75% des étudiants de grandes écoles françaises veulent un emploi en accord avec leurs valeurs

Le monde change et ce changement ne cesse d’accélérer. En 2010, les dix métiers les plus demandés aux états-Unis n’existaient pas en 2004[1]. 65 % des métiers qu’exerceront nos enfants n’existent pas aujourd’hui[2]. En quinze ans, 60 % de la population mondiale a été reliée à Internet, là où il fallut plus de cinquante ans au téléphone pour atteindre cette ampleur planétaire[3]. Parallèlement, les défis sociétaux sont de plus en plus urgents, complexes et imbriqués. Nous consommons, chaque année, 50 % plus de ressources naturelles que ce que nous permet la planète[4]. 62 personnes détiennent autant de richesses que la moitié de l’humanité[5]. Des scientifiques viennent d’annoncer la sixième extinction de masse[6].

La conclusion ne doit pas être le fatalisme, mais un constat simple : le monde tel que nous l’avons connu n’a plus grand-chose à voir avec celui dont nos enfants feront l’expérience.
Ce nouveau monde oblige individus et organisations à profondément repenser leur impact sur l’environnement et sur la société. En premier lieu, les entreprises, qui peuvent redéfinir des secteurs entiers de l’économie, doivent participer à la conception de solutions pour faire face à ces défis sociétaux. à l’image du mouvement des B-Corps, des entreprises pionnières ont déjà décidé d’intégrer l’impact sociétal positif au cœur de leur métier. Cause, conséquence ou symptôme de ce changement, une étude réalisée en janvier 2016 a montré que 75 % des étudiants de grandes écoles françaises veulent un emploi en accord avec leurs valeurs[7].

Pour endosser ce nouveau rôle, l’entreprise doit changer sa manière de s’organiser, remettre l’humain et l’impact qu’il a sur l’environnement au cœur de son système de fonctionnement, libérer le potentiel d’acteurs de changement en son sein et renforcer sa capacité à inscrire son action dans l’écosystème de ses parties prenantes (associations locales, pouvoirs publics…).
Des organisations innovantes commencent, aujourd’hui, à développer des modèles pour répondre à ces enjeux. Ils sont portés par des entreprises de tailles très diverses, ambassadrices d’un changement structurel : le passage d’un monde cloisonné et hiérarchisé à un monde où chacun, quels que soient son âge ou son origine, peut contribuer au changement.
Un exemple souvent cité par Frédéric Laloux, théoricien d’un nouveau type d’organisation, est Buurtzorg, entreprise néerlandaise de soins infirmiers employant 9 000 salariés, qui fonctionne de manière totalement horizontale, sans département administratif, et repose sur l’autonomie complète de son personnel, organisé en équipes locales non hiérarchiques. Buurtzorg a été créée pour transformer la manière dont les soins infirmiers sont délivrés aux Pays-Bas, en donnant aux infirmières l’autonomie et la fluidité qui leur permettent de réellement répondre aux besoins du patient. Plus efficace, reconnue comme un modèle de soins adapté et centré sur la qualité de vie du patient, Buurtzorg se développe, aujourd’hui, au Japon, en Suède et aux états-Unis. Buurtzog représente le passage d’un système où quelques dirigeants prennent les décisions qui affecteront la majorité à une organisation dans laquelle le dirigeant a pour mission la création du cadre qui permettra à chacun de contribuer et de révéler son potentiel de manière autonome. La hiérarchie et la compétition font place à la fluidité et à la confiance, sources de bien-être, mais aussi d’innovation, pour la société comme pour l’entreprise.

Des alliances au service de l’intérêt général

Une autre tendance qui émerge de cette nouvelle économie est la naissance de nouvelles interactions entre acteurs de secteurs très différents. Face à l’urgence des défis sociétaux, des alliances inédites apparaissent entre monde des affaires, institutions publiques, associations, entreprises sociales, pour construire collectivement des réponses au changement climatique, aux inégalités d’accès aux soins ou encore à l’exclusion sociale. Ainsi CRESUS, association de lutte contre le surendettement, travaille-t-elle avec la Banque postale pour faire regagner solvabilité à ses clients les plus fragiles et prévenir le surendettement de manière plus large.
L’entreprise responsable duXXI ème siècle se composera de dirigeants et d’employés capables de collaborer avec des organisations différentes, d’être attentifs aux attentes de l’ensemble des parties prenantes, d’être ouverts à l’incertitude et à l’expérimentation de nouveaux modèles qui remettront profondément en cause le cœur même de sa stratégie. Elle a besoin d’intrapreneurs du changement, d’hommes et de femmes qui sauront la faire s’adapter à un monde dans lequel plus personne ne peut ignorer la nécessité de repenser notre manière de produire et de consommer. Les entreprises qui sauront adopter cette démarche seront à la hauteur de leur responsabilité et verront émerger des perspectives d’innovation portées par des collaborateurs impliqués, autonomes et animés par le sens de leur action quotidienne.

Transformer l’expérience éducative

Plusieurs questions se posent alors. Comment préparer les générations futures à s’épanouir et à maîtriser ces nouvelles règles du jeu ? Comment s’assurer qu’elles auront la possibilité de développer les qualités qui leur permettront de transformer positivement la société, dans leur vie personnelle comme professionnelle ?

A partir de 2016, les tests PISA menés chaque année par l’OCDE pour évaluer les résultats scolaires dans ses pays membres prendront en compte la mesure d’une nouvelle capacité : celle de savoir collaborer à la résolution de problèmes.
D’ici à 2018, elle mesurera ce qu’elle nomme des « compétences globales » : le respect, la compréhension et l’acceptation des différences entre les peuples et les cultures. Une réaction à l’érosion du « vivre ensemble » dans les pays développés ? Oui, mais pas uniquement. Pour vivre ensemble, nous allons aussi devoir apprendre à travailler ensemble. Aujourd’hui, l’école ne nous y prépare pas, ou trop peu. 95 % des 15-30 ans veulent voir transformer un système éducatif qui n’offre pas à la jeunesse la possibilité de s’épanouir dans un monde profondément différent de celui qu’ont connu les générations précédentes[8]. Aujourd’hui, l’école doit cultiver des qualités d’acteur de changement : l’empathie, la créativité, la capacité à résoudre des problèmes complexes de manière collaborative… Ce changement est déjà en route : des pionniers de l’éducation, professeurs, parents, journalistes, influenceurs, entrepreneurs et chercheurs ne cessent de soulever l’importance de faire grandir nos enfants différemment. Pour que leur vision prenne forme, il est nécessaire de créer les conditions qui leur permettront de mettre leurs forces en commun pour transformer l’expérience éducative. Et ainsi offrir la chance à chaque enfant de devenir un citoyen actif, capable de s’épanouir dans un monde où chacun est plus que jamais en mesure de jouer un rôle et où la collaboration est la clé d’une économie plus juste et durable.

Initialement publié sur la revue France Forum en Novembre 2016.
[1]. Étude menée par Wagepoint en 2013.
[2]. Idem.
[3]. http://www.nytimes.com/imagepages/2008/02/10/opinion/10op.graphic.ready….
[4]. En 2016, l’humanité vit à crédit depuis le 8 août.
[5]. Oxfam, communiqué de presse, 18 janvier 2016.
[6]. « Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction », 19 juin 2015.
[7]. étude menée en janvier 2016 par le Boston Consulting Group et la Conférence des grandes écoles
[8]. étude « Les jeunes et le système éducatif », OpinionWay, 2015.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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