Annette Preyer

L’usine occupée Vio.Me à Thessalonique.
Une équipe réduite veut continuer à y croire

Vio.Me. Rappel de la situation il y a deux ans

A Thessalonique, après la faillite de leur entreprise, 38 ouvriers occupent depuis deux ans leur ancienne usine. A la place de colles pour carrelage, ils produisent depuis deux mois des détergents ménagers bio. Ils peuvent se payer 10 euros/jour et espèrent passer à 20 voire davantage rapidement. Par ailleurs, ils vivent grâce à leurs familles et à un très large mouvement de solidarité local, national et même international.

Quatre ans déjà et les ouvriers de Vio.Me sont toujours dans leur usine. Un succès en soi. Tous les jours, ils prennent le travail à 7 h 00 du matin, comme au temps de la pointeuse, comme au bon vieux temps, oserais-je dire, car leur idéal semble bien être l’usine d’antan.

Pourtant, ceux qui sont toujours là, de moins en moins nombreux, ont dû changer. Ils s’autogèrent et s’auto-mobilisent. Certains voyagent pour promouvoir leur lutte, en Grèce et à l’étranger. Cependant c’est bien à la production qu’ils semblent le plus à l’aise. Avec des gestes sûrs, bien que les installations soient bricolées. Telle cette perceuse qui sert à remuer un liquide ou cette lampe coincée entre des paquets en haut d’une pile faute de fixation plus conventionnelle.

Auparavant les ouvriers étaient responsables de leur seul poste de travail, aujourd’hui ils doivent aussi assurer toutes les autres fonctions de l’entreprise (les cols blancs ont déserté les lieux dès l’occupation en 2011). Pour les chiffres, depuis un an, ils ont intégré Dimitria, une comptable du mouvement de solidarité. Elle apporte de la rigueur, pas toujours facile à accepter par les ouvriers. Au cours de leur réunion d’équipe, bihebdomadaire contre quotidienne en 2013, les échanges à propos d’une grosse commande et du déménagement d’un bureau sont âpres.

Vive et tonique, fumant cigarette sur cigarette, Dimitria ne lâche pas le morceau. Ils finissent par aboutir à un vrai accord, entre autres grâce à Dina, ma guide, dans l’équipe depuis trois mois. Aussi parce qu’ils en ont marre de rester assis à discuter.
Dina, 30 ans, peint, fabrique des bijoux et se dit réfractaire aux jobs « normaux ». Elle gère les commandes et internet. Elle est la seule à parler anglais. Mon interlocuteur anglophone d’il y a deux ans a jeté l’éponge. Il a rejoint l’activité familiale de maraîchage et vente de légumes sur les marchés.

La situation des Vio.Me reste éminemment précaire bien qu’ils se soient donné une structure légale afin de pouvoir vendre et exporter. Une coopérative a été créée en mars 2014 par 21 personnes, ouvriers et membres du mouvement de solidarité. En revanche, toutes leurs démarches judiciaires pour récupérer le terrain ont échoué.

L’espoir d’une décision politique en leur faveur de la part du gouvernement Syriza s’est avéré vain. L’administrateur judiciaire cherche à céder le terrain et l’usine. Que se passera-t-il le jour où il trouvera un acquéreur ? Certes, l’usine est gardée nuit et jour et un système d’alerte boules de neige au sein du mouvement de solidarité est en place. Mais voudront-ils vraiment résister à une intervention de la police ?

Le « salaire » aussi reste bien maigre : 15 euros par jour pour tous. Impossible de vivre avec 300 euros par mois. Chacun a besoin de ressources complémentaires. Dina voudrait leur donner plus de visibilité avec des commandes régulières.

Les Vio.Me ont ajouté des pains de savon à leur palette, faciles à transporter et à vendre.

C’est devenu leur produit phare. Les commandes restent exclusivement ponctuelles, souvent pour des événements politiques. Dina voudrait construire des partenariats avec des magasins bio ou alternatifs. Avec, vu de ma fenêtre un bémol sérieux : alors que leurs produits sont censés être bio, ils n’ont pas établi de coopération stable avec des experts qui pourtant sont présents dans le mouvement de solidarité. Quelle est la qualité réelle de ces savons et détergents ?

Impossible d’avoir des informations économiques précises sur leur activité. Dina souligne que les exportations augmentent, en particulier vers l’Allemagne. Makis, leader du mouvement depuis le début, et des membres du mouvement de solidarité sont souvent allés en Allemagne où vivent de très nombreux Grecs.

Les Vio.Me incarnent la volonté de l’emporter sur un patron défaillant et l’espoir d’une industrie non pas gérée différemment, mais dont les bénéfices sont répartis autrement. Voilà ce qui les fait tenir et fait tenir le mouvement de solidarité. C’est pour cette raison aussi, qu’ils ne déménagent pas leur production vers un lieu légal alors qu’un grand garage suffirait.

En dans l’immédiat, si Dina pouvait améliorer une chose que serait-ce ? Que plus de personnes viennent travailler à la production ! Il faut une nouvelle dynamique, des idées nouvelles. Nous avons besoin de voir de nouvelles têtes, nous avons besoin d’interactions avec des personnes extérieures.
Quatre années de lutte, deux années de production, c’est long. Ici, nous sommes le nez dans le guidon, dehors il y a trop de théorie. Apprenons les uns des autres !

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Relire le reportage d’Annette Preyer en publié en 2013

Au sujet de Annette Preyer

Executive coach, Annette est spécialisée dans le développement des équipes et le management interculturel. Elle s’intéresse tout particulièrement aux organisations qui réinventent leur mode de fonctionnement et notamment leurs processus de prise de décision et de régulation des conflits. D’origine allemande, diplômée de Sciences Po Paris, Annette intervient en français, anglais et allemand. Journaliste pendant une dizaine d’années, elle aime toujours écrire, en son nom propre ou en soutenant d’autres plumes. https://fr.linkedin.com/annettepreyer

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