Quatorze ans après le mandat d’arrêt lancé par le Tribunal Pénal International contre Radovan Karadzic, le procès tant attendu par les familles des victimes vient de débuter à La Haye.

L’accusé, responsable des atrocités commises par les forces séparatistes serbes pendant la guerre de 1992-95 en Bosnie, a envoyé aux juges une lettre annonçant son intention de boycotter l’entame du procès. Il a également refusé de plaider coupable ou non coupable.

De tous les jeux, c’est le poker que Radovan Karadzic , adepte des tapis verts, a longtemps préféré. Car l’ancien chef des Serbes de Bosnie est avant tout un maître du bluff, qui défia le monde depuis son fief montagnard de Pale, surplombant Sarajevo.

C’est, avec Milosevic (décédé en prison) et Mladic (en fuite) l’un des plus hauts dirigeants mis en cause par le Tribunal. Il avait fait de Sarajevo son affaire personnelle. Lui, la «chaussette blanche», comme on le surnommait, avait rêvé de se venger d’une ville qu’il méprisait.

Même au plus fort de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), le commandant suprême des forces armées de la République serbe de Bosnie (VRS), jouait au poker jusqu’au bout de la nuit. Psychiatre et poète funeste à ses heures, Karadzic aurait aimé voir la Grande Serbie entrer dans l’Histoire accolée à son nom. Mais l’histoire ne retiendra de ce sinistre personnage que son entreprise criminelle qui a fait 200 000 morts en Bosnie. Et si la justice internationale fait normalement son travail, c’est au fond d’une cellule qu’il devrait terminer ses jours.

De quoi Karadzic est il accusé ?

Les procureurs du TPIY ont déposé un acte d’accusation réduit et simplifié à l’encontre de Radovan Karadzic . Il se trouve désormais sous le coup de 11 chefs d’inculpation pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’acte d’accusation réduit aussi à 27, contre 41 auparavant, le nombre de lieux en Bosnie-Herzégovine où ont été commis les crimes pour lesquels Radovan Karadzic est poursuivi. Ces modifications sont destinées à permettre la tenue d’un procès plus efficace et plus rapide, estime le TPIY. Juges et procureurs veulent en effet éviter des débats qui s’éternisent mais au risque de passer sous silence des faits capitaux, de réduire son procès à la portion congrue, et de tronquer la recherche de la vérité.

D’après l’acte d’accusation, Radovan Karadzic s’est rendu coupable de génocide lorsque les forces placées sous son commandement ont tué des non-Serbes pendant et après les attaques menées contre des villes de plus d’une douzaine de municipalités de Bosnie, au début du conflit. Après ces attaques, les forces des Serbes de Bosnie ont rassemblé des milliers de non-Serbes et les ont transférés dans plus de 20 centres de détention. D’après l’acte d’accusation, les forces placées sous le commandement de Radovan Karadžić ont tué, torturé, brutalisé et infligé des violences sexuelles aux non Serbes détenus dans ces camps.

Radovan Karadžić doit également répondre de génocide pour le meurtre de plus de 7000 hommes musulmans de Bosnie à Srebrenica, en juillet 1995. D’après l’acte d’accusation, le 8 mars 1995, Radovan Karadžić a donné pour instruction aux forces serbes de Bosnie placées sous ses ordres de créer une situation d’insécurité totale, intolérable, sans laisser aucun espoir de survie aux habitants, notamment à ceux de Srebrenica.

Il est également tenu responsable du bombardement de Sarajevo et des tirs isolés contre la population civile lors du siège de la capitale, qui a duré 44 mois. Des milliers de civils ont été tués ou blessés, parmi lesquels des enfants et des personnes âgées.

Selon le Procureur, Radovan Karadžić a commis ces crimes, avec d’autres, dans le cadre d’une entreprise criminelle commune visant à expulser de façon permanente les habitants musulmans et croates des territoires qui avaient été déclarés partie intégrante de la République serbe de Bosnie autoproclamée.

Un criminel qui veut jouer les victimes

Karadžić est bien décidé à se servir du Tribunal comme un lieu de règlement de comptes, même si pour le moment, il a décidé de passer son tour en boudant l’ouverture du procès. Il va essayer d’utiliser sa place d’accusé pour raconter comment il a échappé pendant treize ans à une arrestation, et faire des révélations sur le rôle des Occidentaux.

Se disant désavantagé dans la préparation de sa défense, en raison de la rapidité de la procédure dans son procès, il va, comme son mentor Slobodan Milosevic qui a tout fait pour ralentir ses 65 chefs d’inculpation, jouer la montre. Il espère ainsi bénéficier d’une fermeture du tribunal, spéculant sur la date limite de 2010 imposée par l’ONU au TPIY pour clore ses procès.

Il ne doit s’en prendre qu’à lui-même puisqu’il a tenu à assurer sa défense lui-même, a fait savoir le TPIY qui estime qu’il avait tout de même quinze mois pour se préparer, mais n’a pas voulu tenir compte des mises en garde qui lui ont été faites sur les problèmes inhérents à ce système de défense. « En fait, il a eu 15 ans pour se préparer », rappelle Florence Hartmann, ancienne porte-parole du TPIY, interrogée par France 24. L’acte d’accusation initialement établi contre Radovan Karadžić a en effet été confirmé le 25 juillet 1995.

L’accusé a également exigé la traduction en serbe et caractères cyrilliques des transcriptions de tous les échanges tenus en salle d’audience. « Le droit à un procès équitable n’induit pas que l’accusé doive recevoir, en plus, les transcriptions des audiences dans une langue qu’il comprend« , a estimé le juge Patrick Robinson. En outre, il a accès à ces traductions par le biais de modules audio mis à sa disposition après les audiences. « Le droit de l’accusé à un procès équitable est respecté par cet arrangement« . Karadzic se prévaut également d’une promesse d’immunité soit disant garantie en juillet 1996, au nom du Conseil de sécurité des Nations unies, par l’émissaire américain Richard Holbrooke s’il « acceptait de se retirer complètement de la vie publique« . Richard Holbrooke a nié à plusieurs reprises avoir conclu un tel pacte stipulant l’abandon des charges de génocide et crime contre l’humanité retenues contre lui)

De statut de coupable, le criminel de guerre entend jouer celui de victime. Il a déjà commencé en déclarant qu’à cause de sa fuite, il a connu pendant treize ans, sur le plan familial et social, le statut d’une personne décédée ». « Tout cela s’est soldé par des souffrances pour moi-même, ma famille, les centaines d’amis, et même pour les entités de Republika Srpska et de Serbie. La terreur était à l’image de celle initiée par la Gestapo » a-t-il affirmé sans aucune gêne. En réalité, Radovan Karadzic, alias Dr. Dragan Dabic, exerçait les médecines douces dans un cabinet privé du quartier de Novi Beograd. Comme tout un chacun, il menait une petite vie facile et sans histoire, s’entendait bien avec ses voisins, allait faire ses courses et prenait les transports en commun. Ironie de l’histoire, c’est avec un nom d’emprunt, sous les traits d’un gourou de la médecine douce et affublé d’une longue barbe blanche que l’initiateur du génocide bosniaque, est arrêté le 21 juillet 2008, à Belgrade, après avoir échappé à la justice pendant plus de 13 ans.

Un Tribunal qui remplit mal son devoir

Ironie insultante faite aux familles des victimes, le lendemain du début de procès de Karadzic, le 27 octobre, Biljana Plavsic, ex-présidente de la Républika Serpska, sera libérée après 6 ans de détention. Détenue en Suède pour crimes de guerre, la comparse de Karadzic a menti pour avoir une réduction de peine et profiter ainsi d’une loi suédoise, qui veut qu’un détenu peut être libéré pour bonne conduite aux deux tiers de sa condamnation. Le Tribunal pénal international (TPI) avait donné son feu vert, il y a un mois, pour une libération anticipée de Biljana Plavsic, condamnée en février 2003, à 11 ans de prison. Agée de 79 ans, elle avait reconnu sa responsabilité, en tant que vice-présidente de l’entité serbe de Bosnie alors proclamée unilatéralement, dans la campagne de persécutions des forces serbes de Bosnie contre les Musulmans et les Croates de Bosnie..

L’annonce a suscité un vent de colère et d’indignation au sein des associations de victimes musulmanes et croates. Pour Bakira Hasecic, à la tête d’une association de femmes croates et musulmanes victimes de viols pendant le conflit, la décision du TPI est une bien « triste nouvelle« . « Comment Plavsic peut-elle être libérée alors que moi, 14 ans après la guerre, je n’ai toujours pas retrouvé les ossements de mon fils ? »

D’autres décisions scandaleuses ont émaillé le cours de la justice du TPIY. Outre l’inique condamnation de Florence Hartman ( lire ci-contre l’appel de sa condamnation et la signature d’une nouvelle pétition pour la soutenir), et les négociations désolantes menés par le TPIY avec le pouvoir serbe, le Parquet a autorisé qu’on brûle les effets personnels des victimes exhumées, sans même penser qu’il suffisait de les restituer aux familles.

L’actuel fonctionnement du Tribunal laisse craindre que le message d’espoir qu’il a donné à ses débuts, ne se réduise à peau de chagrin et que son travail ne se dégrade. Promesses non tenues, procès mal engagé (procès Perisic), manque de concertation au sein du parquet, risque de transfert du procès Stanisic en Serbie à la demande de l’état serbe…le Tribunal semble en effet pris en otage par des juges qui ont délaissé la mission de justice pour céder sans scrupule aux tractations politiques et accumuler les erreurs. Ceux qui avaient une haute conscience de leurs devoirs ont quitté le Tribunal. Ceux qui sont restés pour tenter de donner le meilleur d’eux même jusqu’au bout se retrouvent à ne presque rien faire.

Le Tribunal aura-t-il le temps de mener ces procès à bien ?

C’est la question que beaucoup de gens se sont posés, craignant que les délais de fermeture du Tribunal, prévus en 2010, ne débouchent sur des procès bâclés. Le TPIY pourra-t-il faire œuvre de justice avec l’attention et la sérénité que requiert la gravité de l’accusation si son mandat se termine dans un an ? Certains gouvernements comme le gouvernement russe a fait voter plusieurs résolutions demandant la fermeture du TPIY en 2010, comme prévu, indépendamment du fait que Karadzic et Mladic aient ou non été arrêtés et jugés d’ici là.

Le jeudi 12 mars 2009, le Parlement européen a adopté à une large majorité par 558 voix pour, 23 voix contre et 14 abstentions le rapport de Annemie Neyts-Uyttebroeck (ADLE, BE), qui demande de prolonger le mandat du tribunal de deux ans, de sorte que les jugements en cours puissent être opérés sans hâte inconsidérée, et que les criminels de guerre restant inculpés, puissent être jugés. Sans ces mécanismes résiduels, alors le mandat d’arrêt ainsi que les poursuites engagées par le TPIY contre Karadzic et Mladic en 1995 seraient invalidés par la fermeture du TPIY.

Ainsi les pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU devraient laisser en place un dispositif résiduel permettant de réagir, même en 2011 ou 2012, à une éventuelle arrestation des accusés en cavale et de les juger conformément aux actes d’accusation établis par le TPIY. Les estimations établies à l’automne 2009 suggèrent que 2010 devrait voir la fin des procès en première instance, à l’exception de trois d’entre eux qui devraient se terminer début 2011 et du dernier, celui de Radovan Karadžić, qui devrait s’achever début 2012. La plupart des affaires portées en appel devraient être définitivement closes mi-2013.

Pourquoi le procès de Karadzic est -il capital ?

Le plus difficile sera sans doute de combattre l’indifférence et l’oubli de l’opinion. Aujourd’hui, le révisionnisme tient le haut du pavé. Comme si Srebrenica était un mauvais rêve, un évènement tellement incroyable qu’il ne vaut mieux pas y croire ou alors oublier. Et le cynisme s’est banalisé. Les crimes contre les défenseurs des droits de l’homme aussi. Ces crimes sont souvent commis par des états ou avec leur complicité. Cela ne choque pas grand monde. Enfin, pour les jeunes générations, le procès de Karadzic est l’occasion de réfléchir à une question d’histoire : comment a-t-on pu, à l’aube du XXIème siècle, connaître pareille tragédie en Europe, sans rien faire pendant trois ans ?

Plus de 60 criminels ont été condamnés par le Tribunal Pénal International

 Depuis sa création il y a 16 ans, le Tribunal a mis en accusation 161 personnes pour des crimes de guerre perpétrés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, parmi lesquels de nombreux dirigeants politiques ou militaires (chefs d’État, premiers ministres, ministres de l’intérieur, chefs d’état-major, chefs de l’armée et de la police) ayant occupé de hautes fonctions ou des fonctions de rang intermédiaire au sein des parties au conflit yougoslave.

 Plus de soixante individus ont été condamnés pour les crimes qu’ils ont commis.

 Le Tribunal est actuellement saisi d’affaires concernant 41 accusés. 24 accusés sont en cours de procès, sept sont en attente de jugement et 14 comparaissent devant la Chambre d’appel.

 Deux accusés encore en fuite, Ratko Mladić et Goran Hadžić, sont recherchés pour être déférés au Tribunal et y être jugés.

 Ratko Mladic, 67 ans, ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, en fuite depuis 1995, est inculpé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour son rôle dans la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Le TPIY exige des autorités serbes son arrestation, préalable à un dégel du rapprochement de la Serbie avec l’Union européenne.

Un film nous fait entrer dans les coulisses du Tribunal de La Haye

Pendant le procès de Karadzic, le film « La Révélation » de Hans-Christian Schmid, dont la sortie est prévue le 3 février prochain, sera présenté en avant-première (parfois suivie d’un débat), les 3 et 5 novembre à Paris et en province.

Ce thriller juridique s’inscrit dans une actualité politique brûlante. Il nous introduit dans les arcanes du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Il a reçu plusieurs prix et a fait partie de la sélection officielle du dernier Festival de Berlin.

Principales salles où auront lieu les avant-premières :

Le 3 novembre :

Les Parnassiens (Paris 14e), 20h30

Le Métropole (Lille), 19h30

Le Comoedia (Lyon), 20h

Les Variétés (Marseille), 20h

Le 5 novembre :

L’Utopia (Bordeaux), 20h

L’Eldorado (Dijon), 20h

Le Méliès (St-Etienne), 20h30

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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