Dans le dictionnaire du futur, on trouve « solublème » qui signifie : « solution qui crée un problème plus important que celui qu’elle a cherché à résoudre ». Illustration: le projet de Loi Hadopi, discuté à l’Assemblée

Le solublème [[www.dictionnairedufutur.fr]] est une pratique ancestrale qui a ses mentors. L’un d’entre eux est un officier supérieur de l’armée américaine qui, après une expédition au Vietnam, affirme : « Pour pouvoir sauver la ville, nous avons dû la détruire. » Le gouvernement américain ne fut pas en reste de solublème lorsqu’il voulut lutter contre l’alcoolisme. Alors qu’il instaura la prohibition de l’alcool, le remède s’avéra pire que le mal. Braver l’interdit devint un sport qui fit augmenter le degré d’alcoolisme. Une industrie clandestine se développa. Elle fut récupérée par la mafia qui utilisa la violence pour développer sa zone d’influence.

Il existe différentes techniques pour faire en sorte qu’une solution à un problème s’avère un solublème. La première repose sur la certitude de détenir la bonne solution. Cette assurance permet d’éviter de se demander comment ses interlocuteurs vont réagir.

Un exemple illustre les dégâts de cette absence d’empathie. Constatant que dans le service de chirurgie cardiaque le nombre de décès en salle d’opération avait augmenté, un directeur d’hôpital mit en place une incitation financière pour les chirurgiens : ils recevaient une prime s’ils ne dépassaient pas un quota mensuel de décès. Résultat, les chirurgiens retardèrent les opérations délicates lorsqu’ils avaient atteint ce quota. Les patients ne mourraient plus dans la salle d’opération mais dans leurs chambres.

On peut aussi faire toujours un peu plus de la même chose. Pour réduire le nombre d’accidents corporels, une entreprise mit en place des règles de sécurité. Les accidents diminuèrent. Fort de ce succès, elle augmenta progressivement les procédures. On assista à une diminution des accidents puis à une recrudescence. Sous le joug des contraintes, les ouvriers avaient adopté un fonctionnement machinal et relâché leur attention.

Après cette présentation du solublème, venons-en au projet Hadopi [[Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet]]. Il semble être un solublème pour plusieurs raisons :

Le problème qu’il cherche à résoudre est la chute des chiffres d’affaires des industries culturelles.

Si la dégringolade des profits de ce secteur est indéniable, le coupable est selon les instigateurs de ce projet les « téléchargeurs » compulsifs. A en croire nos experts, ces passionnés de musique ou de cinéma assouvissent leur passion en gonflant leurs ordinateurs de musiques et de films mais ne vont pas au concert ou au cinéma. En revanche, si l’on condamne ces criminels, ils vont courir acheter disques et DVD. Nos pirates seront atteints du syndrome de Stockholm. Tombant en pamoison devant leurs bourreaux, ils vont se ruiner en bien culturels pour leur faire plaisir. Et même qu’ils surmonteront la difficulté d’avoir accès aux biens culturels sans connexion Internet !
On peut douter de la plausibilité de ce scénario. C’est en tout cas, ce que fait la Cnil qui, dans son avis au gouvernement, déplore que le projet de loi ne soit pas accompagné d’une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux « pair-à-pair» sont le facteur déterminant d’une baisse des ventes dans un secteur en pleine mutation.

Si l’on est en droit de douter qu’Hadopi résolve le problème posé, il faut pour être un solublème qu’il crée un ou plusieurs problèmes. De ce côté, Hadopi ne déçoit pas

Le premier problème qu’il peut créer est que des innocents soient privés de connexion Internet. Hadopi n’ayant pas prévu que l’internaute puisse se justifier, il peut être accusé de télécharger de manière illégal alors que sa connexion a été piratée par des voisins ou des anonymes. Hadopi devrait être amenée à priver de Web 180.000 internautes chaque année, soit environ 1 % des 17,2 millions d’abonnés à Internet haut débit en France. Ces injustices risquent de créer des mouvements de protestation qui vont desservir les instigateurs de cette loi. Brigitte Zypries, ministre de la justice allemand, le pense : « Je suis sûre qu’une fois que les premières déconnexions se produiront en France, nous entendrons le tollé jusqu’à Berlin. » Lena Adelsohn Liljeroth et Beatrice Ask, ministres suédois de la Culture et de la Justice abondent aussi dans ce sens : « Beaucoup ont noté que la coupure d’un abonnement à Internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l’accès à internet est un droit impératif pour l’inclusion sociale. Le gouvernement a donc décidé de ne pas suivre cette proposition. » Elles ajoutent : « Les lois sur le copyright ne doivent pas être utilisées pour défendre de vieux modèles commerciaux ».

Les pouvoirs accordés à une autorité administrative risquent aussi de créer quelques remous dans les chaumières. Les députés UMP M.Lefur et A.Suguenot les évoquent : «  Ce transfert des pouvoirs du juge à une autorité administrative revient à créer une véritable juridiction d’exception pour les téléchargeurs et va à l’encontre du principe d’égalité devant la loi et les tribunaux, principes fondamentaux des lois de la République. »

En cerise sur le gâteau des problèmes, on a le coût de l’opération : 6,7M euros par an plus les frais d’identification et d’envoi de courriers électroniques. Comme on parle de 3000 lettres recommandées par jour, dame Albanel a sorti sa calculette qui affiche 10M€ à 20M€/an supplémentaires. Selon le Conseil général des technologies de l’information (CGTI), la loi Hadopi pourrait donc coûter 70 millions d’euros, sur 3 ans, aux fournisseurs d’accès.
A ces chiffres impressionnants, il faut ajouter les pertes de revenus liés à l’impossibilité de consommer des internautes déconnectés.

Pas de solution, des problèmes… On a vraiment l’impression que le dispositif Hadopi a été imaginé pour faire de la publicité et valider le mot solublème. On aurait envie de suggérer au gouvernement de prendre rendez-vous avec l’Académie française. Peut-être que nos immortels n’auront pas besoin d’un tel carnage pour accepter le mot !

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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