Plaisir et liberté, telle pourrait être la devise des fondateurs de Peuplade, site de mise en relation et de mutualisation de projets entre voisins du XVIIe arrondissement de Paris. Car si le site joue le rôle de premier contact et de catalyseur des énergies, l’essentiel se passe « dans la vraie vie ». Analyse d’un succès.

image_peuplade.jpg Jeudi 25 août, 19h30, angle rue des Moines, rue Lemercier (XVIIe). Le café Le Zinc accueille des individus d’âge et de look divers. Tous, néanmoins, portent le même signe de ralliement : un autocollant sur lequel est inscrit un nom ou un pseudo. Ils s’appellent Sardine, Artemis ou Jojo et grâce à un article dans le journal, une affiche ou un tract chez le commerçant du coin, sont devenus membres de Peuplade. Ce qui les réunit ? Ils sont, pour une majorité d’entre eux, habitants de l’est du XVIIe arrondissement de Paris, connectés à Internet, en recherche de lien social, de moments conviviaux ou de projets collectifs. Pas une secte, non, mais une communauté « pâte à modeler » sans identité et en constante évolution.

L’idée est née dans la tête de Nathan Stern, qui, il y a quelques années, expérimente les relations de voisinage nées sur le Net. « En effectuant une recherche sur Google, j’ai découvert les pages web de personnes vivant dans ma rue, la rue Sauffroy dans le XVIIe. Après une première prise de contact en ligne, sont nées des amitiés particulières : à 2 ou 3 personnes, nous avons commencé à vivre sous un mode communautaire, s’invitant à dîner spontanément, sans le côté envahissant des relations de voisinage. En bon parisien, je suis très attaché à l’anonymat. Ces amitiés n’étaient pas fondées sur des affinités, mais sur un mode de rencontre spécifique, rendu possible dans la proximité puisque nous habitions la même rue, et où le « bien vivre » était le plus important », relate Nathan.

Quelques années plus tard, cette première expérience donnera naissance à l’association Peuplade et au site Internet Peuplade.net, ouvert il y a quinze mois. « Nous avons eu l’envie de créer un site de mise en relation entre voisins sans y intégrer les critères classiques de sites de rencontres : le statut marital, l’âge, les centres d’intérêt, la profession, les revenus, etc. La question « que fais-tu dans la vie » y est tabou. Peuplade est anti-communautaire, areligieux et apolitique », précise Nathan.

Un site sans étiquettes

Au cœur du processus, sans en être la finalité, figure donc le site Internet. Dès la page d’accueil, l’internaute est fixé. Le site affiche en effet son refus des étiquettes et informe : Peuplade accueille « des mamans, des cinéphiles, des fauchés, des vieux, des reines, des amnésiques, des non-fumeurs, des ahuris, des concierges… « . Au programme : « Se rencontrer, échanger des bonnes adresses, des services, des coups de main… « .

Après une inscription en ligne – plus de 2000 inscrits à ce jour -, chacun peut lire la liste des événements portés par les “Peupladiens” et s’y inscrire : une soirée « jeu », un jogging au Parc Monceau, des sorties culturelles… et le désormais rituel « apéro de bienvenue » pour accueillir les nouveaux venus.

Sur le site déjà, la rubrique “autoportrait” permet aux visiteurs de se présenter à travers les réponses à 60 questions plus proches du questionnaire de Proust que de l’entretien d’embauche. Morceaux choisis : Qu’est-ce qui dans l’humanité vous étonne le plus ? Pour qui éprouvez-vous de la reconnaissance ? Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?… Comme un début de réponse à cette dernière question, Peuplade met en avant sa vocation première : faciliter l’expérimentation et la création de projets, la concrétisation d’initiatives qui « changent la vie », autant de “Peuplades” portées par les habitants eux-mêmes. Il en va ainsi d’un projet de création de journal sur le quartier – La Gazette -, d’un groupe « solidarité » qui collecte des jouets et des vêtements pour personnes en difficulté et organise des repas pour les SDF.

Mais le projet le plus spectaculaire dont Peuplade a permis l’épanouissement est sans nul doute la Maizon. Portée notamment par Nouka, la Maizon est un appartement loué pour organiser des activités, participer à des ateliers (jeux, ciné-club, troc, etc.), permettre aux gens du quartier de se rassembler. « Avec Peuplade, nous partageons les mêmes valeurs et le même objectif : mieux vivre ensemble en toute liberté. La Maizon est donc un lieu ouvert où chacun peut aller et venir, pour créer quelque chose ou ne rien faire », explique la jeune-femme. Grâce à Peuplade qui a servi de vecteur de communication, la Maizon compte aujourd’hui plus de 50 bénévoles prêts à s’investir dans son animation.

La ville de demain

Comme un leitmotiv, les notions de plaisir et de liberté semblent coller à la peau des « Peupladiens ». Nathan Stern revendique : « L’important à Peuplade, c’est l’absence d’engagement ; il n’y a pas de prise en otage comme dans beaucoup d’associations ou de culpabilisation par rapport à la misère du monde. Nous ne sommes pas dans cette éthique du don. Tout le monde a quelque chose à donner ; c’est une tension réciproque ». Scipion, inscrit sur le site depuis le début du mois d’août 2004 grâce à un article dans le Nouvel Observateur, confirme : « Il n’y a ni chef ni hiérarchie à Peuplade. C’est une opportunité de liens et de prises de contacts sans tabous ni préjugés. Ce grand respect des libertés permet à chacun d’y faire ce qu’il veut ».

Pour autant, tout n’a pas toujours été rose dans le monde des Peupladiens et les premiers pas furent difficiles. « Au démarrage, personne ne venait aux réunions et personne ne participait aux forums. Puis, quand il y a eu des contributions, on s’est aperçu que les personnes qui discutaient en ligne ne voulaient pas prendre le risque de passer du virtuel au réel. L’activité a réellement démarré lors du premier apéro de bienvenue en décembre 2003. Depuis ce jour, ce sont les rendez-vous et non les discussions en ligne que nous mettons en avant », affirme Nathan. Et l’activité lancée (plusieurs dizaines de personnes s’inscrivent chaque semaine sur le site), certaines dynamiques ont encore du mal à prendre leur essor. Il en va ainsi de la rubrique “échanges et services” qui recueille nombre de bonnes volontés sur le site mais peu de concrétisation dans “la vraie vie”. Autre problème soulevé par Scipion : « sur les 2000 inscrits, seule une centaine se manifeste et participe aux évènements. Comment attier les autres ? Il faut que nous améliorions l’accueil des nouveaux pour que Peuplade ne devienne pas une vieille confrérie ».

Mais, quels que soient les réussites ou les « échecs » des expériences tentées au sein de Peuplade, ses créateurs ne comptent pas s’arrêter là. Aujourd’hui composée uniquement de bénévoles, l’association pourrait bientôt salarier le développeur du site à condition de trouver les moyens financiers. « Malgré les financements des Fondations Véolia et RATP, nous sommes très en-dessous de ce que nous voulons réaliser. Notre objectif, c’est de faire de l’ingénierie sociale, de créer un cadre social permettant de faire émerger la ville de demain, une ville harmonieuse sur le plan humain. Ce que nous défendons, ce n’est pas seulement l’idée de partage et de convivialité. Pour rendre ces idées optimales, il faut développer des institutions, comme la Maizon qui répond à une utilité sociale extraordinaire ou les apéros de bienvenue », explique Nathan. En tout cas, l’idée séduit et plein de petits Peuplades pourraient naître partout en France dans le but, selon son fondateur, de « créer le jour la ville telle qu’elle se vit la nuit, de façon libre et désintéressée ».

Site : www.peuplade.net

La Maizon : 13 rue Collette, 75017 Paris.

Ouvert tous les jours de 19h à 23h, les mercredis et samedis de 14h à 23h et le dimanche de 14h à 19h.

Tél. : 01 42 26 33 36.

Site : www.lamaizon.net

Au sujet de Anne Dhoquois

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société". Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative). Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans et assure aujourd'hui la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives.

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