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Dans son livre, les « foules intelligentes : la révolution qui commence » (M2 Editions) , l’américain Howard Rheingold, un des « grands prospecteurs » des interactions sociales en ligne, montre comment l’utilisation des technologies de communication facilite la coopération entre humains, amplifie l’organisation collective et favorise l’avènement de la prochaine révolution sociale.

Le sociologue américain Howard Rheingold en est convaincu : « La réciprocité, la coopération, la réputation, les entraides sociales et les dilemmes sociaux semblent tous être des pièces essentielles du puzzle des foules intelligentes ».

Pour ce dernier, la rencontre du lien social et du réseau technologique forme une toile de confiance. Le réseau est la forme d’organisation qui succède à celle des marchés, après les tribus et les hiérarchies.

Il explique que, avec peu de moyens, avec un peu de perspicacité, plus de temps et du haut débit, on peut, grâce aux technologies de l’internet mobile (portable et micro), créer de nouvelles connexions entre les gens au lieu de les isoler . Avec, à la clef, la possibilité de se constituer facilement un monde de coopération et d’entraide. A l’organisation intégrée des grands groupes (Krupp, Renault..) s’oppose l’entreprise de la coopération que l’on voit proliférer sur la toile.

jpg_IMG_1935.jpg Prenons les réseaux d’échange en ligne « peer to peer » (pair à pair). Ces sortes de marché d’emprunts entre particuliers ont transformé les réseaux sociaux en entreprises coopératives, partageant de la puissance de calcul. Version moderne des système coopératifs apparus aux XVIIIe siècle comme la tontine, ces plateformes permettent de s’affranchir de toute intermédiation bancaire et viennent concurrencer les banques et les sociétés de crédit qui avaient, jusqu’ici, le monopole du marché du prêt aux particuliers.

Avec ce système, les agents sont donc autonomes, libres d’agir et de contribuer. « Ils ne sont pas soumis ni contrôlés par une autorité hiérarchique, souligne Michel Bauwens, président de la fondation Peer to Peer Alternatives. Pour que naisse ce type de relation intersubjective, les agents doivent être considérés comme équipotentiels, égaux en puissance, capables de contribuer sans sélection préalable. Ils sont généralement unis autour d’un projet commun ». Le profit, pour eux, n’est pas une fin, mais une valeur d’usage. Leurs produits sont rarement vendus sur le marché mais sont la plupart du temps mis gratuitement à la disposition des utilisateurs et du public, sous des formes propriétaires nouvelles, de « bien public » ou « bien communautaire ».

Pour Howard Rheingold , cette nouvelle forme d’organisation, apte à produire et à échanger des biens, à créer de la valeur, est la conséquence d’un nouvel imaginaire social, potentiellement susceptible de devenir le pilier d’un nouveau mode d’économie politique.

A petite échelle, il existe aussi des plateformes purement sociales, proposant le financement de projets solidaires, souvent sélectionnées par des institutions de micro finance, on fait alors appel à ceux qui souhaitent prêter leur argent pour aider au développement de projets qui sont susceptibles de les toucher, dans leur propre pays ou dans des pays en voie de développement.

L’intérêt de ce mode de partage, c’est l’efficacité sociale.

D’après le sociologue Barry Wellman, « il est plus facile de se connecter à de multiples milieux sociaux avec une implication limitée dans chacun d’eux, ce qui, en retour, diminue le contrôle de chaque milieu sur l’individu et baisse son implication, selon le bien être de l’individu. Des chercheurs du Laboratoire de Los Alamos montrent que des groupes de personnes reliées par des réseaux en ligne peuvent prendre des décisions collectives qui s’avèrent être plus précises que la meilleure prévision du plus précis des individus du groupe. Si cette thèse s’avère fondée, les perspectives offertes pourraient amplifier la force des foules intelligentes vers un monde de capacités et de possibilités considérablement agrandi.

Contrairement à ce qu’on pense, ces réseaux ne sont pas que virtuels. Très vite, les intérêts et les désirs font cause commune. Au pays de Nokia, les jeunes qui ont tous grandi avec le portable, imaginent des lieux où se construit une vie urbaine partagée qui combine le réseau social mobile, la communauté virtuelle, et l’ organisation coopérative. Refusant les cybercafés qui, à leurs yeux, n’ont rien d’un lieu de sociabilité, des jeunes d’Helsinki ont créé leur propre espace public : une sorte de salon urbain pour la société du réseau baptisé « Aula » un espace autogéré avec machine à café et imprimante inclues où la production de l’échange est également présente. Depuis quelques années, réseaux sociaux collaboratifs, blogs multi-auteurs (HRM-today), entreprises peer to peer, coopératives, banking social, districts locaux et autres clusters véhiculent de nouvelles formes de capital social. Il est constitué d’un savoir-faire diffus, de relations de confiance et d’un esprit d’émulation.

L’une des caractéristiques de ce capital est l’entraide. Cette qualité qu’on appelle aujourd’hui la solidarité fait intervenir de la gratuité dans les formes de l’échange. Une gratuité qui, selon l’économiste Daniel Cohen, (dans « trois leçons sur la société post-industrielle »), sera en rivalité avec le « payant ». Cette confrontation sera, d’après lui, à la mesure de celle qui opposa durant le siècle précédent « le public » et « le privé ».

Toute la question est de savoir si, dans le cadre de la restructuration économique « radicale » qu’impose la crise, ces nouveaux réseaux parviendront à faire la part entre coopération et compétition s’ils arriveront à faire valoir que la richesse ne se compte pas en produits ni en bénéfices financiers mais en idées et en liens sociaux .

L’inclinaison actuelle à créer des réseaux de solidarités et d’entraide n’est pas nouvelle, même si les nouvelles technologies de l’internet mobile lui donnent une formidable puissance d’action. Dans un des passages de son livre sur « Les foules intelligentes », Howard Rheingold nous invite à relire le philosophe anarchiste Pierre Kropotkine.

Kropotkine est un prince russe, philosophe et anarchiste, qui semble sortir tout droit d’un roman de Tolkien. Ses théories ont résisté au temps. Il est un des un des premiers géographes à avoir pensé le changement climatique. En effet, en 1871, chargé d’une mission en Finlande, il étudia les terrains de la période glaciaire; ses observations lui fournirent le sujet d’un ouvrage dont le premier volume seulement a paru dans les « Annales de la Société de géographie ».

Ce qui réunit Rheingold et Kropotkine, c’est leur conviction commune que la coopération sociale, est la clé de tout, et que la nature humaine est avant tout disposée au partage mutuel dans l’intérêt de tous. Kropotkine, mort quatre ans après la révolution russe, est un des premiers à avoir montré le rôle majeur de la coopération dans l’évolution de la civilisation, grâce à ses observations anthropologiques et zoologiques. Et si la loi de la jungle n’était pas la loi du plus fort, se demande-t-il ? Et si la loi qui domine dans la nature était « l’entraide ». Et si ce qu’on appelle dans le monde de l’entreprise les « gagnants » n’étaient pas tout simplement des escrocs ou des tricheurs.

Dans un livre justement appelé « L’entraide » (Ecosociété), le géographe russe remet en cause l’accent mis par le darwinisme sur la compétition et la lutte entre les animaux d’une même espèce comme facteur d’évolution. Il entend démontrer que s’aider mutuellement contribue davantage à la création et la prospérité des sociétés humaines que la compétition de chacun contre tous. La compétition n’est pas, à ses yeux la force motrice. Les hommes sont prédisposés à s’entraider sans le besoin d’un chef. ceux qui survivent ne sont pas ceux qui sont les plus compétitifs mais les plus « coopératifs

Au cours de ses voyages, il se rend compte que les peuples traditionnels étaient naturellement sociables… sans l’aide de l’Etat. C’est l’état qui réprime notre enclin naturel à coopérer. Il donne l’exemple des « guides » du Moyen-Age, ces groupes ad hoc, improvisés et coopératifs , formés temporairement par le rassemblement d’individus partageant un but et un espace commun. Mettant l´accent sur l´instinct de sociabilité de l´homme, il dénonce l´individualisme qui imprègne la société bourgeoise et les théories de la lutte pour la vie; il conçoit une société nouvelle fondée sur de libres associations.

Ce scientifique qui a connu la prison et l’exil était également l’un des rares anarchistes à refuser toute violence. Optimiste de nature, il a été l’un des premiers penseurs à mener une analyse détaillée de la décentralisation comme la meilleure façon de vivre pour une société humaine. On trouvera encore sous sa plume une défense du travail coopératif et de la libre entente, souhaitant que tous les hommes pussent travailler et penser, pratiquer en même temps le travail manuel et intellectuel. Son argument majeur en faveur des, toutefois était social ou moral partisan de la relocalisation de l’industrie, il se proclamait en faveur de petites unités décentralisées.

On retrouve dans le livre de Jean-Marie Pelt ( « La raison du plus faible » . Fayard) de tels développements sur l’intelligence régulatrice de la nature. Ce biologiste, président de l’Institut européen d’écologie, montre qu’il existe une raison du plus faible.

Dans les crises, les changements climatiques et les catastrophes, les petits survivent alors que les gros, ceux qui ont voient le monde comme une prédation continue, soumis aux modèles de la concurrence ou de la lutte des classes, eux ne survivent pas.

C’est aussi, dit-il, parmi les plus faibles que sont nées les plus belles histoires de solidarité. C’est enfin chez les plus vulnérables que l’ingéniosité adaptative a développé ses plus belles inventions. De même, le sociologue Serge Paugam, dans « Repenser la solidarité »(PUF) invite à réévaluer la solidarité, à l’aune des défis auxquels les sociétés modernes sont confrontées en ce début du XXIe siècle. Enfin, dans son essai visant à réhabiliter l’idée de « fraternité », (« Le moment fraternité ». Gallimard) Régis Debray explique que cette notion ne relève pas des bons sentiments, c’est une notion exigeante, combative et subversive.

Elle est l’art de remplacer ce qui est de l’ordre de de l’ordre du destin par du volontaire, l’art de fonder une famille avec ceux qui ne sont pas de sa famille, l’art de coopérer avec des gens qu’on ne connait pas forcément.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE, Médias et démocratie

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