Quand on pense vieillissement, on ne pense pas immédiatement à l’ innovation. Le vieillissement, il est vrai, semble étranger à l’attrait du nouveau. Et pourtant ! La Silver économie est un des champs de l’économie où le vieux et le neuf sont amenés à vivre ensemble pendant longtemps.

C’est dans l’univers du confort, de la simplification, du mieux être, bref dans le monde des gens plus âgés, qu’une importante partie des objets quotidiens et des technologies domestiques se profilent. En France, un salon est désormais consacré à ce nouveau secteur : « le salon BtoB des technologies et services pour seniors ». Le premier en date a été inauguré le décembre 2013. Le senior marketing est lui aussi entré dans les habitudes. Les pubs à la TV s’adressent désormais sans retenue aux publics plus agés, avec des mannequins de 60 ans vantant des produits cosmétiques, des gels minceurs ou des articles de sport. Catherine Deneuve, Ines de la Fressange, Andy Mac Dowell en sont les icônes. Une agence Senior Agency a compris depuis une vingtaine d’année le bénéfice qu’on peut attendre des quelques douze millions de papys et mamys boomers sur les marchés de la consommation.). Dans leurs pages, les magazines spécialisés, comme Notre Temps mais aussi Marie Claire ou Elle, mettent en évidence, dans leurs pages, que la séduction n’est plus l’apanage des jeunes femmes.

De leur côté, les entreprises dont beaucoup négligent encore cette classe d’âge dans leurs plans marketing, « par crainte de « vieillir leur marque ou par manque de connaissances de cette population » souligne-t-on chez Senior Agency, réalisent peu à peu qu’elles ont intérêt, non seulement à s’installer dans cette évolution sociétale qui détermine une bonne part de la consommation française, mais aussi à façonner leurs produits pour qu’ils collent aux besoins des seniors. Elles ont aussi tout à gagner à anticiper les besoins si elles veulent tirer profit de cette manne, car dans les années à venir, le marché du vieillissement devrait changer le paysage entre les acteurs qui se seront impliqués et les autres. A l’heure actuelle, le marché du vieillissement est surtout représenté par des startups et des petites et moyennes entreprises.

Malheureusement, elles sont peu présentes dans les processus d’élaboration des normes et standards internationaux. Le CJD (Centre des jeunes dirigeants à tendance humaniste) fait partie des instances patronales qui prennent l’enjeu à cœur. « La Silver Economy constitue un enjeu stratégique majeur, souligne Jérôme Lefèvre (ITW de Laurent Bazin, in Dirigeants n°103). Cette dynamique ne donnera ses résultats que si les entreprises font preuve de créativité. Chaque entrepreneur, doit aujourd’hui penser à un produit ou un service qui se décline en direction des seniors. Pour un promoteur immobilier par exemple, penser à disposer un studio à côté d’un appartement familial pour éventuellement accueillir un parent âgé, c’est une nouvelle offre qu’il faut imaginer…/…Il y a tellement de choses à concevoir, pas simplement pour les séniors, mais aussi pour les aidants, pas seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social, sociétal et environnemental.» Nombre de grands groupes français tels Danone, Leclerc, La Mondiale, LVMH, Décathlon, L’Oréal, Bouygues, Crédit agricole n’ont pas attendu pour pousser leurs pions sur ce damier. Mais la plupart des autres grands majors de l’industrie ne jouent pas un rôle moteur dans cette émergence, semblant peu se soucier d’intégrer les objets connectés par l’internet dans leur modèle de développement.

Dans ce contexte de changement sociétal, la « numérisation du monde » va apporter à la silver économie sa force de frappe principale. L’enjeu est considérable. Le marché mondial du numérique a atteint en 2012 une valeur de 3 169 milliards d’euros. L’arrivée de l’internet des objets et la diversification des technologies d’assistance pour l’autonomie présagent d’une véritable révolution dans la vie quotidienne des personnes âgées. Qu’il s’agisse des technologies d’assistance, des gérontechnologies ou de ce qu’on appelle les objets connectés, le numérique s’intéresse de plus en plus aux modes de vie des vieux. L’intelligence informatique est en train de devenir le meilleur aide à domicile.

Nombre d’objets numériques dans le secteur de la sécurité, du care, de l’hygiène, et de la facilité trônent aujourd’hui sur le marché de la Silver économie. 9 milliards d’objets et de capteurs intégrés dans les tissus ou les produits de consommation seraient déjà reliés aujourd’hui à internet dans le monde. Ce nombre devrait être multiplié par cinq d’ici à 2020. Les étiquettes électroniques (RFID) ont déjà envahi notre quotidien. Avec les objets communicants nomades, la musique en ligne, les jeux vidéos, les informations en boucle, sont désormais accessibles en permanence. Les infrastructures spécifiques de dialogues, la mesure, sont autant de domaines concernés. Grâce à son approche de simplification des outils et son design adapté, l’entreprise suédoise Doro, spécialisée dans la téléphonie et les accessoires pour seniors, permet de diminuer la fracture numérique et de faciliter la vie de 5 millions de personnes à travers le monde en vendant ses smartphones simplifiés et ses ordinateurs simples d’utilisation. Pour un accompagnement complet, Doro propose également des produits de téléassistance et des solutions de m-santé.

« Beaucoup de seniors rencontrent des difficultés pour se servir de produits technologiques dues à des problèmes de vision, d’audition, de mobilité et de dextérité réduites. Chez Doro, nous croyons que les seniors téléphoneront et utiliseront beaucoup plus de fonctions s’ils trouvent un mobile conçu en fonction de leurs besoins », souligne-t-on au sein de la direction marketing de l’entreprise. La société Tikeasy, créée en 2012, a lancé une tablette numérique, pratique et ergonomique, adaptée aux seniors, la « Tooti Family », qui permet aux utilisateurs faibles en informatique de s’y retrouver grâce à la simplicité des applications pour envoyer des mails, gérer des photos, s’adonner aux jeux. Une entreprise de Strasbourg, Hakisa, a ouvert une plate-forme qui aide les personnes âgées à naviguer en ligne en préselectionnant les sites préférés et les mails utiles. Le mode d’emploi fonctionne selon le principe de la solidarité intergénérationnelle, les jeunes aidant les plus âgés dans leur apprentissage. Dans certains domaines, des PME sont en pointe : Denouvo qui fournit la possibilité d’adapter des éléments médicaux aux lits dont les vieux, par attachement affectif, ne veulent pas se séparer. Ou encore, la société Protibis qui s’intéresse à l’amélioration de la nutrition en inventant des aliments faciles à mâcher.

Le progrès des technologies aidant, l’objet deviendra un acteur autonome des réseaux au point qu’il sera possible à chacun d’entre eux de capter, d’analyser et d’agir de façon autonome. Avec la miniaturisation des supports électroniques, tout objet peut d’ores et déjà devenir actif, intelligent, communicant. Les fourchettes, les Tshirts, les frigidaires ou les abribus pourront s’animer, comme dans Minority Report ! L’image la plus parlante est le robot de compagnie ou le robot domestique. Mais, de manière plus prosaïque, on peut évoquer les bipeurs de sécurité, les capteurs de mouvement, les appareils auditifs et autres sièges monte-escalier. Détecteurs de chute, puces sous-cutanées identifiantes, implants cérébraux sont déjà au programme des innovations. Désormais, les capteurs d’informations en tout genres (médicales, bancaires ou comportementales), implants pour surveiller ou traiter les désordres physiologiques… constituent une « deuxième peau » invisible et ubiquitaire. Des bas médicaux de compression (Omby stocking) au levage de lit à domicile, des sous vêtements anti fuite pour incontinents au « popmètre » pour la tension artérielle, nombre de produits nouveaux sont aujourd’hui sur l’étagère.

L’enjeu du numérique à destination des ainés a également une connotation psychologique : préserver la dignité des personnes, permettre leur prestance, faire ressortir leur distinction. La Bourse Charles Foix, une bourse créée en 2004 pour soutenir les produits et services à destination des seniors fragiles, actifs ou dépendants et dans le but de faciliter leur vie quotidienne, et de réduire la pénibilité des actions, fournit un bon échantillon des nouveautés. Le confort sanitaire est en tête de gondole. Les technologies choisies par la Bourse Charles Foix ont une orientation commune : lever des tabous et libérer la parole sur ses fragilités, de dédramatiser les handicaps comme l’incontinence, intégrer de l’élégance dans les gestes, favoriser une bonne nutrition. Bref, toutes les initiatives pour faire des choses facilement, de manière équilibrée, sont privilégiés. Investir dans la Silver innovation est désormais un impératif pour les vingt années à venir.

Sur le plan européen, la commission européenne prévoit d’attribuer un budget de 22 milliards à l’innovation des petites et moyennes entreprises pour leur permettre d’offrir aux populations agées les conditions de vie en toute sécurité. Les états membres s’y mettent. Les grandes villes en font un élément de leurs priorités. En France, le Concours National des Villes 2010 permet de mettre en valeur des projets innovants de développement des gérontotechnologies. Une filière industrielle et commerciale dédiée aux besoins spécifiques des personnes âgées et de leur entourage a été créée en Ile-de-France : la Silver Valley. Ce réseau encore très jeune consacré au vieillissement est la première application concrète de la Silver Economie. Ce réseau industriel et scientifique réunit des acteurs de la Silver économie, agrégeant des centres de recherche, des institutions sanitaires et médico-sociales, et des PME. En eux ans, le nombre de structures adhérentes a doublé, passant de 80 à 170. Implanté en Ile de France, l’objectif des acteurs de la Silver Valley est d’organiser un écosystème régional dense, propice à l’innovation, facilitant l’installation de jeunes entreprises via des dispositifs d’accueil immobilier et une pépinière servant de vitrine au projet. Une autre initiative régionale nous vient d’Auvergne. La région Auvergne a fait de la silver économie l’un des piliers stratégiques central de son développement économique en rassemblant des acteurs acteurs industriels, académiques et des producteurs locaux autour d’un projet commun : Le projet Oeuf Santé. En s’appuyant sur le savoir faire avicole auvergnat, plusieurs partenaires ont pour ambition de développer des produits alimentaires innovants à haute valeur nutritionnelle pour la prévention et la prise en charge de pathologies liées à l’âge. Ces produits s’appuient sur un ingrédient clé, un Oméga 3 issu du jaune d’oeuf.

Des universités se spécialisent. L’Université de Technologie de Troyes participe depuis plusieurs années à des programmes de recherche liés au maintien en autonomie à domicile des personnes âgées et développe diverses technologies pour accroitre leur autonomie, et plus généralement leur bien-être. Avec à la clé des transfert technologique et des partenariat industriel au service de la société. Cette université a fondé, en 2008, le Centre Expert en Technologies et Services pour le Maintien en Autonomie à Domicile de Personnes Agées). L’un des objectifs de recherche est la mise au point d’objets intelligents et intuitifs qui permettent de repérer les personnes fragiles. Parmi ces innovations, un pèse-personne évaluant la qualité de l’équilibre. Ou encore la Grip Ball, une balle mesurant la force de préhension des doigts. Le but est de motiver les vieux à l’exercice physique par le coaching ou le jeu, expliquent les chercheurs de l’UTT. Ces données collectées sont synthétisées et transmises aux professionnels de santé impliqués dans le suivi de la personne.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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Le Magazine, Sciences et société

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