Une famille, un mouvement, une tendance, une mode ? Si tout le monde ne s’accorde pas sur la définition à donner aux créatifs culturels, ceux-ci suscitent un intérêt croissant. En France, un livre récent leur est même consacré, permettant à tout un chacun de se situer par rapport à cette sphère émergente de la société.

images-8.jpgIls sont deux. Deux chercheurs américains qui, au terme d’une longue enquête, affirment que les pays occidentaux vivent actuellement un important changement de société. D’après eux, des millions de personnes – 24% des Américains adultes – ont adopté une façon d’être et de penser qui ne répond plus au modèle occidental « moderniste » basé sur l’individualisme, le capitalisme et le divertissement.

Ouverts aux valeurs de l’écologie, adeptes du développement personnel, soucieux de remettre l’humain au cœur de la société, ceux que le sociologue Paul H. Ray et la psychologue Sherry Ruth Anderson nomment les « Créatifs culturels » (1) – ou « les créateurs de nouvelles cultures » – pourraient sauver la planète d’une destruction programmée. Bref, une révolution est en marche… mais de façon silencieuse, car elle n’est portée par aucun parti ou mouvement identifiable.

Foutaise pour certains, les créatifs culturels ne seraient autre qu’un nouveau concept marketing incarné par les bo-bo (bourgeois bohêmes) ou les no-no, anti consuméristes et fervents combattants de la dictature des marques. Paul Ray avance, quant à lui, que les créatifs culturels ne sont que « la manifestation d’une lente convergence de mouvements et de courants jusqu’alors distincts vers une profonde modification de notre société. Les créatifs culturels ne viennent pas de nulle part. Ils ont une longue histoire qui a traversé ces 50 dernières années sous la forme de mouvements différents ayant introduit successivement des changements de mentalité, comme le pacifisme, l’écologie, le féminisme, le new age, la décroissance, l’essor du développement personnel et des médecines douces, du bouddhisme, du bio… ».

17% de créatifs culturels en France

En France, un ouvrage récent (2) étudie leur présence dans l’Hexagone et annonce thumb_Visuel_CC_OK.jpgque 17% de nos concitoyens se retrouvent dans cette catégorie de la population.

En détail, le livre propose le découpage suivant :

 Le créatif culturel (17% des Français)

En rupture avec les valeurs héritées de sa famille, il exerce souvent un métier qu’il a choisi, qui lui convient mieux que celui pour lequel il a fait des études. Il met à l’œuvre les valeurs dites « féminines » (sensibilité, intuition, empathie, non compétitivité…) dans sa vie personnelle et professionnelle. Il tisse des liens autour de lui, préfère la coopération à l’affrontement, et a un fort sens de la solidarité. Il défend les valeurs multiculturelles et a une vision différente de l’éducation. Il peut pratiquer une certaine « spiritualité laïque », est convaincu que le changement personnel peut contribuer à une transformation positive du monde. Il attache une grande importance aux notions d’authenticité et de cohérence entre ses convictions profondes et son comportement.

 L’alter-créatif (21% des Français)

Il a les mêmes valeurs de base que le créatif culturel. Souvent en rupture avec sa formation initiale, il s’intéresse aux domaines du développement personnel et de la connaissance de soi, mais pas à la spiritualité. Et il ne s’implique pas dans les milieux associatifs. Il est prêt à s’engager en faveur de l’écologie, mais de façon individuelle. Il a une vision plus « séparatiste » de la vie : il ne fait pas le lien entre l’écologie et la spiritualité, ni entre l’évolution intérieure et l’évolution de la société.

 Le protectionniste inquiet (23% des Français)

Il a le sentiment d’appartenir à une société dont il est un acteur important. Ses valeurs : gagner de l’argent, consommer librement, être au fait des dernières nouveautés, se divertir comme il l’entend, entretenir son corps… Il ne se sent pas concerné par le développement personnel et la spiritualité.

 Le conservateur moderne (20% des Français)

Il tient aux valeurs traditionnelles : femme mère de famille, père patriarche, réussite sociale… Il rejette toute forme d’ouverture intérieure (développement personnel et spiritualité) qu’il assimilera volontiers à un comportement sectaire. Il est favorable à une croissance et un développement forts : multinationales, progrès scientifique…

 Le détaché sceptique (18% des Français)

Il ne se sent pas concerné ni par l’écologie, ni par la politique, ni par la condition des femmes, ni par le développement psychologique et spirituel. Il ne se sent pas comme vivant « dans » la société, mais à part.

Ni parti ni doctrine

Jean-Pierre Worms, sociologue, a préfacé l’ouvrage français. Selon lui, les créatifs culturels ne sont en aucun cas un mouvement, mais plutôt une tendance culturelle. Il précise : « Les créatifs culturels ont le souci de ne pas être assujettis à une manipulation extérieure ; ils sont en retrait des églises, mais réinvestissent les valeurs spirituelles (besoin de retrouver du sens au moment où les idéologies s’effondrent) ; ils vont vers la chose politique, mais rejettent les partis ou les syndicats. Bref, ils se réapproprient les enjeux de la vie collective, prennent en charge les grands enjeux de la société de demain (diversité, développement durable…) et œuvrent pour une société de reconnaissance mutuelle, le tout sans appartenir à un parti organisé ».

Tristan Lecomte, jeune entrepreneur de 33 ans, fondateur d’Alter éco, distributeur de produits alimentaires et cosmétiques issus du commerce équitable, a lu le livre avec attention. Il confie : « Quand j’ai découvert ce livre, je me suis dit deux choses. D’abord, que je ne suis pas le seul à avoir la volonté de changer le monde sans pour autant renoncer à la consommation (et au plaisir qu’elle procure) et sans me reconnaître dans le mouvement altermondialiste ou dans un parti politique. Ensuite, que c’est un bon argument commercial par rapport au commerce équitable car on nous renvoie sans cesse que nous sommes une minorité à vouloir changer la société. Or, au regard des chiffres de l’enquête, les sceptiques ne sont pas si nombreux… ».

En effet, en réunissant les deux familles de créatifs, les « culturels » et les « alter-créatifs », qui sont très proches l’une de l’autre, on obtient 38%. Chiffre qui, par son importance, met en exergue le manque de conscience des créatifs culturels en tant que groupe. On peut donc être créatif culturel sans le savoir. Point faible ou caractéristique à conserver ? Jean-Pierre Worms a sa petite idée sur la question : « Attention à ne pas transformer les valeurs de respect, de développement personnel, de paix et d’accomplissement dans le travail qu’ils véhiculent en doctrine figée. En soi, cette représentation de soi-même et du monde est une force de changement social ».




Etes-vous un « Créatif culturel » ?

1. Vous aimez la nature et sa destruction vous inquiète.

2. Le sort global de la planète vous touche (réchauffement climatique, destruction des forêts tropicales, surpopulation, prise en compte insuffisante des impératifs de la durabilité écologique dans le système en place, exploitation des populations des pays pauvres) et vous souhaitez que l’on fasse plus pour l’améliorer, même si ceci implique de limiter la croissance économique.

3. Vous seriez prêt à payer plus d’impôts ou de taxes, ou à payer des biens de consommation plus cher si vous aviez la preuve que l’argent récolté est bien utilisé pour la protection de l’environnement.

4. Vous attachez beaucoup d’importance à la qualité des relations humaines.

5. Vous considérez qu’il est important d’encourager et d’aider chacun à mettre en valeur les dons, talents et richesses uniques de sa personnalité.

6. Vous faites du bénévolat pour une ou plusieurs causes.

7. Le développement spirituel et psychologique est un domaine qui vous est familier.

8. La spiritualité et la religion sont des aspects importants de votre vie, mais vous vous inquiétez de l’influence des intégrismes religieux.

9. Vous souhaitez que les femmes soient traitées à l’égal des hommes, notamment dans le monde professionnel, voir plus de femmes à la tête des entreprises et des partis politiques.

10. Vous êtes alarmés par les violences et les mauvais traitements que subissent les femmes et les enfants dans le monde entier.

11. Vous souhaitez que les dépenses publiques et la politique en général soient plus orientées vers l’éducation et le bien-être des enfants, vers la réhabilitation des quartiers et des communautés, vers la création d’un système écologiquement stable et durable permettant de préserver l’avenir.

12. En politique, vous n’êtes satisfait ni par la droite ni par la gauche, ni même par un centre mitigé.

13. Votre vision de l’avenir est plutôt optimiste et vous vous méfiez du pessimisme et du cynisme que véhiculent les médias.

14. Vous souhaitez vous impliquer activement dans la transformation de la société.

15. Vous désapprouvez les méfaits des entreprises accomplis au nom du seul profit (licenciements, dégradation de l’environnement, exploitation des pays pauvres et de leurs populations).

16. Vous surveillez vos dépenses et évitez de « surconsommer ».

17. Vous désapprouvez la manière qu’a la culture moderne de toujours mettre l’accent sur la compétition, le succès et la réussite, sur l’acquisition et l’accumulation de nouveaux produits, et sur les signes extérieurs de richesse et le luxe.

18. Vous êtes ouvert à ce qui vous est étranger : personnes, lieux et modes de vie.

Si vous êtes en accord avec au moins quinze de ces affirmations, vous êtes sans doute un créatif culturel (Extrait du livre de Paul Ray).

A savoir : un nouveau test, plus complet, est disponible sur le blog des éditions Yves Michel.

Anne Dhoquois (avec Wikipedia)

(1) L’émergence des Créatifs culturels, enquête sur les acteurs d’un changement de société, Paul H. Ray, Sherry Ruth Anderson, éditions Yves Michel, 2001 (publication aux Etats-Unis : 2000).

(2) Les Créatifs Culturels en France, Association pour la Biodiversité Culturelle, éditions Yves Michel, 2007.

Sites : www.creatifsculturels.fr; www.culturalcreatives.org (en anglais)

Au sujet de Anne Dhoquois

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société". Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative). Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans et assure aujourd'hui la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives.

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