Le débat public sur les nanotechnologies est lancé. La prochaine réunion se tient, à Toulouse, le mercredi 20 octobre 2009 (voir notre AGENDA). Cette question ô combien controversée va s’imposer dans l’actualité scientifique et éthique pendant plusieurs mois. Soucieux que le plus grand nombre puisse participer à ce débat démocratique, Place Publique entend relayer les réflexions, discussions et opinions sur ce thème majeur et apporter les informations utiles à la compréhension de ce phénomène.

Yan de Kerorguen*, rédacteur en chef de Place-Publique et auteur de « Les nanotechnologies : espoir menace ou mirage ? »(Editions Lignes de Repères), montre ici l’étendue des questions qui se posent.

Un raz-de-marée ! C’est ainsi qu’est décrit l’avènement des nanotechnologies dans le cercle encore restreint des connaisseurs. Une vague gigantesque progressant rapidement sans se faire remarquer et qui provoquera des changements défiant l’entendement ! Mais au juste qu’entend-on par « nanotechnologie » ?

Les nanosciences ne sont pas simplement une miniaturisation de ce qu’on connaît. « Nanoscience » signifie qu’on est descendu à l’échelle nanométrique, celle de la taille des molécules biologiques. Donc, pour la première fois, nous sommes dans une intégration entre la biologie et le monde de l’information et des semi-conducteurs. Nous commençons seulement à entrevoir les conséquences de ces découvertes qui bousculent les cadres traditionnels de la recherche. Avec les nouveaux moyens mis à disposition des scientifiques, les frontières de ce monde lilliputien, inaccessibles il y a quelques années, sont aujourd’hui franchissables et ouvrent à l’industrie des perspectives inédites. Bien qu’elles soient invisibles, les nanoparticules ne passent désormais plus inaperçues.

« Le rôle de l’infiniment petit est infiniment grand » disait Louis Pasteur. On voit dans les petites dimensions le moyen de découvrir ce qu’on ne voit pas dans les grandes. Dans les tréfonds les plus intimes de la matière se trament aujourd’hui des processus encore difficiles à imaginer dans leur ensemble. A l’échelle nanométrique, les barrières entre les matières scientifiques et les techniques établies s’estompent.

En fait, les vertus des matériaux – électrique, magnétique, optique, catalytique – dépendent beaucoup de leur taille. Ces phénomènes dépendent tous de longueurs caractéristiques : la distance entre impuretés pour la conductivité électrique, la taille d’un domaine pour le magnétisme, la longueur d’ondes de la lumière en optique, la surface d’agrégats atomiques pour la catalyse.

A l’échelle du nanomètre, les propriétés physiques fondamentales d’une substance donnée peuvent changer. Les métaux deviennent des semiconducteurs ou des isolateurs. L’oxyde de zinc, qui est blanc et opaque gagne en transparence. Le cuivre, lui, devient extrêmement élastique. Sa longueur peut être réduite de 50 fois. Et le carbone peut se révéler, par exemple, plus dur que l’acier et six fois plus léger.

Dans « l’alchimie » du nanomètre, on peut manipuler la matière existante, renforcer ou améliorer les qualités des matériaux actuels vers plus de solidité, de légèreté, de résistance, de conductivité, en créer de nouveaux. Voilà pourquoi on parle de révolution nanotechnologique.

Appelé à métamorphoser notre existence, ce que les commentateurs intrigués appellent le « nanomonde » est un monde fascinant pour les uns et inquiétant pour les autres.

 Fascinant ? Parce que riche de promesses pour la santé et l’environnement. Selon le physicien Richard Smalley, lauréat du Prix Nobel 1996 pour sa découverte des fullerènes – un nanomatériau inattendu et de structure moléculaire étonnante, découvert de manière naturelle, bien avant que cela s’appelle nano – , « l’impact des nanotechnologies sur notre santé, nos richesses et notre vie en général sera comparable à celui, combiné, de la microélectronique, de l’imagerie médicale, de l’ingénierie assistée par ordinateur et des recherches sur les polymères synthétiques. »

Certains chercheurs estiment que ces techniques nouvelles de production auront des conséquences aussi capitales que les techniques provoquées par l’avènement de la machine à vapeur, de l’électricité, ou de l’Internet. Les applications potentielles des nanotechnologies couvrent en effet à peu près tout le spectre des activités industrielles et feront partie de notre quotidien. Les nanotechnologies sont appelées à redéfinir le contenu technologique de la plupart d’entre elles.

En travaillant au nanomètre, on parvient à fabriquer des matériaux inédits, plus légers, verres autonettoyants ou maisons capables de résister aux tremblements de terre, qui permettent d’envisager des ruptures technologiques majeures. Des ordinateurs de poche ultra puissants aux nanocapsules injectées dans le corps humain pour soigner automatiquement les maladies et cibler par exemple des tumeurs cancéreuses, en passant par les vêtements intelligents capables de réguler la chaleur du corps.

Les défenseurs du développement nanotechnologique voient la sécurité, mais aussi les progrès médicaux, les économies d’énergie, plus de bien être et….la paix ! Ainsi les pays réunis au sein de l’OCDE (Organisation de Coopération et de développement économique) ont-ils pris acte, le 24 septembre 2005, du rôle et du potentiel important des nanosciences pour la qualité de la vie et du développement durable. Les optimistes supposent que la connaissance est capable de surmonter les risques. Elle peut même prévenir d’éventuels dégâts à force d’explications et de débats.

 Inquiétant, disent les détracteurs des nanotechnologies. Pour eux, le futur de ces OAM (Organismes Atomiquement Modifiés) baptisés ainsi en référence aux OGM, n’a rien d’un avenir radieux. Au contraire, c’est un véritable cauchemar.

Nombreux sont ceux qui craignent que l’utilisation de ces mécanismes qui interviennent à l’échelle atomique n’entraînent des dérèglements majeurs dans plusieurs secteurs industriels à l’échelle mondiale. Plusieurs associations écologistes, des activistes antisciences, mais aussi des scientifiques perçoivent derrière ce paysage heureux de la science triomphante, une face cachée qui annonce des catastrophes.

Les uns mettent en avant le risque de toxicité des nanoparticules qu’ils comparent au risque de l’amiante. Les principaux reproches faits à l’ingénierie de l’infiniment petit portent sur leur toxicité et les conséquences prétendues néfastes sur la santé. Invisibles, ces minuscules morceaux de matière composés d’un seul élément ou d’un ensemble simple d’éléments, peuvent s’inhaler, s’ingérer, ou s’infiltrer par tous les pores de la peau sans qu’on s’en aperçoive. Une fois qu’ils ont pénétré dans le sang, ils peuvent affaiblir le système immunitaire, notamment la barrière hémato-encéphalique.

Les autres craignent qu’un « Nano brother » bien pire que « Big brother » ne s’infiltre, grâce à son invisibilité, partout dans les systèmes de sécurité pour nous contrôler sans relâche au plus profond de notre intimité. On ne peut évidemment pas faire l’impasse sur les dangers que les nanos font peser sur la vie privée. Du fait de leur taille, elles pourront se glisser au plus profond de notre intimité et s’infiltrer insidieusement dans les systèmes de sécurité. Du fait de leur invisibilité, elles pourront nous surveiller sans qu’on le sache. Traçabilité du cheptel humain, eugénisme technologique, poussières de surveillance, artificialisation du monde.

Faut-il avoir peur des nanotechnologies?

A l’ échelle du nanomètre, le vertige vous prend de penser qu’on peut tout voir, tout manipuler qu’on peut exercer un pouvoir absolu sans être vu. On parle ici de nanototalitarisme, là de nanoterrorisme, plus loin d’apocalypse par l’invasion de nanorobots. Et comme le monde des nanos est celui de l’atome, évidemment, son évocation frappe très fort les imaginations. Lorsque le très respecté Professeur Smalley, récemment disparu, dit à propos des nanotechnologies que « si on contrôle l’atome, on contrôle absolument tout », il n’en faut pas plus pour provoquer l’effroi devant cette « atom technology ».

Le pessimisme radical qui était déjà l’apanage du mouvement romantique, dans la deuxième moitié du siècle dernier, refait surface avec le doute tenace sur la capacité des hommes à maintenir la planète en bon état. Aujourd’hui, avec l’écologie, ce qui compte, c’est de préserver la nature . Ce n’était pas le cas pour nos ancêtres qui ont passé leur temps à vouloir échapper à son impitoyable contrôle pour s’en rendre « maître et possesseur », comme le disait Descartes. Pour les pessimistes, la science n’est plus synonyme de progrès, de liberté, de bonheur comme l’entend l’esprit des Lumières, mais au contraire d’inquiétude et de risque.

Une chose est sûre, la peur est mauvaise conseillère. Elle ne révèle rien, elle est productrice de panique ou de pulsion, de repli religieux ou mystique, de recherche de bouc-émissaires. Les mises en garde contre la menace, qu’elle soit technologique, militaire, ou naturelle, s’épuisent dans le vertige métaphysique. Comme le disait Richard P Feynman, (physicien, le premier à avoir annoncé le « nanomonde » en 1959) : « il importe de comprendre que ce pouvoir de faire des trucs nouveaux n’instruit en rien sur la façon de l’employer. Les fruits de ce pouvoir peuvent être soit bons soit mauvais, selon l’usage qu’on en fera ».

La vigilance s’impose donc sur les risques liées aux libertés individuelles provoqués par ces technologies invisibles et les questions de toxicité qu’elles soulèvent. La recherche doit aussi s’occuper des conditions de production de ces nouveaux outils. Cette vigilance doit être éthique et citoyenne. Elle concerne toutes ces catastrophes quotidiennes qui nous échappent car elles ne figurent pas dans l’inventaire des tragédies mythiques nouvelles. C’est maintenant que la science et la société doivent produire ensemble les outils permettant de maintenir le cap du progrès et de sa régulation sociale. Certains parleront de foi en l’homme, d’autres de confiance dans sa lucidité ou de sa capacité à trouver des solutions. Le nouveau appelle le doute. Les nanotechnologies peuvent servir le meilleur comme le pire.

Aussi bien est-il utile de remettre les choses à leur place afin de permettre à la seule raison d’être juge, tout en tenant compte d’une chose : la nanoindustrie est en marche. Qu’on le veuille ou non.

Les nanosciences ouvrent un immense et vertigineux domaine de recherche. Elles représentent aussi un chapitre bouleversant pour l’économie et la société. Bouleversant parce que les nanosciences et les nanotechnologies se caractérisent par un mélange des genres. « Elles brouillent bien des distinctions qui servaient de repères, entre la science et la fiction, entre science fondamentale et applications, entre le monde académique et celui des affaires, entre science et société» (*Bernadette Bensaude-Vincent , philosophe, membre du Comité d’éthique du CNRS). Elles renforcent une « pluridiscipline » qui attire les scientifiques et les investisseurs et troublent les opinions. De séminaires en congrès, de publications en brevets, le préfixe « nano »prolifère en une multiplication croissante de néologismes – nanoobjets, nanoparticules, nanotubes, nanomatériaux…

Quel nouveau monde préfigure les avancées des nanosciences ? Où en est l’état de la science ? Quels seront les effets de ces technologies invisibles sur notre économie et nos modes de consommation ? Quel impact perturbateur ou révolutionnaire auront-elles sur les méthodes de production industrielle ? Comment les mentalités s’accommoderont-elles des possibilités offertes par les nanotechnologies de transformer le monde aussi facilement que l’on change de table ? Comment l’homme se comportera-t-il avec la facilité qui lui sera permise d’assembler lui-même les molécules et les atomes pour construire ce que la nature n’a pas fait, mal fait ou détruit ? Entre science et fiction, où se situent les limites du sérieux et du fantasme ? Les hommes politiques sont désormais obligés de se prononcer face aux attentes ou aux préoccupations des citoyens. Y’a-t-il des risques ? Que fait-on pour les contrôler ? Faut-il actionner le principe de précaution ? Telle sont les immenses questions que pose ce « nanomonde ».

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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