Depuis près d’un an, la Fondation Jean-Jaurès se penche sur la question du revenu d’existence, par diffĂ©rents moyens : expĂ©rimentation en partenariat avec le conseil dĂ©partemental de Gironde, simulations chiffrĂ©es avec le Cepremap de Daniel Cohen et l’IPP d’Antoine Bozio, publication de travaux sur le sujet. Sans a priori, elle explore ainsi les potentiels mais aussi les limites d’une proposition au coeur du dĂ©bat d’idĂ©es dans notre pays. C’est dans ce cadre que s’inscrit la contribution de David DjaĂ¯z et Julien Dourgnon.

L’introduction d’un revenu d’existence inconditionnel et universel Ă  un niveau immĂ©diatement Ă©levĂ© est une vision souhaitable mais une opĂ©ration difficile Ă  pratiquer sur le plan technique et politique. En revanche, une introduction graduelle est immĂ©diatement possible. Le financement intĂ©gral d’une amorce d’un revenu suppose nĂ©anmoins de lever un tabou fiscal et politique relatif Ă  la fiscalitĂ© du patrimoine français, Ă©valuĂ© par l’Insee en 2016 Ă  13 500 milliards d’euros.

Le remplacement de la taxe foncière et de l’ISF par un impĂ´t unique sur l’actif net (les dettes seraient donc dĂ©duites) fixĂ© Ă  un taux de 0,8 % par an permettrait de mettre fin Ă  des prĂ©lèvements injustes et inefficaces tout en dĂ©gageant des marges de manoeuvre par une amorce de revenu d’existence, dont le montant serait fixĂ© Ă  120 euros par mois par adulte et 60 euros par enfant, sans affecter les autres dispositifs de protection sociale.

Le revenu d’existence ainsi amorcĂ© aurait le mĂ©rite d’amĂ©liorer sensiblement la situation matĂ©rielle des classes populaires et moyennes (bĂ©nĂ©ficiaires du RSA, familles monoparentales aux revenus modestes ou moyens…) sans stigmatisation ni lourdeur administrative, mais aussi et surtout de poser la première pierre d’une nouvelle forme de rĂ©gulation jugĂ©e indispensable dans une sociĂ©tĂ© et une Ă©conomie qui se transforment.

Pour la première fois en effet s’opère une dĂ©synchronisation complète entre le progrès technologique, d’une part, et le progrès humain et social d’autre part : la disruption technologique s’accompagne d’une croissance molle et ses effets sur l’emploi et sur la cohĂ©sion sociale sont imprĂ©visibles. La rĂ©volution digitale des prochaines annĂ©es pourrait accĂ©lĂ©rer ce processus au dĂ©triment des classes moyennes dĂ©jĂ  fragilisĂ©es. Il n’est pas nĂ©cessaire de prĂ©dire, avec grandiloquence et exagĂ©ration, la « fin du salariat » ou celle du travail, pour justifier du besoin de rĂ©gulations sociales d’un nouveau genre.

Les trois stratĂ©gies politiques traditionnelles proposĂ©es par le personnel politique depuis plus de trente ans pour lutter contre le chĂ´mage de masse ont Ă©tĂ© des Ă©checs : le traitement social du chĂ´mage n’a pas d’effet structurel, la flexibilisation sans contrepartie sociale du marchĂ© du travail est socialement brutale, et la rĂ©duction lĂ©gale de la durĂ©e du travail s’est rĂ©vĂ©lĂ©e jusqu’ici sans impact structurel. Seules, ces politiques ne permettent pas de faire face aux forces de dĂ©liaison sociale qui sont Ă  l’oeuvre.

La principale vertu du revenu d’existence tient prĂ©cisĂ©ment Ă  cela : il permet de lever le monopole de fait de l’emploi salariĂ© sur la condition sociale des individus, s’attache Ă  la condition humaine avant la condition salariale, et permet d’imaginer un pacte social plus inclusif dans des sociĂ©tĂ©s fragilisĂ©es tout autant par les plus rĂ©centes mutations technologiques et Ă©conomiques que par les dĂ©fis de tous ordres qui se prĂ©sentent Ă  elles, dont le terrorisme n’est pas le moindre. Loin de se substituer aux rĂ©gulations traditionnelles associĂ©es au salariat, et protĂ©gĂ©es par le droit, le revenu d’existence en constitue en rĂ©alitĂ© un utile complĂ©ment.

RegardĂ© comme une rĂ©tribution qui rĂ©munère la contribution indirecte, invisible et pourtant considĂ©rable de la « sociĂ©tĂ© » Ă  la production de la richesse nationale, le revenu d’existence ne doit pas Ăªtre considĂ©rĂ© comme une « allocation d’État » ou un « filet de sĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ© ». Universel, il neutralise les stigmates gĂ©nĂ©ralement attachĂ©s aux minima sociaux qui peuvent s’avĂ©rer destructeurs pour l’estime de soi.
Inconditionnel, il joue le rĂ´le d’une prestation-socle au nom du droit minimal Ă  l’inclusion sociale et de la nĂ©cessitĂ© de lisser les transitions professionnelles et personnelles de plus en plus frĂ©quentes dans la vie de l’individu.

Sur le mĂªme sujet :

Le revenu de base : de l’utopie Ă  la rĂ©alitĂ© ? Thomas Chevandier, JĂ©rĂ´me HĂ©ricourt, Groupe de travail revenu universel de la Fondation Jean-Jaurès, 22 mai 2016
Revenu universel : une expérimentation inédite, 23 septembre 2016
Le revenu de base testé en Gironde, 26 octobre 2016

* David DjaĂ¯z est auteur et administrateur de l’AIRE (Association pour l’instauration d’un revenu d’existence).
Il publie La guerre civile n’aura pas lieu (Ă©d. du Cerf, fĂ©vrier 2017).

* Julien Dourgnon est auteur et économiste de formation.
Il publie Le revenu universel : pourquoi ? Comment ? (éd. Les petits Matins, Institut Veblen, février 2017).

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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