Ce texte est la synthèse du rapport State of the Future, The Future Work/Technology 2050, réalisée par le Millennium Project. Elle est basée sur la méthode Delphi.

La population mondiale devrait augmenter de près de 2,3 milliards de personnes au cours des trente-cinq prochaines années, pour atteindre 9,6 milliards en 2050. D’ici là, il sera indispensable de développer de nouveaux systèmes de gestion et d’organisation pour l’eau, l’énergie, l’éducation, la santé, l’économie, et la gouvernance mondiale, si nous voulons éviter d’importantes catastrophes humaines et environnementales. Les études réalisées par le Millennium Project montrent que la plupart de ces problèmes sont évitables et qu’un avenir meilleur est possible. De brillantes idées, politiques, innovations sociales, avancées scientifiques et technologiques, et de nouveaux types de leadership voient le jour partout dans le monde. L’interaction entre les futures intelligences artificielles, les innombrables nouvelles formes de vie de la biologie synthétiques, la prolifération d’ensembles nano-moléculaires, et la robotique pourraient créer un futur à peine comparable et reconnaissable à la science-fiction d’aujourd’hui.


L’avenir pourrait être beaucoup plus prometteur que ce que la plupart des pessimistes veulent bien admettre, et inversement, il pourrait aussi se révéler bien pire que ce que la plupart des optimistes envisagent. Pour relever les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, il est essentiel d’implanter des stratégies basées sur une approche compréhensive, cohérente, et intégrée des différents problèmes et des opportunités que nous avons aujourd’hui.!
Ce rapport vise à améliorer la compréhension de ces problèmes et opportunités pour développer de telles stratégies.

Nous publions le rapport du The State of the Future annuellement depuis 18 ans, et il est devenu progressivement clair que nous, les hommes, possédons les ressources nécessaires pour relever les défis mondiaux auxquels nous nous heurtons. Ce qui est discutable, en revanche, est notre capacité à implanter ensemble et sur l’échelle nécessaire des stratégies globales et locales permettant d’envisager et de construire un avenir meilleur. Comme le Pape François l’a affirmé dans sa Lettre Encyclique; «Les demi-mesures ne servent qu’à retarder l’inévitable catastrophe ».

Les défis auxquels nous sommes exposés n’ont pas de frontières, ce qui doit nous pousser à d’adopter un plan d’action commun et des stratégies transnationales. Lutter contre le changement climatique ou le crime organisé dans un seul pays ne fera pas de différence suffisante si les autres pays ne jouent pas le jeu aussi. Les nations doivent coordonner leurs actions.
Des départements destinés à la prospective et à la planification stratégique émergent au sein des entreprises et gouvernements. Cependant, vu à la vitesse à laquelle le monde change, ils n’ont pas encore acquis suffisamment d’influence sur les prises de décisions pour créer l’impact requis.

Même si le nombre d’organisations intergouvernementales se multiplie et que les collaborations entre le secteur public et privé s’accroissent, il faut améliorer leur efficacité qui reste contestable. Les hommes doivent se mettre d’accord sur une vision globale, stratégique et durable de l’avenir, implanter des objectifs ambitieux et de long terme, permettant de stimuler la collaboration internationale.

Les Etats-Unis et la Chine, par exemple, pourraient se fixer l’objectif commun de réduire la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone actuellement de 400 ppm à 350 ppm et inviter le reste du monde à s’engager dans un programme similaire à celui de la NASA pour y parvenir. Le président américain Barack Obama et le président chinois Xi Jinping ont fait une annonce conjointe en novembre 2014 sur leurs engagements à plafonner les émissions de gaz à effet de serre, à collaborer sur la recherche en matière d’énergies non-polluantes, la capture et la réutilisation du carbone, la conception de ‘villes intelligentes’ plus écologiques, et la réduction progressive de l’utilisation d’hydrocarbures. Cet accord est signe de progrès, mais il manque encore d’audace pour inspirer à un changement d’attitude global et concret. À titre d’exemple, L’ONU propose 17 objectifs de développement durable, tels que l’éradication de la pauvreté et de la faim d’ici 2030.

En 2008, le State of the Future énonçait: !
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La moitié du monde est vulnérable à la violence et à l’instabilité sociale en raison de la hausse des prix alimentaires et énergétiques, des états en déliquescence, du changement climatique, de la disparition des nappes phréatiques, de la diminution des ressources en eau, nourriture et énergie par personne, de la désertification et de l’augmentation des migrations politiques, environnementales et économiques. !

Malheureusement, tous ces facteurs d’instabilité sociale ont continué de se détériorer au cours des sept dernières années, conduisant à l’agitation sociale que nous constatons aujourd’hui dans de nombreuses parties du monde. !
Alors que l’attention d’une majorité se porte principalement sur la montée de l’extrémisme et les guerres civiles, des leaders d’opinion tels que Stephen Hawking, Elon Musk et Bill Gates nous mettent en garde contre les potentiels dangers de l’intelligence artificielle (IA) pouvant grandir au-delà de tout contrôle humain. Que l’IA puisse représenter notre cauchemar de demain ou non, puisse être hostile, amicale ou neutre, nous avons une certitude; l’IA et d’autres technologies d’avenir (la robotique, la biologie synthétique, la science informatique, les nanotechnologies, l’informatique quantique, l’impression 3D/4D, l’internet des objets, de la science cognitive, l’auto- conduite des véhicules et leurs synergies) vont changer notre perception de ce que nous pensons possible et réalisable au cours des prochaines années, mais pourraient aussi nous conduire à un taux chômage accru.

La richesse se concentre de plus en plus et les écarts de revenus se creusent. Une croissance non-créatrice d’emplois semble être la nouvelle norme. Le capital et la technologie ont, en général, un meilleur retour sur l’investissement que la main d’œuvre. Les technologies du futur peuvent remplacer une grande partie du travail humain. Nous prévoyons que le chômage structurel à long terme risque de progressivement devenir une norme si rien ne change. !
Dans la dernière section du livre, nous expliquons que la nature du travail et la nature des systèmes politico-économiques dans le monde doivent changer d’ici 2050 si l’on veut éviter d’être confronté à un chômage de masse et de longue durée. Favoriser ce changement pourrait conduire à l’amorce d’un nouveau type d’économie qui s’auto-actualise, qui pourrait transformer les questions de pénuries auxquelles nous sommes exposés aujourd’hui en questions d’abondance.

L’intelligence artificielle a le potentiel de créer, modifier et installer des logiciels de manière autonome et simultanée à travers le monde, à partir de capteurs intelligents et de commentaires laissés sur les réseaux d’informations. C’est un facteur historique et unique pour la création et suppression d’emplois. L’impact que l’IA est susceptible d’avoir sur le monde sera probablement même plus grand que l’impact qu’à eu l’apparition d’Internet. !
Peut-être que comme dans le passé, plus d’emplois seront crées qu’éliminés, mais la vitesse et l’intégration des changements technologiques et la croissance de la population sont tellement plus importants aujourd’hui, qu’à long terme, un chômage structurel est très plausible. Des propositions (comme un revenu de base garanti universellement et d’autres mécanismes économiques) doivent désormais être envisagées sérieusement, car il nous faudrait une génération ou deux pour effectuer une transition à de tels changements. Accélérer les découvertes scientifiques et la recherche sur le cerveau et la longévité rendent nos chances de vivre plus longtemps et sainement plus probables. Par conséquent, la mise en place de programmes sera nécessaire pour enseigner aux personnes âgées comment apporter une contribution à la société – trouver des marchés correspondant à leur compétences et intérêts sur internet.

L’économie mondiale devrait croître d’environ 3,5 % au cours de 2015, tandis que la population de 7.3 milliards est en croissance à 1,14 %. De ce fait, la croissance du revenu mondial moyen par habitant est de 2,36 %. Ce chiffre représente environ la moitié de ce qu’était la croissance du revenu annuel par habitant avant la crise financière et récession mondiale. Mais fonctionner dans une logique de croissance pour la croissance devient imprudent. Il faut créer des incitations pour encourager et accélérer le passage d’une croissance économique aveugle à un développement éco-intelligent.

Sinon, l’eau et d’autres pénuries environnementales seront susceptible d’accroître l’instabilité sociale. La moitié des gens vivant dans les 200km près des côtes pourraient éventuellement se retrouver perturbés de manière permanente. Sans objectif global commun comme celui que les Etats-Unis ont avec la Chine sur le changement climatique, l’objectif actuel de limiter la croissance des émissions de CO2 à 450 ppm semble invraisemblable. Des changements à plus long terme dans l’océan pourraient conduire à l’augmentation du développement de microbes produisant du sulfure d’hydrogène (H2S) et s’avérant mortel. Ainsi, des investissements à grande échelle sont nécessaires pour accélérer la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables, des systèmes d’élevage aux viandes synthétiques, de l’irrigation de l’agriculture à l’eau douce à l’irrigation de l’agriculture à l’eau de mer.

Pour éviter de perdre tout contrôle sur l’informatique quantique avec les réseaux d’information et capteurs artificiels, nous devons concevoir des systèmes de contrôle accessibles et favorables aux hommes et développer des moyens de fusionner judicieusement avec les technologies futures. Il s’agit de combiner cyber-monde avec la « réalité physique ». C’est crucial, car les progrès en biologie synthétique, les TIC, et d’autres technologies futures rendent plausible que des individus agissants seuls puissent construire et déployer des armes de destruction massives. Des systèmes globaux d’intelligence collective devront être utilisés pour identifier l’intention avant l’action, les progrès en matière de santé mentale seront nécessaires pour réduire le nombre de sociopathes et psychopathes, et de nouveaux rôles pour le public devront être définis afin de réduire cette menace. Le développement de la fabrication moléculaire et de l’impression 3D présage de meilleurs niveaux de vie, mais laisse également envisager la possibilité de créer des nano-armées et risque de considérablement réduire le commerce mondial.

Lorsque l’ensemble du monde sera connecté à l’Internet des objets, lorsque les percées scientifiques et découvertes capitales concernant le Human Brain Project des Etats-Unis, de l’UE et de la Chine ainsi que des projets d’IA de Google et IBS seront révélées, intégrées et implantées, chaque individu aura la possibilité d’augmenter son génie. Comment un monde plein de génies augmentés est susceptible de changer la culture, la politique, la religion, les mentalités et l’économie ? Un systeme d’intelligence global et collectif est nécessaire pour suivre l’évolution de notre monde et pour élargir la conversation entre nos dirigeants, les experts et le public. Cela aidera à faire évoluer nos structures sociales. Ce changement est nécessaire pour répondre à la question ci-dessus, relever les défis mondiaux et ainsi construire un avenir meilleur.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE, ETUDE, Sciences et société

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