complotistes qui trouvent là autant de raisons à voir confortées leurs certitudes.

Bref, la thĂ©orie du complot est la solution simple mais Ă©laborĂ©e qu’a trouvĂ© le paranoĂŻaque pour se sauver d’un monde aux mains des puissances invisibles et recrĂ©er un univers, oĂą tout serait visible et clair. A travers ce dĂ©lire quasi cosmique, quel type de comportement traduit l’obsessionnel du complot ?  Il manifeste une Ă©motion triviale : la peur de l’autre, de l’étranger, du rĂ©fugiĂ©. Comme l’identitaire dont nous avons soulignĂ© la radicalitĂ© xĂ©nophobe, le complotiste fait de l’autre le bouc Ă©missaire de tous les maux sociaux et Ă©conomiques. Le phĂ©nomène se reproduit chaque fois qu’une crise se prĂ©sente. La thĂ©orie du complot est d’abord un système de dĂ©fense d’un individu face Ă  un système contre lequel il se bat et dans lequel il a perdu confiance. C’est toujours justement sur le fond de l’esprit critique, d’un impĂ©ratif de luciditĂ©, d’une exigence de vĂ©ritĂ© alternative, que se structurent les thĂ©ories du complot. En 1929, dans Malaise dans la Civilisation, Sigmund Freud voit, dans la haine du Juif qui se donne libre cours dans « le monde oĂą règne l’idĂ©al aryen », un moyen de « soulagement Ă©conomique », permettant aux populations de trouver une figure diabolique, coupable du mal, de la mĂ©chancetĂ© et de la cruautĂ© de la vie. Le Front National, fort de sa tradition pĂ©tainiste est coutumier du complotisme, dĂ©nonçant en boucle le « système », la trahison des Ă©lites, l’ennemi prĂŞt Ă  nous envahir.

Soulignant les limites cognitives de la rationalité, le sociologue Gérald Bronner, spécialiste des croyances collectives, n’est pas étonné par l’attrait du complotisme chez de nombreux internautes. « Le régime de la connaissance que permet le progrès de la science est un régime exceptionnel, souligne-t-il. Celui de la croyance est notre régime normal. Nous sommes des êtres de croyance ».  Parce que dans le monde de la vitesse, la conscience est enfermée dans un présent éternel, elle ne dispose qu’une faible capacité de mémorisation et de traitement dialectique. La perméabilité des esprits aux thèses conspirationnistes s’explique aussi par un sentiment d’abandon et d’échec qu’éprouvent nombre de jeunes qui ne croient plus aux promesses qu’on leur fait dans un monde où ils ont le sentiment que tous les adultes mentent, les politiciens en premier. Ce qui explique l’abstentionnisme aux élections. Ainsi déferlent sur le net et ailleurs des croyances complotistes que les élites intellectuelles et politiques dénoncent et condamnent mais sans pour autant prendre le temps de les définir et de les analyser rigoureusement et s’interroger sur leur signifiant politique et social. Une partie non négligeable de jeunes est sensible à la théorie du complot judéo maçonnique, véhiculée entre autres par les fans de l’humoriste extrémiste Dieudonné qui jouent sur le registre de la culpabilité des anciens colons. Quand on les interroge, ils n’hésitent pas à avancer que « Charlie Hebdo l’a bien cherché. On n’insulte pas le prophète ». Quant aux juifs, « ils n’ont qu’à pas massacrer les Palestiniens ». « Les juifs, ils l’ont bien cherché » dit cette jeune fille à propos du massacre de l’hypercasher. Pleine de ressentiment et de jalousie, elle explique : « les juifs ont tout, les postes, les facilités, les médias. Nous les noirs, on n’a rien ». Tel est la terrible humeur, triviale et ruminée, qui se fait entendre parmi les non-Charlie. Cette réaction témoigne d’une sorte de « musulmanitude », une foi de façade, dont il est difficile d’évaluer la sincérité mais dont la virulence est manifeste. Cette attitude témoigne aussi d’un ressentiment dévastateur à l’égard de jeunes qui ont « réussi » : les « beurettes » émancipées, les soldats et policiers de confession musulmane, les étudiants juifs. Très préoccupante est la situation dans les quartiers, à l’école, dans les établissements pénitenciers où la coupure entre les Charlie (républicains) et les non-Charlie, (communautaristes), est nette. 

Le fantasme complotiste, sert les causes les plus radicales comme celles du djihadisme. Parce qu’elle vĂ©hicule une part obscure et qu’elle fournit aux jeunes le sentiment valorisant d’être dans le secret des Dieux, d’être renseignĂ©, de connaĂ®tre le dessous des cartes, la rhĂ©torique conspirationniste trouve sur Internet son meilleur alliĂ© pour diffuser une vision du monde  simpliste, mystĂ©rieuse et mĂŞme dĂ©sirable. Dans neuf cas sur dix, les djihadistes et autres radicaux identitaires et fanatisĂ©s sont recrutĂ©s sur le net. Aux candidats au martyr, le djihad leur dit que la vie sur terre n’est faite que pour prĂ©parer la vie au paradis oĂą attendent les soixante douze vierges. Le martyr et la mort sont donc dĂ©sirables. On vit davantage quand on meurt. L’ignorance est un des chemins qui mène au crime. La contre culture du web est un vecteur de cette ignorance. Après avoir cĂ©dĂ© Ă  la propagande de gourous ou pseudo Ă©mirs, ces fanatiques passent Ă  l’acte violent, par Ă©cran interposĂ©, dans la solitude nocturne de leur frustration. Ils veulent venger le prophète mais la plupart n’ont pas lu une ligne du Coran. Pour combler le vide de leur ĂŞtre, ils se confectionnent un islam Ă  bon compte qu’ils trouvent sur le marchĂ© de la barbarie. La vengeance est Ă  leurs yeux lĂ©gitime.

L’appel Ă  l’ignorance

Une autre forme de raisonnement est de plus en plus utilisĂ©e dans la sociĂ©tĂ© de la post vĂ©rité : l’inversion ou le renversement de la charge de la preuve,  un procĂ©dĂ© utilisĂ© dans des raisonnements erronĂ©s. Par exemple, lorsqu’un individu soutient l’existence des Martiens et prĂ©tend que c’est vrai parce que personne n’a pu prouver qu’il est faux. C’est aux contradicteurs de montrer qu’il n’y a pas de Martiens. « Prouvez-nous que nous avons tort ! » Ce tour de passe-passe, appelé  « appel Ă  l’ignorance », est un procĂ©dĂ© couramment utilisĂ© par les nĂ©gationnistes. Ainsi, un parallèle peut ĂŞtre Ă©tabli entre le nĂ©gationisme qui nie l’existence du gĂ©nocide des juifs et la thĂ©ologie complotiste. Les deux thĂ©ories se rejoignent en cela qu’elles traitent de la manipulation. Mais Ă  la diffĂ©rence du complotisme qui relève d’une croyance, le nĂ©gationnisme relève lui d’une manipulation historique motivĂ©e par des considĂ©rations idĂ©ologiques et politiques. On connaĂ®t depuis longtemps en France, ceux qui nient l’utilisation des chambres Ă  gaz ou qui tentent de minimiser la culpabilitĂ© du rĂ©gime nazi envers les juifs. Ils sont mĂŞme soutenus par une partie non nĂ©gligeable de la population française. Le nĂ©gationnisme asservit la pensĂ©e Ă  un motif irrationnel obscur et intĂ©riorise. Il trouve dans cet espace matière Ă  prospĂ©rer. La notion de  système, d’establishment, de « l’ensemble des gens en place qui contrĂ´lent l’ordre Ă©tabli et cherchent Ă  se maintenir ». Et les exemples abondent de rĂ©actions du mĂŞme type devant le dĂ©bat politique français vis-Ă -vis de l’extrĂŞme droite. C’est bien la parole de ceux ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© du système, qui est dĂ©sormais disqualifiĂ©e. Tout ce qui fut respectĂ© depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, la connaissance et la compĂ©tence, est dĂ©sormais rejetĂ© car suspectĂ© d’être une chimère au service de ceux qui profitent seuls des richesses de notre monde. La post vĂ©ritĂ© nous fait revisiter des notions que nous pensions rĂ©volus, nous plongeant dans une obscuritĂ© dont la sociĂ©tĂ© de la transparence s’accommode assez bien.

La menace que fait peser la post vérité n’est pas seulement l’essor des fausses nouvelles et la superstition mais aussi l’omniprésence du baratin dans la vie politique et médiatique, et surtout l’indifférence des gens à l’égard de la vérité, thème développé par le philosophe américain Harry Frankfurt ( op.cit. L’art de dire les conneries. 1985). L’extension du moi sur les réseaux sociaux s’est ainsi imposée n’écoutant que sa propre ignorance, avec aplomb et suffisance.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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